jeudi 30 janvier 2014

Emmanuelle Pagano - Les adolescents troglodytes

Éditeur : P.O.L. - Date de parution : 2007 - 213 pages et un coup de cœur vibrant et entier !

 "J'ai retrouvé le goût d'eux juste ce matin, comme chaque année, en me levant très longtemps à l'avance pour aller chercher la navette au garage, et me préparer tranquille, à conduire lentement dans ma nuit, avant d'aller les prendre, un par un ou presque, au tout début de leur premier jour d'école".
Dans un plateau d'Ardèche isolé et en altitude, Adèle est conductrice d’une navette scolaire. Dans un entrelacs de petites routes qui frôlent le vide ou traversent la campagne, elle rejoint les hameaux pour prendre à son bord quelques enfants et adolescents. Du plateau aux écoles et inversement deux fois par jour et par tous les temps. Adèle aime ces enfants qui le matin sentent la ferme et le sommeil, peu bavards souvent encore plongés dans leurs nuits. Elle les connaît par coeur : l'histoire des familles, les amitiés, les amours de ces adolescents dont le corps change l'espace d'un été. Elle devine leurs humeurs quand ils montent dans sa navette. Eux la respecte, ils savent que la route n'est pas exempte de tout danger. Les paysage délivrent beauté et puissance à chaque trajet.

Très vite, on est troublé car Adèle la narratrice emploie le masculin/ féminin pour parler d'elle. Souvenirs de l'enfance qui remontent "quand j'étais petit", de ses parents et d'Alex son frère qu'elle n'a pas vu depuis dix ans. Adèle a grandi dans la région mais personne ne le sait. Son passé elle le garde pour elle. Et quand son frère pour son métier revient dans la région, Adèle a envie de le voir mais les mots durs qu'il a eus pour elle sont encore tatoués dan sa chair.

Emmanuelle Pagano nous décrit les trajets quotidiens, nous dévoile lentement la vie d'Adèle et ses pensées. Lorsqu'Alex a un accident, Adèle décide l'aller le voir pour se faire accepter en tant qu'Adèle.
L'auteure nous glisse dans peau d'Adèle, nous fait ressentir ce qu'elle a vécu et ce qu'elle vit, ses émotions "Je me pensais au féminin, en faisant les accords, depuis un bout de temps déjà. Mais comme j'étais bien la seule, je me sentais à la fois solitaire et désaccordée".  Et les descriptions de cette nature si changeante et ce milieu rural où l'on sent l'odeur du foin sont simplement belles.

De la délicatesse, de la finesse une écriture où sensualité et poésie se marient à merveille pour nous faire toucher du doigt des émotions fortes, intimes, douces ou douloureuses.
Un livre que j'ai pris le temps de lire, plongée dans une bulle, pour faire durer le plaisir. Un coup de cœur !

Les billets d'Antigone, Gambadou.

Lu de cette auteure (et jamais déçue ) : Nouons-nousUn renard à mains nues

mardi 28 janvier 2014

Ian McEwan - Opération Sweet Tooth

Éditeur : Gallimard - Traduit de l'anglais par France Camus-Pichon - Date de parution : Janvier 2014 - 437 pages où l'on ne s'ennuie pas une seule seconde !

"Je m'appelle Serena Frome (prononcée "Frume", comme dans "plume"), et, il y après de quarante ans, on m'a confié une mission pour les services secrets britanniques. Je n'en suis pas sortie indemne. Dix-huit mois plu tard j'étais congédiée, après m'être déshonorée et avoir détruit mon amant, bien qu'il eût certainement contribué à sa propre perte."
On pourrait penser qu'avec cette première phrase du roman que tout est dit : espionnage et amour. Ce serait commettre une erreur.

Début des années 1970 : étudiante à Cambridge en math alors qu'elle est une lectrice boulimique, la belle Serena a une liaison avec un de ses professeurs marié et beaucoup plus âgé qu'elle. Il met fin à leur relation de façon brutale. Ses études terminées, elle est recrutée par le MI5 les services secrets britanniques. Employée à de tâches de secrétariat vu qu'elle est une femme, Serana déchante jusqu'à ce ses supérieurs lui proposent d'intégrer l'opération Sweet Tooth. La guerre froide bat son plein en entre l'est et l'ouest. Sous couverture d'une fausse fondation, l’opération a pour but de subventionner de jeunes écrivains qui croient en l'anticommuniste. Serena doit donc recruter Tom Haley un écrivain peu connu et jeune professeur d'université pour lui proposer une offre. Laisser tomber son boulot mal payé et se consacrer pendant deux ans à l’écriture d’un roman en étant largement rétribué. Mais Serena tombe éperdument amoureuse de Tom.

Tom demande à Serena de lire ce qu’il écrit et de lui donner ses impressions. A travers Serena, on découvre donc des nouvelles imbriqués dans ce roman. Même si elle prend des précautions pour voir Tom, le MI5 ne tarde pas à découvrir sa liaison et Serena apprend des informations concernant son ancien amant. La jeune femme est sur le point à plusieurs reprises de tout avouer à Tom.  Idéaliste et sentimentaliste qui quelquefois peut apparaître un brin naïve, elle va se retrouver face à la question de qui manipule qui.

Cette comédie sociale où l’écriture et l’écriture ont une part belle met en exergue le mensonge et ses fins, la liberté ou non de l’auteur et le pouvoir de la fiction.
Un roman fin, intelligent où l’on ne s’ennuie pas une seule seconde ! 
Des personnages attachants, des surprises,  de l’humour et de la dérision et cerise sur la gâteau Ian McEwan nous réserve un final qui laissera plus d’un lecteur bouchée bée ( comme dans mon cas) !

Je n'étais pas convaincue par ces écrivains( éparpillée à travers les continents sud et nord-américains) (...) bien décidés à rappeler au malheureux lecteur que tous les personnages, eux-mêmes compris, étaient pure invention et qu'il n'existait aucune différence entre la vie et la fiction. Ou à insister, au contraire, sur le fait que la vie était de toute façon une fiction. Selon moi, seuls les romanciers risquaient de confondre les deux. J'étais un empiriste-née.

Lu de cet auteur : Délire d'amour - Expiation -  L'enfant volé Sur la plage de Chesil

dimanche 26 janvier 2014

Léonor de Récondo - Rêves oubliés

Éditeur : Points - Date de parution : Août 2013 - 185 pages et une jolie découverte ! 

"Etre ensemble, c'est tout ce qui compte" voilà ce qui importe à Aïta quand il découvre que son épouse Ama et leurs trois fils, les grands-parents  ont fui le Pays Basque afin d'échapper aux soldats franquistes. Ils ont trouvé refuge à Hendaye chez Mademoiselle Églantine où Aïta les rejoint. Ils n'y restent que quelques courtes années car l'ombre de Seconde Guerre mondiale plane. Aïta est convaincu qu'il faut laisser encore plus de distance avec l'Espagne et tous partent dans les Landes.

De 1936 à 1949, nous suivons cette famille contrainte à l'exil. Ce dernier est vécu différemment par chacun des membres de la famille que ce soit Aïta, Ama , les grands-parents ou les enfants. La vie aisée est derrière eux, Aïta travaille comme ouvrier dans une usine d'armement. Certains des oncles arrêtés en Espagne sont revenus et continuent la lutte de façon clandestine. A Hendaye, Ama a commencé à coucher des mots dans un carnet. Ce qu'ils vivent, ses ressentis mais aussi ses joies et ses peines. Si le seul  revenu pour toute la famille est gagné par son mari, ce sont sur ses épaules que repose le fonctionnement du quotidien. Afficher toujours un sourire surtout devant les enfants et laisser les doutes, la tristesse emmurée prendre forme par écrit.

Le récit alterne les extraits du carnet intime d'Ama et l'histoire de la famille.  Les difficultés, l'abandon de la terre d'origine, la souffrance, l'intégration, l'adversité et la guerre mais aussi les joies sont ainsi racontés par touches très sensibles.

L'écriture de Léonor de Récondo est une palette de poésie et de sensibilité et ce roman sur l'exil m'a touchée. Mais il y a un bémol : la pudeur qui se dégage de ce roman fait barrage à des émotions plus fortes et plus denses. Et paradoxalement, elle laisse place à un sentiment avoisinant une sorte de douceur...
Une jolie découverte concernant l'écriture ! 

Ecrire pour ne pas oublier que Barcelone vient de tomber, que la guerre est finie pour nous et que l'Espagne s'éloigne. Nous sommes ici depuis de si nombreux mois et je réalise seulement au soir de cette triste journée que nous avons vécu uniquement dans l'espoir du retour. Ce rêve a lentement embrumé nos esprits, et maintenant la réalité nous frappe de plein fouet, fermant brutalement les frontières. Tant que le dictateur sera au pouvoir, nous ne pourrons pas revenir, nous le savons.

Beaucoup , beaucoup de billets aussi je vous renvoie à Babelio et à Libfly.

Une lecture dans le cadre du prix du meilleur roman des lecteurs de Points.

jeudi 23 janvier 2014

Elisabetta Bucciarelli - Corps à l'écart

Éditeur : Asphalte - Traduit de l'italien par Sarah Guilmault - Date de parution : Janvier 2014 - 214 pages qui ne peuvent qu'interpeller !

Quelque part dans le nord de l’Italie, une immense décharge à ciel ouvert et une usine d’incinération sont aux portes d’une ville. Un lieu où des personnes vivent. Quelques adultes mais aussi deux adolescents Iac et Lira Funesta en rupture avec leur famille. Cette poignée d’humains en marge de la société survit grâce à ce qu’ils trouvent dans les sacs poubelles déversés chaque jour. Organisés, ils ont leurs propres règles comme ne pas aller vers le cœur de la décharge la Putride qui ressemble à du magma de couleur opaque. Aussi dangereux et aussi imprévisible.

A côté des camions-poubelles et des pelleteuses, ils récupèrent et trient ce qu’ils ont besoin sans se faire voir. Saddam le Turc aux mains agiles répare ce qui peut l’être encore, Ian et Argos le revendent au marché aux puces le samedi matin. Le Vieux un clochard alcoolisé ne quitte pas son tas de couvertures tandis qu'Argos par sa taille est surnommé le géant. Ian est déscolarisé, il préfère vivre à la décharge qu’avec sa mère et son petit frère Tommi qui lui voue une admiration. Iac parle peu au contraire de Lira Funesta. Et si tous ont un parcours et un passé différent, ils forment une sorte de communauté. Certains savent qu’ils vivent là et leur présence dérange car eux voient ce qui s’y passe réellement. Car outre les déchets ménagers, la décharge accueille illégalement des déchets toxiques, elle est le dernier maillon d’une chaîne de trafic. Et il y a Silvia qui n’appartient pas à leur monde, une adolescente que Iac a remarquée car elle emprunte une rue située pas loin de la décharge. Fille de chirurgien esthétique, son monde à elle est aseptisé et est construit sur l’argent. Quand un incendie se déclare, seul Lorenzo un pompier s’inquiète pour eux.

Les chapitres alternent la vie des membres de la décharge et celui de la famille de Silvia. On passe ainsi de la pauvreté au luxe, du nécessaire au superficiel, de l’abîme entre privilégiés à ceux qui sont des éclopés de la vie. Si la  société actuelle de consommation toujours plus avide est pointée du doigt, ce roman dénonce avant tout le trafic de déchets qui existe bel et bien en Italie. Sous la plume de l'auteure, la décharge apparaît comme un personnage à part entière qui se nourrit et régurgite.
Quand on lit les événements et les faits énoncés dans la postface, le sentiment que l'argent domine (corruption, blanchiment provenant du trafic de déchets dangereux) au détriment de la santé et de planète fait mal....
Elisabeth Bucciarelli ne donne pas de leçon mais nous expose une triste réalité. Sombre et âpre, cette lecture interpelle et fait réfléchir ! 

Car la vie leur avait appris à tous qu'il fallait craindre ceux qui ont peur, parce que c'est la peur qui pousse à accomplir les pires infamies.

mardi 21 janvier 2014

Leçon du jour

Une gastro, une poussée de polyarthrite ou pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. Non? Voir l'Ipad sur la table de chevet de Monsieur et avoir une idée (très mauvaise) : s'en servir. Pratique, on effleure l'écran et magique les mots se tapent  (presque) automatiquement. Donc des mails,  un tour rapide sur quelques blogs. Mais ce simple effleurement dégage une tension mécanique. Leçon du jour pour moi : ne pas se servir de l'lpad en cas de poussée de polyarthrite car  la douleur est considérablement augmentée (au moins, je me coucherai moins bête ce soir).


Tout ça pour vous dire  : dont' worry be happy et à bientôt ! Le mode off est décrété ( les quelques publications lecture de cette semaine ont été rédigées semaine dernière  (oh, je me fais peur (!)).

Hubert Haddad - Théorie de la vilaine petite fille

Éditeur : Zulma - Date de parution: Janvier 2014 -  398 pages et une déception...

Nous sommes en 1838 à Hydesville dans l'État de New-York. La famille Fox y vit depuis peu dans une ferme. Kate âgée de onze est souvent réveillée par des bruits dans la maison, elle ne tarde pas à mettre sa soeur Maggie âgée de quinze ans dans la confidence. Les deux sœurs mettent au point un système simple pour communiquer avec cet esprit. Il se révèle être celle de l'ancien propriétaire de la maison et qui leur révèle y avoir été assassiné quinze ans plus tôt. Leur mère participe à ces mises en relation avec l'esprit et bientôt habitants de Hydesville et des environs, curieux se pressent dans la maison familiale. Leur sœur de vingt ans leur aînée Leah qui vit à Rochester voit l'occasion de se faire de l'argent et toute la famille la rejoint.

Les sœurs Fox vont devenir célèbres très vite. Leah organise des démonstrations où Kate et Maggie sont sur scène devant des foules. Scientifiques, médecins, gens de la bonne société veulent voir et surtout entendre l'esprit frapper par coups en réponse aux questions des soeurs. Le spiritisme voit le jour : certains deviennent des adeptes, des charlatans en profitent pour se faire passer comme médium. En quelques années, la petite entreprise dirigée par Leah est juteuse. On découvre la personnalité des soeurs, Kate qui semble avoir vraiment un don, Leah qui veut briller dans la haute société et Maggie qui ne peut rien sans Kate. Maggie et Kate deux enfants sorties de leur campagne et qui enchaînent tournée sur tournée. Mais après le succès, les soeurs connaîtront des vies bien tourmentées.

L'auteur n'oublie pas le contexte historique de l'époque et comment le spiritisme a divisé, créant un fossé dans son lit. Hélas, l'écriture d'Hubert Haddad prêche plus dans un style ampoulé qu'élégant et je me suis ennuyée.
Après un démarrage lent, je me me suis sentie engluée comme dans la lecture d'un précis sur le spiritualisme moderne anglo-saxon qui a vu le jour dans cette seconde moitié du XIXe siècle. Je n'ai pas réussi à cerner si Kate avait vraiment un don, à ressentir des émotions. Une déception....

Le billet de Kathel qui  a été également  déçue, Jostein et Yv sont plus enthousiastes.

Lu de cet auteur Vent printanier un  très beau recueil  de nouvelles.

samedi 18 janvier 2014

Céline Lapertot - Et je prendrai tout ce qu'il y a à prendre

Éditeur : Viviane Hamy - Date de parution : Janvier 2014 - 182 pages dures, bouleversantes, écrites sur le fil du rasoir !

Charlotte âgée de dix-sept ans va comparaître devant le juge pour avoir tué son père. Elle a commis cet acte pour se libérer de sa prison.

Une belle maison, un père qui a un bon travail et qui sait manier les mots, une mère qui est une fée du logis et mijote de bons plats. La façade parfaite que bon nombre de personnes peuvent envier. Mais derrière cette porte, derrière cette fausse ambiance et  ce simulacre de la famille heureuse, il y a l’enfer que vit Charlotte depuis ses sept ans. Son père lui a repeint sa jolie chambre de petite fille où les nouveaux jouets et livres abondent. Malgré son jeune âge, elle a compris que son père bat sa mère qui encaisse sans broncher.
Alors qu’une copine est venue admirer sa toute nouvelle chambre, Charlotte ravale sa salive en entendant le bruit de la porte d’entrée qui s’ouvre. Son père est rentré et une fois de plus, il lève la main sur sa mère. Pour avoir mis ses mains sur ses hanches et affiché une mine renfrognée, son père la punit. Elle va dormir dans la cave, pas une nuit, non, mais toutes les nuits. A côté des sacs de pommes de terre, il a mis un lit et un bureau. Voilà sa nouvelle chambre. Préméditation flagrante de son père qui avait pris ses précautions avant que sa fille ne raconte à quiconque ce qui se passe chez eux. A l’école, Charlotte est mise à l’écart ce qui l’arrange.

Elle vit sous les menaces de ce père manipulateur, narcissique qui ira jusqu’à l’enchaîner dans son lit quand un jour elle voudra dormir dans sa chambre. Elle nous raconte comment ses grands-parents n’ont rien vu quand ils venaient , la "fille chérie" découvrant sous l’insistance perverse de son père « mais montre ta chambre » une vraie chambre d’ado où elle ne dort pas. Son isolement, ses notes trop basses vont déclencher un contrôle mais personne ne devinera ce que dissimule son armure de silence car Charlotte encaisse beaucoup, trop. Sa mère n’a jamais essayé de protéger la chair de sa chair en cassant ce carcan. Son attitude d’épouse soumise créée chez sa fille un abime. Tout avouer ? Se taire encore ? Torture supplémentaire de l’esprit avec toujours cette peur, cet espoir que tout ça cesse un jour. Sa seule échappatoire est la lecture qui permet de s'évader de sa geôle.

Quelques heures avant de passer devant le juge, Charlotte consigne le tout dans un cahier qu’elle va remettre au juge pour qu’il la lise. D’une volonté inflexible, déterminée à ce qu’on ne lui vole plus sa vie, elle la victime dont la société n'a pas su déceler la détresse.

Sans larmoyant et avec une incroyable justesse, la distance et la volonté de Charlotte nous sautent au visage. L’écriture de Céline Lapertot est sur le fil du rasoir et il le fallait car la maltraitance et les oripeaux dont elle se pare, de l’enfance et de l’adolescence saccagées sont des thèmes peu faciles. Ce livre est dur et les mots adressés au juge en aparté sont comme des gifles… Oui , dur et douloureux, mais si criant de cette vérité qui existe bel et bien. J’ai terminé ce livre avec l’impression d’avoir reçu un uppercut et cette envie de crier.


"L'indicible, l’innommable."
Voilà ce que je vous écris monsieur le juge. 
"Connaissez-vous cette peur si instinctive qu'elle en capture les mots?"

Je suis une victime. Une victime détestée par d'autres victimes qui ont eu , elles, le courage de parler. Une victime gênante pour les bien-pensants qui s'imaginent qu'ils auraient mieux fait que moi.
Moi je lui  aurais fait du chantage. 
Moi j'aurais tout dit à  mes profs.
Moi je l'aurais tué depuis longtemps déjà.
Moi j'aurais profité des grands-parents pour avoir une nouvelle vie.
Tant de gens qui maîtrisent à la perfection l'art "du" et "si". Tant de gens qui savent ce que doit être une victime. 

Le billet de Séverine

jeudi 16 janvier 2014

Stewart O'Nan - Un mal qui répand la terreur


Éditeur : Editions de l'Olivier - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Ménard - Date de parution : 2001 - 256 pages magistrales ! 

Frienship une petite ville dans le Wisconsin où Jacob Hansen porte plusieurs casquettes : à la fois celle du shérif, du pasteur et de l’embaumeur. Il a participé à la guerre de Sécession qui s’est déroulée il y a peu et il est marqué à tout jamais. Durant un été particulièrement caniculaire alors qu’il sillonne la campagne avoisinante à bicyclette, il trouve le corps d’un soldat.

Jacob marié et père d’une petite fille âgée de quelques mois est le narrateur des événements qui vont se produire. Mais il emploie le  "tu " pour parler de lui et dès les premières lignes ce choix donne une sensation attirante et angoissante. Jacob très croyant, qui nous raconte sa phobie pour les chevaux depuis la guerre, du soldat Norvégien malade dont il s’occupait. Et parce Jacob parle tout seul quelquefois, certains le surnomment le fou. Plusieurs habitants de Frienship tombent malades, meurent. Le docteur est formel, il s’agit de la diphtérie. L’épidémie se propage et la quarantaine s’impose. Certaines familles doivent rester cloîtrées chez elles et la ville est coupée du reste du monde. Jacob doit préparer les morts, faire des cercueils et veiller à ce que tout le monde obéit aux consignes. Sans compter un incendie qui se rapproche rapidement.

Et la tension va en crescendo atteignant son paroxysme dans les dernières papes où Stewart O’Nan assène au lecteur des claques! Les cartes sont quelquefois volontairement et habilement cachées. On découvre toute la vérité dans ces dernières pages terribles, étouffantes, douloureuses !  Et on est ferré, interpellé par ses réflexions, ses interrogations, les choix qu'il fera ou non car ce roman nous interroge sur le mal, sur notre condition d’humain ( et donc sur notre pouvoir d'agir ou non, nos convictions), sur la culpabilité. Je n’en dirai pas plus...

Une lecture dont on ne sort pas indemne, vous êtes prévenus ! Magistral, du grand Stewart O’Nan !

Qui aurait pensé que tu deviendrais amer? Qui aurait attendu ça de toi ? Alors, tu te retournes et tu murmures une autre prière dans ton oreiller parce que tu es trop orgueilleux pour admettre que tu as tort. Non parce que tu as peur. Mais parce que tu ne peux pas changer ce que tu es.

Lu de cet auteur (chouchou) : Chanson pour l'absenteEmily - Les joueurs - Nos plus beaux souvenirs

mercredi 15 janvier 2014

Sophie Bassignac - Mer agitée à très agitée


Éditeur : JC Lattès - Date de parution : janvier 2014 - 236 pages et une jolie surprise !

Maryline et son mari se sont installés en Bretagne là où Maryline a grandi depuis plusieurs années. Le couple a quitté New-York où il menait une vie bien différente. Elle ancien mannequin et lui rocker héroïnomane, ce changement était pour sauver William de ses démons. Maryline a transformé l’ancienne maison en chambre d’hôtes où différents clients séjournent. Elle surveille toujours William du coin de l’œil et affronte la crise d’adolescence de leur fille boulimique à la forte personnalité. Ce quotidien est chamboulé par la découverte matinale du cadavre d’une jeune fille sur la plage plus bas que la maison.

Dès les premières pages, le ton est donné. Un humour souvent ironique souffle sur les personnages. Seul William et ses manières si délicates semble épargnés car Maryline veille sur lui comme sur un enfant. Maryline est bouleversée car William est rentré ivre après une soirée en compagnie de deux de ses amis la veille de la découverte macabre. Et pour protéger William, Maryline est prête à tout même s’il n’y pas mêlé à cette mort. Et c’est justement en voulant protéger son mari que Maryline va changer la vision de son couple, ses relations avec sa fille.

Un antiquaire pervers, me premier amour de jeunesse de Maryline  revenu  : tout cela pourrait paraître de trop ou peu crédible. Mais justement Sophie Bassignac sait nous entraîner dans les tourments de son héroïne en jonglant entre comédie et drame, et  un sens aiguë pour camper ses personnages. Le ton léger des premières pages laisse place à une mélancolie douce sur le couple et de ses remises en question, la mort, l’épanouissement et les choix auxquels on est confronté alors que le temps s’égrène irrémédiablement. Si j'avais été déçue par "un jardin extraordinaire", ce roman m'a réconciliée avec l'auteure ! 

Lu également de cette auteure : Dos à dos

lundi 13 janvier 2014

Maylis de Kerangal - Réparer les vivants


Éditeur : Verticales - Date de parution : Janvier 2014 - 281 pages majestueuses pour une ode à la vie!

Simon Limbres passionné de surf est victime d'un grave accident de voiture à dix-neuf ans. Dans un coma dépassé, son état est irréversible. Perfusion lente et profonde d'une lourdeur sourde à ses parents, les mots et les pensées qui s'entrechoquent et se brouillent à la vision de Simon qui semble vivant car il est maintenu en vie grâce à des machines. Mais Simon est cliniquement mort et l'équipe médicale souhaite prélever ses organes dont son cœur pour transférer la vie.

Mais pourquoi ai-je attendu si longtemps pour lire Maylis de Kerangal? Quelle écriture mais quelle écriture sublime! Elle s'approprie les lieux, le temps, ses personnages. Les ressentis sont désincarcérés pour nous foudroyer de plein fouet. Elle fait parler les silences et les recoins, les habite d'une écriture sauvage, maîtrisée et majestueuse, étire les rubans de phrase (mais sans jamais perdre le lecteur) pour y planter et dresser des refuges pour ses personnages si humains, elle nous bouscule et nous fait chavirer.
L'écriture s'orchestre autour de cette transplantation cardiaque. Du chant de douleur des parents à la procédure collective médicale, ce rituel minutieux et ordonné d'une équipe où chaque minute compte, les émotions irradient à chaque page.
Les personnages ne parlent pas, ils murmurent, crient de rage, demandent avec espoir, soufflent ou dictent un mot, halètent d'angoisse. Associés au langage du corps, les espaces réverbèrent la langue, se font échos de l'intensité qui enveloppe ces vingt-quatre heures de l'accident de Simon aux différentes de l'opération. Un travail collectif autour d'un même but où chacun a un rôle précis à jouer, une symphonie orchestrée sans aucune fausse note de permise  : les espoirs du futur receveur se cristallisent et  les parents de Simon approchent l'idée du décès de leur fils.

Nous sommes projetés dans la peau et l'esprit de Marianne ( la maman de Simon), dans celui d'une infirmière ou du coordinateur des greffes ou du chirurgien avec toute leur humanité, et ce sont autant d'émotions qui prennent à la gorge. Entre cette sorte de paix qui nous gagne par les représentations symboliques du cœur, les questions inhérentes de ses parents ( le cœur de Simon qui battra bientôt dans une autre cage sera t-il porteur de l'esprit et du caractère du jeune homme?) et celles  du receveur, la tension fluctue très irrégulièrement, le lecteur est balloté et l'on ressent la situation, on éprouve les sensations des différents personnages.

Maylis de Kerangal évite tout pathos, elle fait fait preuve d'une finesse intelligente et éblouissante par son style, par sa capacité à rendre l'intensité, l'humanité de ce qui gravite et interfère autour de la mort et la vie.
J'ai fait corps avec cette lecture magnifique, puissante et délicate ! Et impossible de choisir un seul extrait... 


samedi 11 janvier 2014

Carole Zalberg - Feu pour feu


Éditeur : Actes Sud - Date de parution : 2014 - 72 pages qui nous marquent au fer rouge ! 

Il a fui  son pays. Il a laissé derrière lui sa terre où sa femme est morte et est parti avec son bébé. S'exiler pour échapper à  l'horreur avec un doux rêve offrir à Adama une vie sereine. Ils ont connu les camps de clandestins après une traversée sur un bateau de fortune. Ne pas y rester, toujours avancer vers son but. Et la France lui a donné un travail, un toit pour habiter avec Adama, mais sa fille quinze ans plus tard est devenue une comme une carte sans mode d'emploi. Adama a grandi en bas des tours de la cité pendant que son père s'échinait au travail. Fleur épineuse, bouillante de colère à l'inverse de son père terré dans son mutisme. Adama traîne avec ses copines, toujours partante pour des mauvais coups. Sauf qu'un acte peut avoir des conséquences criminelles même si on n'est qu'une adolescente.

Et les deux récits s'élèvent de ce livre. Deux vies si unies au départ poussées par des vents différents. La voix du père qui cherche à comprendre l'acte de sa fille mêlé au désespoir  et celle d'Adama façonnée au langage des cités. Deux voix où l'amour d'un père pour sa fille, les épreuves qu'il a endurées, l'incompréhension s'opposent à la désinvolture et à l'insouciance d'Adama.

Un texte d'une intensité très forte qui valdingue le lecteur sur l'exil, les difficulté d'insertion et le marque au fer rouge.

Je n'ai jamais oublié que nous sommes ici non pour y être heureux mais parce là-bas nous n'aurions tout simplement pas vécu.

Le billet de Brize

Lu de cette auteure : A défaut d'Amérique - Et qu'on m'emporte - La mère horizontale

jeudi 9 janvier 2014

Julia Kerninon - Buvard


Éditeur : Le Rouergue - Date de parution : Janvier 2014 - 200 pages et un premier roman brillant ! 

Ce qui devait être une interview d’une après-midi s’est transformé pour Lou en neuf semaines à habiter chez l’auteure Caroline N. Spacek "boire et parler et parler et remettre inlassablement des piles dans le dictaphone". Caroline N. Spacek presque quarantenaire vit en solitaire dans le Devon en Angleterre. Tombé amoureux de son écriture, Lou ce jeune journaliste veut la rencontrer. Elle accepte alors qu’elle a toujours fui.

Caroline N. Spacek n’était pas destinée à approcher l’écriture ou la littérature. Ni de loin ni de près. Pourtant elle est devenue une romancière talentueuse à la personnalité forte, imprévisible, avide de toucher au plus près la quintessence des mots. Impressionné et intimidé, Lou mesure sa chance d’être chez elle. Par bribes, Caroline va lui raconter sa vie. L’enfance et l’adolescence n’ont pas été tendres pour elle et il aura fallu que le hasard mette sur sa route le poète Jude Amos. Il l’embauche en tant que secrétaire et elle lâche son job de serveuse. Elle le suit partout, tape à la machine les textes qu’il lui dicte à voix haute. Il l’oblige à se plonger dans les dictionnaires. Très vite, Caroline finira par trouver pour lui le mot manquant ou à rectifier une phrase. Jude Amos ne croit pas que cette fille ne connaisse rien à la littérature. Il la congédie et quelques mois plus tard, elle publie son premier recueil de nouvelles. Caroline est habitée viscéralement par l’écriture, elle vit pour elle la faisant passer avant sa vie personnelle et ses amours. Le monde de l’édition lui reproche son attitude farouche, distante et son écriture singulière. Le succès de cette jeune femme énigmatique attise les curiosités. Et pour se protéger, Caroline écrit encore et toujours. Mais plus elle écrit, plus elle trace son sillon de solitude.

Lou l’écoute, pose peu de questions, il enregistre et retrouve dans la voix rocailleuse de Caroline les stigmates de la violence et du rejet qu’il porte depuis son enfance. Il doute par moments de la véracité des propos de Caroline, s’interroge. Et le récit est tout naturellement émaillé par les impressions et les pensées de Lou entre ébahissement et émerveillement.
Mais il y a beaucoup plus dans ce roman! Car on est avec Caroline et Lou, et tout est tellement palpable : l’atmosphère, les ressentis avec cette rage et cet amour de la littérature, la recherche de la perfection, et Lou qui s'imprègne de Caroline.

L'écriture de Julia Kerninon est très visuelle, elle nous transporte près de ses personnages et elle nous introduit dans leurs vies. Il y a  cette quête du bonheur et les jours sombres avec deux personnages qui se reflètent l'un dans l'autre au fil des pages. De la genèse d’un roman à tout que qu’un auteur met de sa personne dans un livre, des sacrifices personnels que l’on reconnait trop tard au rôle de la littérature dans nos vies, Caroline se raconte, et ce n’est forcément Lou qui l’apprivoise. Le lecteur le comprendra.

Il fallait du talent pour écrire ce roman et Julia Kerninon le possède ! Un premier roman brillant lu en apnée totale et je me suis délectée !

mercredi 1 janvier 2014

Bonne année !

Je sais, je suis originale dans mon titre ce premier  jour de l'année. On a tourné, remonté la petite clé de la boîte à musique. Tout le monde est prêt? On soulève le couvercle et …  Maestro ! On repart pour une danse de 365 jours et je vous souhaite "plein de belles choses". Je laisse le soin à chacun de mettre ce qu’il veut sous cette expression car nos attentes peuvent être différentes.

Pas de résolution pour ma part sauf appliquer toujours la même recette : croquer la vie avec ses bonheurs simples et croire au pouvoir des mots car je reste persuadée que ces derniers peuvent changer ou améliorer les vies et le monde.

Alors simplement et sincèrement, je vous souhaite de l'amour, de la gaieté, des fous rires, de la fantaisie pour balayer le terne, de l'amitié,  de beaux échanges et plein de belles lectures pour 2014!