vendredi 26 avril 2019

Pierre Bayard - La vérité sur "Dix petits nègres"

Éditeur : Les Éditions de Minuit - Date de parution : Janvier 2019 - 176 pages 

Il n'est nul besoin de se replonger dans  le célèbre livre d'Agatha Christie avant d'entamer cette  lecture. Pierre Bayard nous rafraîchit la mémoire avec l'ensemble des protagonistes soit les dix personnes présentes sur l'île qui  toutes, sans exception, vont  trouver la mort. La question qui taraude le lecteur est forcément  de savoir qui a pu commettre ces meurtres. Dans les toutes dernières pages, Agatha Christie  nous livre la réponse alors que la police s'est cassée le nez sur cette affaire apparemment insoluble.
Pierre Bayard reprend toute la mécanique sur laquelle repose Dix petits nègres en faisant intervenir un narrateur inattendu. J'ai nommé le coupable car oui celui qui s'est fait voler la vedette relate ce qui s'est passé. Agatha Christie se serait-elle trompée sur l'identité du coupable? Aurait-on avalé les explications fournies sans broncher alors que la vérité est toute autre?

Non seulement, on est tenu en haleine car bien entendu le coupable ne sera connu qu'à la fin mais surtout le cheminement entrepris est passionnant. Sans rien modifier au déroulement de l'histoire,  certains points mis en lumière nous permettent d'avoir un autre angle de vue et de raisonner différemment . On se glisse dans la peau  d'un Sherlock Holmes, on se mord la langue de n'avoir pas vu certaines failles (mais oui, mince!) et on explore de nouvelles hypothèses. Avec de nombreux exemples notamment sur les illusions d'optique, l'auteur  démontre ses raisonnements et propose au lecteur  de participer à des petits tests.

Sans rien n'enlever au charme des Dix petits nègres, cet essai fort réjouissant est instructif.  Même si j'ai un petit bémol pour une des explications concernant l'identité du meurtrier, j'ai beaucoup, beaucoup aimé.

Avant d’en venir aux raisons qui m’ont conduit à monter cette pièce de théâtre, je voudrais dire ma surprise, alors que tout aurait dû m’accuser depuis le début de l’enquête, à l'idée que j’aie pu passer pendant près des décennies entre les mailles de la lecture et de la critique sans jamais être soupçonné. 
Cette série d’aveuglements en dit long sur la capacité de l’être humain à s'illusionner, et, contre l’évidence, à persister dans ses erreurs pourvu que celles-ci correspondent à sa vision tragique du monde, et ne viennent pas mettre en cause la représentation qu’il a de lui-même et des autres.  Et dès lors surtout que les faits  qu’on lui présente sont organisés selon une histoire cohérente, celle-ci prît-elle la forme d'une comptine pour enfants.

Le billet d'Alex.
Les détectives en herbe peuvent aller faire un tour sur Intercripol.

mardi 23 avril 2019

Yves Ravey - Pas dupe

Éditeur : Les Éditions de Minuit - Date de parution : mars 2019 - 140 pages 

Tippi Mayer est découverte morte dans sa voiture au fond d’un ravin en Californie.Un virage mal négocié sous l’emprise de l’l’alcool et/ou de la vitesse. En somme rien d’étonnant. Sur place, l’inspecteur Costa, l’assureur Kowalski et le défunt mari Salvatore observent la scène. L’enquête pourrait être bouclée très vite mais avec ses faux airs de Columbo, l’inspecteur Costa pose des questions. Pourquoi Tippi était -elle partie de chez à cinq heures du matin? Pourquoi l’assureur était-il déjà sur place? Et comme le célèbre lieutenant, il y a souvent un petit détail qui l’intrigue.

Le mari de Tippi, sympathique aux yeux du lecteur, collabore. Et il veut que la vérité soit faite d’autant plus que son beau-père Bruce lui reproche de n’avoir pas été un bon époux. On en viendrait presque à le plaindre car certains éléments semblent malheureusement contre lui comme si s'il n'avait pas de chance. Qui dit vrai et qui ment ? Qui manipule qui ? On sait très bien que l‘accident n’en est pas un et tout le plaisir est de se faire mener ou presque par le bout du nez. Avec une intrigue et une histoire pourrait-on dire moult fois déjà exploitées (une riche épouse,  un amant, un couple qui bat de l’aile, un beau-père qui régente tout et une voisine curieuse), Yves Ravey se joue de nous.

C’est noir et délicieusement savoureux. Alors oui, la fin est sans aucune surprise et alors? Peu importe à vrai dire car tout l’intérêt ce livre est dans l’écriture épurée au cordeau et dans l'ambiance installée. Même si tout semble couru d'avance, l’auteur laisse planer des doutes, il instaure savamment une  tension et glisse ici et là des pics d’humour noir voire décalés. Ce roman se lit comme un page-tuner où l'on savoure la minutie, la précision de l'écriture avec le sourire aux lèvres. Une petite friandise dévorée qui m’a beaucoup fait penser à Viviane Elisabeth Fauville de Julia Deck .

Ca le dérangeait de donner son avis. Pour l'instant, il réfléchissait à la situation.Tout ce qu' il avait à  dire, c'est que ça prendrait du temps de tout remettre en  ordre, ici, et dans l'entreprise. Il a voulu savoir ensuite savoir  si je me sentais capable de continuer sans Tippi, dans le sens, où en  principe, c'était sa fille qui s'occupait de tout, du ménage mais aussi de l'entreprise.

Les billets enthousiastes de Béa et Laure

lundi 15 avril 2019

Fiona Mcgregor - L'Encre vive

Éditeur : Actes Sud - Date de parution : Mars 2019 - Traduit de l'anglais (Australie) par Isabelle Maillet - 537 pages

A cinquante-neuf ans, Marie King mère de trois grand enfants et depuis peu divorcée, s’est toujours occupée de sa maison et surtout de son magnifique jardin située sans un quartier bobo et très prisé de Sydney. Mais les temps sont durs et Marie qui a toujours vécu sans regarder à la dépense n’a plus les moyens d'avoir le même train de vie, elle va devoir de vendre son bien. Le jour de son anniversaire, un peu éméchée, elle décide de s’offrir un cadeau atypique : un tatouage.

Passe encore un tatouage mais ce n'est que le premier d'une série pour Marie. Sauf que dans son entourage, ces tatouages sont catalyseurs de beaucoup de réactions comme l’incompréhension, la  stupeur et l’incrédulité. Mais pourquoi diable, enchaîne-t’elle les séances au salon de tatouage alors que sa maison est mise en vente? Ses enfants et ses amis la regardent d’un oeil perplexe et en cherchent la cause avec plus ou moins de maladresse.  Mais Marie est décidée à prendre sa vie en mains,  à s’assumer comme elle l’entend quitte à faire grincer des dents.

Avec en toile de fond une radiographie de l’Australie sans concession, les conventions sociales, la complexité des relations familiales, l’appropriation du corps, la vieillesse et la maladie sont autant de thèmes abordés et creusés. A travers les enfants de Marie, pivot central de ce roman, et de son entourage, ce sont des personnalités aux préoccupations différentes qui sont creusées. Tous au long de ce roman, tous vont changer. Et chacun sera touché, titillé car ces personnages renferment une part plus ou moins importante de nous. Fiona Mcgregor livre un  beau portait de femme, une femme attachante avec ses faiblesses et sa lucidité.

J’ai vibré, j'ai souri et j'ai été émue avec ce roman pertinent sur toute la ligne parsemé d'humour vitriolé et aux dialogues savoureux. Et sans que je m'y attende,  dans ses toutes dernières pages ce roman a réussi à me bouleverser au point d'engendrer des poissons d'eau.
Un régal et un livre dévoré !  Petit bonus, en tant que lectrice tatouée ( oui, ciel!), j’ai trouvé très juste les descriptions du pourquoi du tatouage, de l’envie et du regard des autres.

- J'ai remis de l'ordre entrepris un grand nettoyage...
- Ah oui? Formidable , dit Susan. C'est très bouddhiste de faire le vide.

Les billets de Cinéphile et de Cuné

vendredi 12 avril 2019

Ouch !

S'inventer une île d'Alain Gillot - Éditeur : Flammarion - Date de parution : Février 2019 - 208 pages

Alors qu'il est Chine à superviser un chantier, Dani apprend la mort accidentelle de son fils âgé de sept ans. Immédiatement, il rentre en France où l'attend sa femme Nora et leurs proches. Entre la douleur, les remord et la colère, il se tient à distance. Présent physiquement mais absent par ses pensées, il laisse sa femme tout gérer. Chacun dans le couple affronte cette épreuve différemment. 
Nora voudrait aller de l'avant et s'active à trier les affaires de leur fils tandis que Dani n'accepte pas la mort de son enfant. Dani voit son fils lui apparaître de façon surnaturelle. Son fils qui lui parle et uniquement à lui. Il décide d'offrir à son fils des vacances rien qu'à eux deux en Bretagne.

Je pense qu'écrire sur la mort accidentelle d'un enfant est sûrement un choix réfléchi pour l'auteur. Voire cathartique ou salvateur ou libérateur tant le sujet est délicat. Et il faut croire que ce livre n'était pas pour moi car j'ai été terriblement mal l'aise et j'ai ressenti une vague d'incompréhension face aux réactions de ces parents. Sans vouloir les juger car je suis bien incapable d'imaginer ce que c'est et d'ailleurs car c'est un blocage absolu de ma part. Voilà mais j'ai été suffisamment gênée. Très et trop gênée.
Et surtout j'ai eu  la sensation d'être  témoin  d'une histoire quelquefois un peu maladroite qui cherche sans la trouver une certaine distance qui m'aurait permise de ne pas me sentir voyeuriste avec la gâchette pointée sur le coeur en permanence.



Trouver l'enfant de Rene Denfeld - Éditeur : Rivages - Date de parution : Janvier 2019 - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Bondil - 365 pages 

En Orégon le petite Madison a disparu depuis trois ans. Trois longues années où les espoirs se sont amenuisés. La probabilité qu'une  enfant  âgée de cinq ans  disparue dans une forêt enneigée soit encore vivante est presque réduite à néant mais  ils font appel à Naomi Cottle une détective spécialisée dans les enquêtes d'enfants disparus.

De cette auteure, j'avais beaucoup aimé En ce lieu enchanté pour sa capacité à créer une ambiance et à m'attirer dans ses filets. Un roman noir  hypnotique strié d'une poésie envoûtante. Avec Trouver l'enfant,  la  nature  souvent hostile a une place importante. Le tout est parsemé de poésie avec un vrai suspense et plusieurs intrigues. Les récits  alternant présent et  flashbacks font la part belle à l'introspection car Naomi a un passé douloureux.
Avec son ravisseur, Madison âgée de 8 ans a noué une relation très particulière. Certaines de ses réflexions m'ont plus que bousculée et déstabilisée (comme si c'était une enfant devenue une adolescente aux âges multiples), et d'autres m'ont bloquée. Même si elles ne sont pas légion et malgré l'écriture très belle de Rene Denfeld,  je n'ai pas pu en faire abstraction.

La littérature  est là pour nous bousculer et nous faire bouger de nos zones de confort, j'en conviens mais ces lectures n'étaient vraiment pas pour moi.

mercredi 10 avril 2019

Francesca Melandri - Tous, sauf moi

Éditeur : Gallimard - Date de parution : Mars 2019 - Traduit de l'italien par Danièle Valin - 576 pages

Rome, 2010. Ilaria la quarantaine voit débarquer chez elle migrant qui prétend être son neveu. Comme tant d'autres, le jeune homme a fui son pays l’Ethiopie pour l'Italie. Surprise et déconcertée, elle ne sait comment réagir. La carte d’identité du jeune homme indique bien qu’il porte son nom Profeti mais également le prénom de son père Attilio.  Ce dernier, séducteur et charmeur,  avait mené une double existence à Rome jonglant avec le foyer légal et  celui de sa maîtresse. Désormais âgé de quatre-vingt-quinze ans, il  n'a plus toute sa tête. Serait-il possible que la fratrie des quatre enfants soit incomplète et que son père ait un fils en Ethiopie ?

Tout comme ses frères, elle ne connait que la version édulcorée du séjour de son père dans ce pays avant la Seconde Guerre mondiale.
En grattant de vernis de l'histoire paternelle,  Ilaria remonte le cours de l’Histoire de l’Italie avec un pan souvent méconnu et la colonisation de l’Ethiopie. Qui est vraiment son père ? Et qui croire?
L’auteure aurait pu se contenter de nous raconter la quête d’Ilaria mais elle nous offre un roman puzzle à la  construction éclatée.  Des massacres d'Addis Abeba en Ethiopie à l'Italie de Berlusconi, elle déploie les histoires personnelles liées à cette famille et les ancre dans la grande Histoire. On découvre tout comme Ilaria le passé moins lisse de son père.

Cette radiographie de l'Italie met la lumière  sur des faits peu glorieux et horribles sous couvert de la colonisation mais également la corruption,  les copinages pratiqués et la mise à nu de racines du fascisme.  Sans une once de sensationnalisme, l'auteure nous expose les conditions de traversée des migrants et l'accueil qui leur est fait.

Contrairement à Plus haut que la mer et Eva dort où l’auteure faisait preuve d’un certain lyrisme, ici l’écriture ne prend de gants et elle a gagné en puissance.
Cette lecture prenante qui brasse l’histoire (avec des personnages pour certains bien réels) et cette famille a eu l’effet d’uppercut. On est bousculé, interloqué, poussé dans nos retranchements.

Sans se faire donneuse de leçons, Francesca Melandri signe un grand roman époustouflant, intelligent, instructif, creusé et pertinent. Une lecture indispensable où les liens souterrains souvent effarants entre passé et présent se dessinent.

Non seulement Berlusconi n'est plus le chef du gouvernement, mais il est même devenu insignifiant; Kadhafi est mort d'une façon atroce; les naufragés sauvés au large Lampedusa sont traités de mystificateurs parce qu'ils ont des portables, mais surtout parce qu'ils ne cessent d'arriver. Les êtres humains se refusent à reconnaître des limitations imposées aux déplacements plus importantes que celles imposées aux marchandises, qui voyagent à travers la planète sans plus aucune frontière ou presque. 

Les billets de Dominique et Nicole

lundi 8 avril 2019

Maylis de Kerangal - Kiruna

Éditeur : La Contre Allée- Date de parution : Janvier 2019 - 146 pages

Le dernier roman de Maylis de Kerangal Un monde à portée de main m’avait laissée dubitative. Bien sûr, j’avais eu plaisir à retrouver son écriture mais la technicité qu’elle avait réussi à rendre passionnante dans Naissance d'un pont m’était apparue aussi froide que la lecture d'un mode d’emploi.

Avec Kiruna, à mi-chemin entre le carnet de voyages et le reportage littéraire,  la magie a de nouveau opéré.

J’ai cherché une mine comme on cherche un point de passage dans le sous-sol terrestre, un accès aux formes qui le structurent, aux matières qui le composent, aux mouvements qui l’animent, à ce qu’il recèle de trésors et de ténèbres, à ce qu’il suscite comme convoitise et précipite comme invention. Je l’ai cherchée comme on cherche la porte de cet espace inconnu sur quoi s’appuient nos existences, espace dont je ne sais s’il est vide ou plein, s’il est creusé d’alvéoles, de grottes ou de galeries, percé de tunnels ou aménagé de bunkers, s’il est habité, s’il est vivant. J’ai voulu vivre cette expérience, j’ai voulu l’écrire : je suis partie à Kiruna.

Si Kiruna est  une ville de la Laponie suédoise, c'est surtout  avant toute chose  une mine. La ville est venue se greffer à ce poumon industriel et à sa population de miniers. La mine centenaire est devenue souterraine depuis 1965 et désormais elle peut plus supporter désormais le poids de la ville et de ses infrastructures. Alors un projet aussi fou qu’il puisse apparaître est né, celui de déplacer la ville :  Intimement liés, les destins de la mine et de la ville sont désormais pris dans une même impasse : si la mine continue de s’étendre sans que rien ne bouge, les habitants, menacés, finiront par vider les lieux. Or la mine a besoin des hommes pour fonctionner, et du cadre de vie que leur donne la ville pour les retenir dans cette région des confins, enfouie dans la nuit polaire ou baignée du soleil de minuit.

Dans les entrailles, au cœur de  la mine mais aussi à l'extérieur,  l'auteure hume l’atmosphère qui y règne, s'en imprègne. De ses rencontres et de l'histoire minière, Maylis de Kerangal ausculte et sonde les lieux. Sans que cela soit indigeste, elle nous restitue les contextes historique et économique par petites touches. En captant les ambiances, elle nous dresse un portrait complet  de Kiruna et lui confère une âme, la rendant vivante. Des premières cantinières dans ce milieu masculin à Ing-Marie foreuse de mine, on  découvre également des femmes fortes dont certaines sont de véritables pionnières.
Magnétique, charnel  et saisissant avec des émotions et un vrai sens de la musicalité, ce livre est tout simplement superbe. 

D'emblée, j’éprouve devant ce récit, devant ses documents, ses machines, ces dioramas et ces objets, une impression de linéarité, d'évolution constante, inéluctable comme si rien ne s'était jamais vraiment opposé à ce dessin industriel, à ce mouvement en avant que l'on appelle aussi "la marche du Progrès", et qui occulte la dose de croyance, de convoitise, de courage et de violence qu’il fallut pour imaginer la mine et la rendre réelle – la dose de folie aussi.

J'ai aimé également cette petite indication de l'éditeur dans les toutes dernières pages :




Lu et chroniqué de cette auteure : Corniche Kennedy - Un chemin de tables - Naissance d'un pont - Réparer les vivants

jeudi 4 avril 2019

Pierre Théobald - Boys

Éditeur : JC Lattès - Date de parution : Avril 2019 - 224 pages

Je crois que je n’avais pas été pas aussi enthousiasmée par un recueil de nouvelles ou un premier roman français depuis longtemps. Trop longtemps d'ailleurs mais ce livre a été au-dessus de toutes mes espérances et même plus. Avec une vraie patte, un style qui m’a embarquée.
Et si j’ajoute en plus que je n’ai eu aucun bémol, mais pas un seul, et que j’ai tourné les pages avec avidité et une certaine fébrilité, vous pouvez comprendre ma joie.

A travers ces portraits masculins, les armures et les carapaces tombent. Ils s’appellent Théo, Bastien, Fred, Antoine ou encore Karim,  peu importe à vrai dire. Ils sont jeunes ou ont roulé leurs bosses, ils ont souvent caché leurs émotions, les ont ravalé par fierté ou par pudeur.
Car il est question d’amour décliné : la rencontre qu’il n’espéraient pas ou qu’ils n’attendaient plus, la première fracture, l’usure du couple par les années, la séparation ou le deuil.
Ils recherchent l'amour, l'apprivoisent ou l'ont perdu. Ils se sont attachés à un enfant qui n’est pas sur leur livret de famille ou veulent fonder une famille avec de l’amour à donner et à partager.
Ils ont été désignés coupables ou quelquefois absents, rejetés. Ils se sont sentis défaillants ou trahis. Ils ont été loyaux ou infidèles. Ils sont maladroits ou habiles, ils tombent, se relèvent ou n'ont plus la force.

Loser fleur bleue ou Monsieur tout-le-monde, ils se dévoilent sans fard et ça sonne terriblement juste. On les suit sur un court instant dans une situation ou on les retrouve au détour d’une nouvelle sans s’y attendre. Et comme un  fil conducteur, il y a  un personnage Samuel que l'on suit en filigrane sur plusieurs années.

Entre le roman et des microfictions, j’ai été émue, j’ai souri, j’ai eu des poissons dans les yeux et le cœur serré. Ce n’est pas  parce qu'apparaît un drôle de zèbre qui commençait à faire parler de lui  Miossec (et son album adoré Boire) que j’ai dévoré ce livre.
Non, c’est un ensemble que j’ai aimé sans aucune exception, une surprise, une sincérité , une écriture et des instants de vie croqués sur le vif avec finesse et sensibilité. 

Autant de portraits qui parlent d'hommes d'aujourd'hui avec leurs attentes, leurs espoirs, leurs déceptions, les peines et  leurs bonheurs. A noter la superbe couverture, une invitation à plonger avec eux dans la vie. 

C'est amusant combien à force de se côtoyer un couple peut se passer de paroles. 

mercredi 3 avril 2019

Michèle Forbes - Phalène fantôme

Éditeur : La Table Ronde - Date de parution - Traduit de l'anglais (Irlande) par Anouk Neuhoff - 388 pages 

Par une belle journée d’août 1969, Georges fait une surprise à sa femme Katherine car il a pris sa journée au travail. Avec leurs quatre enfants, ils laissent derrière eux pour quelque heures Belfast et le quartier protestant dans lequel cette famille catholique réside. Alors que Katherine se baigne, elle voit un phoque. Déstabilisée, paniquée et pourtant bonne nageuse, elle manque de peu de se noyer.

George et Katherine forment un couple comme un autre pourrait-on dire. Georges, pompier volontaire de surcroit, semble un père et un mari aimant, Katherine est une mère au foyer dévouée avec quatre enfants en bas âge. L’incident clos, la vie aurait pu reprendre son cours comme avant. Mais la peur ressentie par Katherine a déverrouillé la porte de souvenirs enfouis.
1949,   Katherine fait partie d’une troupe de théâtre amateur. Après sa journée de travail, la jeune femme déjà  fiancée à Georges aime se plonger dans son rôle de Carmen. Et c’est au théâtre ou plutôt dans les coulisses qu’elle rencontre Tom . Entre eux deux, l’étincelle est immédiate. Ce qui aurait pu être une histoire banale d’amour contrariée par le destin ou par les événements prend une autre dimension.

L'auteur  entretient des intrigues sur les deux périodes et les personnages se dévoilent sous un autre jour.  Avec les éléments du passé qui apparaissent peu à peu, la vie du couple  si soudé en apparence aux premiers abords laisse entrevoir bien des failles. Les choix de vie avec les remords ou les regrets  engendrés sont mis en avant et Michèle Forbes a su installer un climat où les suspicions sont contrebalancées par des épisodes plus légers et plus gais.
Mais voilà, au vu de la quatrième de couverture,  je m’attendais à ce que le contexte et les conséquences de la division entre catholiques et protestants aient une place plus importante (en lisant Belfast,  1969  et  tensions dans les rues, je m’étais déjà plus ou moins imaginé le roman que j'aurais souhaité avoir entre les mains. Et oui...)
Malgré des qualités (l’intensité qui monte en crescendo et un vrai sens de l’orchestration des personnages), l'écriture trop lyrique à mon goût, quelques petites longueurs m'ont tenue à distance. Dommage que les personnages se révèlent tardivement. 
Un avis en demi teinte pour conclure.

Il sait faire jaillir le merveilleux de l'ordinaire, songea-t-elle. Voilà son talent. Le cadeau qu'il me fait.

Ce roman ayant  été lu et vu sur beaucoup de blogs, je ne mets aucun lien (par paresse).

lundi 1 avril 2019

Pascale Dietrich - Les mafieuses

Editeur : Liana Levi - Date de parution : Février 2019 - 151 pages

A Grenoble, Leone Acampora un vieux mafieux est sur le point de rendre l’âme. Hospitalisé et dans le coma, ce n’est plus qu’une question de jours. La famille c’est sacré et particulièrement dans le milieu mafiosique. Parce que sa future veuve Michèle lui a été quelquefois infidèle, Leone a mis un contrat sur tête pour qu'elle l’accompagne dans sa dernière demeure.

Mises au courant, ses deux filles Dina et Alissa se chargent de la protéger. Assumant parfaitement l’héritage familial,  Alissa a en partie repris le flambeau de son père.  Elle combine sa pharmacie et la vente de drogue.  Ambitieuse, elle voit voit plus grand au niveau local :  éradiquer la concurrence et régner sur le marché. Quant à Dina, si elle travaille dans une ONG c'est une manière à ses yeux de racheter les mauvaises actions de sa famille. Même Si les deux sœurs sont sur des longueurs d’ondes opposées dans leurs choix, elles s’unissent pour contrer le projet de leur père. Ajoutez des crapules, des clans et vous obtenez ce polar entraînant   aux accents féministes qui non seulement fait sourire mais  engendre également des réflexions chez le lecteur.
On ne s’ennuie pas une seule seconde avec ces héroïnes bien décidées à jeter un grand coup de pied dans la fourmilière masculine, c'est énergique et frais.  Pascale Dietrich envoie valser les préjugés sur la gent féminine, étrille les systèmes patriarcaux et certaines ONG plus intéressées par l'argent que par leurs missions premières.
Avec une écriture acérée et un humour espiègle, ce polar est savoureux et piquant comme il le faut.  Une petite friandise à ne pas se refuser.

Heureusement, Michèle n'avait pas à se soucier de son avenir. Les veuves de mafieux ont droit à une pension et bénéficient d'un statut privilégié jusqu'à la fin de leurs jours. Dans le Système, les hommes morts sont aussi au moins aussi utiles que les vivants. 

Au fond, l'humanitaire et la mafia constituaient deux réponses opposées à un même problème : ces organisations se développaient quand c'était le chaos, que les gens étaient livrés à eux-mêmes et que l'Etat ne faisait pas son boulot. La mafia offrait un statut et des ressources à ceux qui ne trouvaient pas de place dans l'économie légale. Quant aux ONG, elles aidaient à peu près les mêmes à survivre sans jamais inquiéter les gouvernements véreux ni s'attaquer aux véritables injustices. Pire, elles rattrapaient les dégâts et permettaient au système de perdurer.

Le billet tentateur de Cath