vendredi 30 septembre 2016

Petite pause (forcée)

Je reviens bientôt, pause forcée (pas de tension).

J'ai été gâtée ! Marie-Claude de Hop! Sous la couette m' a expédiée un colis 100% Québec  ( suite à un commentaire laissé sur son blog pour un concours) : des livres, du fondant de sirop d'érable, un savon qui sent divinement bon (et que tout le monde veut me piquer) et de jolis post-it pour mes livres hérissons.

A très vite! En attendant repos, repos et repos.






mercredi 28 septembre 2016

Bérangère Lepetit - Un séjour en France, chronique d'une immersion

Éditeur : Plein Jour - Date de parution : Septembre 2015 - 155 pages  

Janvier 2015, Bérangère Lepetit a gommé de son CV son emploi de journaliste au journal "Le Parisien". Elle y a ajouté une formation quelconque. Le but ? S‘immerger dans le monde de l’agroalimentaire dans le Centre–Finistère. Elle s’inscrit dans une agence d’intérim et elle commence par deux jours à la chaine chez Monique Ranou à Quimper. Ce qu’elle veut c’est l’usine Doux à Châteaulin. En 2013, elle avait couvert les difficultés de l’industrie agroalimentaire dans cette région et elle veut se rendre compte par elle-même du travail à la chaîne. Pendant 4 semaines elle a travaillé à côté des employés de Doux l'entreprise qui exporte ses poulets à travers le monde.

Elle est affectée à l’atelier de conditionnement et travaille en deux-huit " le matin la semaine 1, de 5h30 à 13h00. L’après-midi la semaine 2, de 13h00 à 20h 40. Puis vice-versa." Elle met en carton des poulets (qui peuvent peser jusqu’à 1,6 kg) avec deux pauses ( le temps de boire un café et de grignoter un peu pour tenir). Un travail répétitif, pénible pour "un salaire de 9,61 euros horaire plus 1,068 de prime d’habillage-déshabillage". Là voilà ouvrière vêtue de sa blouse et sa charlotte bleue comme les autres, à pointer, à devoir toujours suivre la cadence. Un monde à part où les chefs sont repérables à la couleur du casque et dont le bureau est appelé "Guillotine". Le travail, le bruit, le froid, la salle de pause  des collègues qui vous donnent des conseils. Elle raconte cet univers où certaines travaillent là depuis plus de trente et attendent un jour la retraite : leur quotidien, la fatigue, l’impression de vivre enfermé dans ce travail, l’emploi précaire via l’intérim.
La venue d‘Emmanuel Macron à l’usine les fera travailler plus tard pour rattraper le retard engrangé. Pour les ouvriers et les ouvrières, le cortège des politiques signifie invariablement des journées à rallonge. Mais rien de plus sauf qu’il faut que tout soit plus que parfait dans l’usine.

J'ai aimé sa démarche  qui s'intéresse aux personnes  ( car d'habitude "ce n'est pas le travailleur qui intéresse le consommateur") et à cette région où j'ai grandi.
"Quand les médias nationaux parlent de la Bretagne, c'est souvent un teinté de folklore. Les pêcheurs en colère, les paysans en colère, les choux-fleurs sur les routes. Depuis les émeutes de 2005, les journaux se sont concentrés sur les problèmes des banlieues, les jeunes des cités, délaissant un peu les zones rurales ou périurbaines qui ont continué à vivre, à se développer dans une forme d'indifférence. À vieillir aussi."

Un témoignage avec beaucoup d'humanité  et sans condescendance pour ces ouvrières et ces ouvrières. Ce livre lève le voile sur ce monde souvent inconnu alors que "l’industrie agroalimentaire était (et est toujours) le premier secteur industriel national".

Je me suis souvent demandé ce que j'avais retenu de cette expérience. Je n'ai jamais eu beaucoup de certitudes mais j'en ai encore moins, maintenant. Les seules qui résistaient ont été durablement ébranlées. Je sais juste que je porte un regard différent sur les gens qui vont arrêter de voter, subissent leur travail et attendre la retraite avec impatience. Je les comprends. Je mange aussi beaucoup moins de poulet et de  jambon.

mardi 27 septembre 2016

Colm Toibin - Nora Webster

Éditeur : Robert Laffont - Traduit de l'anglais (Irlande) par Anne Gibson - Date de parution : Août 2016 - 411 pages et un beau portrait de femme! 

Autant j'étais passée à travers de  "Brooklyn" sur une jeune femme quittant l’Irlande pour les Etats-Unis (d’ailleurs dans les toutes premières, Eilis est mentionnée dans une conversation car l'action se déroule dans la même petite ville), autant ici je me suis attachée au personnage de Nora Webster.

Fin des Année 60, Irlande. Maurice, le mari de Nora vient de mourir. Ses voisins et sa famille sont très présents mais elle étouffe sous l'apitoiement et la compassion. Mère de quatre enfants, femme au foyer et dans une situation financière tendue, elle doit faire des sacrifices et travailler. Nora vivait à travers Maurice, elle n’avait jamais d’opinion tranchée ou ne prenait jamais part aux conversations liées à la politique. Même si désormais elle doit gérer tout toute seule, Nora ne baisse jamais les bras. Et au fil des mois, elle devient petit à petit une nouvelle femme .

Elle ose s’imposer, prendre des initiatives et assume ses responsabilités. A plus de quarante-cinq ans, Nora prend des cours de chant et se passionne pour la musique classique. Ses enfants ou sa famille ne comprennent pas toujours ses choix mais elle mène à bien ses décisions. Veiller sur ses garçons qui éprouvent des difficultés depuis la mort de leur père tandis que l’une des ainées s’entiche de politique, faire son propre deuil : quelquefois elles se sent bien seule (ce qui est normal) mais elle reprend toujours le dessus. Et surtout, Nora découvre et apprécie la liberté dont elle dispose et tant pis pour les mauvais langues. En fond, il y a les événements politiques de l’époque (les affrontements en Irlande du Nord) et la place des femmes en Irlande à la fin des années 60 et début des années 70.

Un beau portait de femme très juste où Tom Toibin s'attache aux instants du quotidien, aux ressentis profonds de son héroïne (et bonus, il y a des scènes qui m'ont fait rire aux éclats). J’ai beaucoup aimé Nora et je me suis sentie proche d'elle tout au long de ce roman.

Ce fut au bout d'un mois seulement, après quatre ou cinq leçons, qu'elle s'aperçut que la musique l'éloignait de Maurice, l'éloignait de la vie qu'elle avait eue avec lui, et de la vie qu'elle avait avec les enfants. Ce n'était pas seulement le fait que Maurice n'avait pas l'oreille musicale et que la musique était une chose qu'ils n'avaient jamais partagée. C'était l'intensité de ces moments ; elle était seule avec elle-même en un lieu où il ne l'aurait jamais suivi, même dans la mort.

Le billet de Kathel qui l'a lu en VO.

samedi 24 septembre 2016

Eric Vuillard - 14 Juillet

Éditeur : Actes Sud - Date de parution : Août 2016 - 200 pages formidables ! 

Les romans historiques ne sont pas ma tasse de thé aussi  un livre avec pour titre 14 Juillet n’avait rien pour m’attirer. Il y a eu sur Facebook une conversation sur ce livre et cet auteur mais j’étais toujours en résistance. Et Delphine (Dialogues) m’en a parlée mais surtout elle m’a fait lire des passages. Et l’écriture d’Eric Vuillard m’a soufflée.

"Il faut écrire ce qu'on ignore. Au fond, le 14 Juillet on ignore ce qui se produisit. Les récits que nous en avons sont empesés ou  lacunaire. C'est depuis la foule sans nom qu'il faut envisager les choses. Et l‘on doit raconter ce qui n'est pas écrit."
Eric Vuillard n’a pas l’intention de nous raconter le 14 Juillet et ses événements d’un point de vue formaté. Non, lui ce qui l’intéresse c’est le peuple.
Avril 1789, la cour du Roi a beaucoup joué et s'est amusée  de fanfreluches et de caprices. Le peuple meurt de faim et grogne de mécontentement. Réveillon patron d’une manufacture veut baisser les salaires des ouvriers. C’est la goutte d’eau qui fait déborder de vase. Des émeutes suivent, la folie Titon est saccagée et malgré les morts, il n'y a pas de retour au calme.
L’auteur identifie les dix-huit victimes et leur redonne vie.

Et le récit continue, les journées précédant le 14 juillet naissent sous nos yeux avec cette foule: "On dirait que Paris vient d'être frappée par une immense baguette de sourcier ; de toutes parts, ça s'écroule, entre les murs jaunis, à travers les jardins et le long des fosses. Il y a des gens partout. Il faut imaginer ça. Il faut imaginer un instant le gouverneur et les soldats de la citadelle jetant un oeil par-dessus les créneaux. Il faut se figurer une foule qui est une ville, une ville qui est un peuple. "

On se passe le mot, l'embrasement se propage. Les anonymes sont des noms, des personnes et ce sont eux les acteurs. On est immergé dans cette foule. Ca crie, ça revendique, on se bouscule ou on s'aide, de simples curieux à ceux qui ont des convictions ou pas.
"Qu'est-ce que c'est, une foule ? Personne ne veut le dire. Une mauvaise liste, dressée plus tard, permet déjà d'affirmer ceci. Ce jour-là, à la Bastille, il y a Adam né en Côte-d'Or, il y a Aumassip marchand de bestiaux né à Saint-Front-de Périgueux il y a Béchamp, cordonnier (…)... c'est étrange les noms, on dirait qu'on touche quelqu'un. Ainsi, même quand il ne reste rien, seulement un nom, une date, un métier, un simple lieu de naissance, on croit deviner, effleurer. Il semble qu'on puisse entrevoir un visage, une allure, une silhouette. Et, entre les mâchoires du temps, on croit parfois entendre des voix, (..). "

C’est vivant et fiévreux comme l’écriture. Elle nous happe par sa fougue, elle suscite des émotions, une frénésie contagieuse. A certains passages, cette écriture joue aussi délicieusement avec l'insolence.
Changement de ton pour la dernière page magistralement  belle,  Eric Vuillard nous rappelle que l’on peut changer le cours de l’Histoire et "forcer les portes de nos Elysées dérisoires".
Un livre formidable et généreux avec une écriture qui m'a conquise ! 

Versailles est une couronne de lumière, un lustre, une robe, un décor.Mais derrière le décor, et même dedans, incrustée dans la chair du palais, comme l'essence même de ses plaisirs, grouille d'activité interlope, clabaudante, subalternes. Ainsi, on trouve des fripiers partout, car tout se revend à Versailles, tous les cadeaux se remonnayent et tous les restes se remangent. Les nobles bouffent les rotagons de première main. Les domestiques rongent les carcasses. Et puis on jette les écailles d'huîtres, les os par les fenêtres. Les pauvres et les chiens récupèrent les reliefs. On appelle ça la chaîne alimentaire.
 
Les billets de Delphine, KeishaSandrine

vendredi 23 septembre 2016

Helen Macdonald - M pour Mabel

Éditeur : Fleuve éditions - Traduit de l'anglais(Royaume-Uni) par Marie-Anne de Béru - Date de parution : Août 2016 - 399 pages et une belle découverte!

Fascinée depuis son enfance par  la fauconnerie, la narratrice se lance dans d’un projet nourri depuis longtemps : dresser un autour. Le décès de son père est l’élément  déclencheur qui lui fait franchir le pas. Sans être novice, férue de littérature en rapport avec les rapaces, Mabel est pourtant son premier autour, un puissant rapace.

Elle s‘isole, ne sort que rarement de chez elle car Mabel  a besoin dans premier temps de s’acclimater.  Sans s’en rendre compte, elle tombe  dans la spirale de la dépression et focalise toute son attention uniquement sur le rapace. Ses appréhensions sur le premier vol de Mabel, la nourriture et le poids du rapace,  toutes les étapes sont décrites et très bien rendues.Ce livre ayant été écrit bien après, Helen Macdonald a ce regard distancié sur les événements de l’époque et sur son comportement qu’elle analyse avec une beaucoup de discernement.
Si Mabel l’a accompagnée durant le chemin du deuil, il  a été également bien plus qu’une béquille pour sortir de sa dépression. Les extraits des carnets de Mr White qui dans les années 30 voulut dresser un autour  émaillent le livre. A  la froideur de White s’oppose la sensibilité  de l’auteur.  
Sur un thème qui à priori ne m’attirait pas, j’ai appris beaucoup d’informations (certaines m’ont plus intéressées plus que d'autres) mais surtout le récit intime d’Helen Macdonald, cette introspection m’a vraiment touchée.
Le fait qu’elle s’interroge énormément sur son rapport avec Mabel est un point fort  et il permet de faire passer certaines longueurs.
Il y a beaucoup de pudeur cette une écriture très visuelle qui dépeint aussi bien la nature, Mabel que les émotions les plus profondes. Une belle découverte !

L'archéologie de la douleur ne se fait pas avec ordre et méthodes. Cela ressemble davantage à la terre que vous retournez à la bêche et où vous découvrez parfois des choses oubliées. Des éléments surprenant refont surface non seulement les souvenirs, mais aussi des états d'âme, des émotions, des visions du monde plus anciennes. 

Il y a un abîme entre la vie viscérale et sanglante que je partage avec Mabel et la vision distanciée, réservée, qui caractérise la façon dont nos contemporains apprécient la nature. Je sais que certains de mes amis considèrent le fait de vivre avec un faucon comme quelque chose de moralement suspect, mais je ne pourrais pas aimer les oiseaux les comprendre aussi profondément si je ne les avais vu que sur des écrans. J'ai fait d'un faucon un fragment de vie humaine et d'une vie humaine un fragment de la vie d'un faucon, ce qu'il a rendu un million de fois plus complexe et source d'émerveillement à mes yeux. 

Le billet de Cathulu qui m'avait donnée envie.
Merci à Babelio pour cette lecture.

jeudi 22 septembre 2016

Isabelle Desesquelles - Les âmes et les enfants d'abord

Éditeur : Belfond - Date de parution : Janvier 2016 - 105 pages nécessaires.

Venise. Place Saint Marc. Une forme à terre ou plutôt un amas de guenilles qui couvre une femme. Elle tend sa paume "ouverte vers un ciel aveugle" au passage de la narratrice accompagné de son fils. Cette femme qu’Isabelle Desesquelles appelle Madame est une mendiante  ( et il ne faut pas voir de l’ironie dans cette dénomination de la part de l’auteure).

Nous croisons forcément dans des différents lieux ces mains ou ces verres en plastique en guise de sébile. Quel est est notre regard, notre pensée ? Que fait-on ?
Sujet tabou, délicat même difficile. On peut se chercher des excuses, se donner bonne conscience et puis on oublie jusqu’à la prochaine personne qui elle-aussi demandera quelques pièces.

Ce court texte nous questionne, nous renvoie à nous-mêmes. Il n’ a y aucun jugement de porté. Non, juste ces situations et les constats d’un monde fracturé. Il n’y a pas non plus de solution miracle ou utopiste d'apportée ou de préconisée.
Que dit-on à nos enfants comme la narratrice devant la pauvreté? Qu’on n’y peut rien, que ce n’est pas de notre ressort? Crier ou chuchoter honteusement notre impuissance ?

Après un début où l'auteur cherche un peu son style, viennent l'humilité, le respect et des phrases qui sont des uppercuts, et au fil des pages on ressent toute l’humanité de l’auteure.
Plus que marquante, cette lecture est nécessaire. 

Vous pesez sur ma conscience et c'est un bien. Ni remords, ni un reproche, pas exactement une obsession, plutôt un pincement, il enjoint de ne pas être oublié. 


Comment elles coexistent nos âmes ? A interroger notre humanité, on questionne notre inhumanité. Personne ne le veut, c'est tellement plus facile de détourner les yeux.

Les sourires, ça lui, je lui en donne en veux-tu en voilà. C'est gratuit. Mon fils a encore l'âge de croire à mon histoire de sourires : "On ne peut pas donner de l'argent tous les jours, mais sourire et dire bonjour, oui. Ca vaut aussi beaucoup et rend heureux". Voilà comment yeux de son fils on passe pour une gentil maman, bienveillante et généreuse avec les pauvres. Il ne manquerait plus que je profite de la crédulité de mon enfant. Heureusement, Madame, vous êtes là pour me pour me rappeler que la misère ne se paye pas d'un écran de fumée.

Au milieu du concentré de bêtises, d'indécence et de cynisme véhiculée par les médias, on s'est émus momentanément des naufragés de Lampedusa. (...) On attend le prochain chiffre, après Lampedusa, sur trois cents noyés, on peut faire cinq cents non ? (...).

Ils sont des milliers, ils sont cinq mille à avoir tenté d'approcher les côtes européennes l'année dernière. Quelle importance s'il en manque à l'arrivée, il y aura toujours bien assez de réfugiés, et de quidams devant les infos et l'apéro pour s'y noyer.

Le billet récent de Stéphie (une piqure de rappel pour ce livre noté depuis sa parution). D'autres billets : Alex - Laure -  Mirontaine - Sabine ( qui cite de très beaux passages) - Sylire - ValérieVirginieYv

mercredi 21 septembre 2016

Emily St. John Mandel - Station Eleven

Éditeur : Rivages - Traduit de l'anglais (Canada) par Gérard de Chergé - Date de parution : Août 2016 - 475 pages et  grand plaisir de lecture ! 

Toronto. Lors de la représentation théâtrale du Roi Lear l’acteur Arthur Leander s’effondre sur scène et meurt. Au même moment, une pandémie la grippe de Géorgie se propage à toute vitesse et décime presque toute la population mondiale. Deux personnes présentes à cette représentation vont survivre : un spectateur Jeevan et la petite Kirsten âgée de huit ans qui était sur scène.

Deux décennies plus tard dans un monde où tout ce qui existait avant n’est plus, Kirsten fait partie de la Symphonie Itinérante. Acteurs, musiciens, ils se déplacent dans la région du lac Michigan pour jouer Shakespeare ou Beethoven dans les villes (une ville est devenue un endroit où vivent quelques familles). Et même si l’insécurité est de plus en plus grande, ils continuent.

Avec des allers-retours entre passé et présent toujours très fluides, on suit Jeevan, Kisten et d’autres personnages sans jamais être perdu. Arthur Leander est celui qui les relie les uns aux autres. Si Kisten n’a plus aucun souvenir de son enfance et du monde tel qu’il existait, elle garde avec elle une bande dessinée dont le titre est Station Eleven qui lui a été donné par Arthur Leander.

Diablement efficace et addictif, il serait réducteur de ne parler que de roman d’anticipation ou de roman noir tant Emily St. John Mandel intègre plusieurs genres à merveille. Le souvenir, l'humanité (sa quasi-disparition et sa renaissance),  l'art et sa beauté sont les principaux thèmes de ce roman qui jamais ne sombre dans la noirceur. Bien au contraire il est porteur d’espoir. Et les émotions sont bien présentes.

Des personnages attachants, une intrigue très bien menée,  une belle écriture : les pages se tournent toutes seules. Un vrai et grand plaisir de lecture pour ce livre captivant ! 

" A certains moments, murmura Auguste, j'ai envie de me poser. Ça t'arrive d'y penser ? 
- Ne plus voyager, tu veux dire ? 
- Tu y penses, quelquefois ? Il doit bien exister une vie plus stable que celle-ci. 
- Sûrement, mais dans quelle autre vie pourrais-je jouer du Shakespeare ?" 

Les billets de Cath (merci) et de Cuné également enthousiastes. Plein d'autres avis sur Babelio.

Lu de cet auteur : On ne joue pas avec la mort

mardi 20 septembre 2016

Elisa Shua Dusapin - Hiver à Sokcho

Éditeur : Zoé - Date de parution : Août 2016 - 140 pages très belles !

A Sokcho, Kerrand un auteur français de bandes dessinées s’installe dans une pension où travaille une jeune femme. La petite ville portuaire proche de la Corée du Nord n’a rien qui justifie que l’on y vienne en hiver. Et pourtant il y séjourne suscitant l’intérêt de la narratrice. La France est le pays de son père qu'elle n'a jamais connu et exerce sur elle une fascination. Entre timidité,  appréhension, et envie,  elle observe à la dérobée l’auteur, traque ses habitudes tout comme ses dessins inachevés jetés à la poubelle.

Ce premier  roman possède bien plus d’une qualité. Il y a l’atmosphère que l’on ressent sans toutefois la définir précisément. Tout comme les personnages qui gardent une part de mystère. Et c'est un livre où chacun peut à partir de l’histoire assez simple y ajouter sa version.
A partir de la relation entre les deux personnages principaux sur la défensive,  l'auteure nous parle de fragilité, du bruissement de deux cultures qui se croisent, des contraintes et des libertés.

Avec une écriture épurée,  belle et qui fait appel aux sens,  ce premier roman d’Elisa Shua Dusapin est une  découverte à part !
Il s’en dégage une sensualité tout en pudeur, une grâce délicate et une sensibilité qui m’ont plus que touchée.

Sa valise à mes pieds, il a retiré son bonnet. Visage occidental. Yeux sombres. Cheveux peignés sur le côté. Son regard m’a traversée sans me voir. L’air ennuyé, il a demandé en anglais s’il pouvait rester quelques jours, le temps de trouver autre chose. Je lui ai donné un formulaire. Il m’a tendu son passeport pour que je le remplisse moi-même. Yan Kerrand, 1968, de Granville. Un Français. Il avait l’air plus jeune sur la photo, le visage moins creux. Je lui ai désigné mon crayon pour qu’il signe, il a sorti une plume de son manteau. Pendant que je l’enregistrais, il a retiré ses gants, les a posés sur le comptoir, a détaillé la poussière, la statuette de chat fixée au-dessus de l’ordinateur. Pour la première fois je ressentais le besoin de me justifier. Je n’étais pas responsable de la décrépitude de cet endroit. J’y travaillais depuis un mois seulement.


Merci à Arnaud (Dialogues) une fois de plus pour ce conseil de lecture.

Les billets de Charlotte, JoëlleSabine

samedi 17 septembre 2016

Véronique Ovaldé - Soyez imprudents les enfants

Éditeur : Flammarion - Date de parution : Août 2016 - 345 pages et une lecture manquée.

A treize ans, Atanasia Bartolome découvre lors d’une sortie scolaire un tableau qui l’émeut profondément. Celle pour qui "juste avant cette exposition tout était immobile et pétrifié" veut en savoir plus sur le peintre Roberto Diaz Uribe qui semble d’être volatilisé depuis plusieurs années. Après avoir contemplé ce tableau, la vie d'Atanasia se focalise sur ce peintre. Si le  nom du peintre semble tabou pour ses parents, à dix-huit ans elle part à Paris pour étudier où un professeur d’origine russe s’intéresse de très près à Roberto Diaz Uribe.

Indéniablement, on retrouve dans ce roman l’écriture singulière de Véronique Olvadé . Enchanteresse, fantasque où elle déploie une narration qui passe aisément de "je" à "elle".
La quête d’Atanasia nous entraine sur les traces de la mission Voulet-Chanoine au Tchad ou encore au Brésil. Car sa recherche a dépassé son but initial et elle remonte les branches familiales.
Un récit émaillé de digressions qui bout à bout se rejoignent, une ambiance qui oscille entre réalité et fable, un univers où l'art et l'imprudence comptent avec  des personnages féminins souvent hauts en couleurs.
Mais trop souvent, je me suis retrouvée perdue en me demandant où l'auteure voulait me conduire.
Et même si la fin m’a permise de me raccrocher à l'histoire, c’est une lecture manquée pour moi. 

L'exposition qui fut à Bilbao, l'un des événements de ce mois juin 1983 fut considérée par beaucoup comme une provocation. Elle s'intitulait Mon corps mis à nu. Elle disait en effet qu'on pouvait de nouveau monter en Espagne les corps, la chair, leur beauté et leur effondrement et qu'on allait mettre de côté les tableaux tauromachiques. Elle présentait des toiles de Schiele, Bacon, Freud, Picasso et une toile monumentale de Roberto Diaz Uribe. 
J'avais treize ans. 
Je ne connaissais rien à rien. Seulement le temps long de la dictature, sa queue de comète, et la mémoire tronquée.

Les billets et avis très variés de  Cuné - Framboise -Hélène - Irrégulière- Jérôme - Noukette

Sur ce blog : Des vies d'oiseauxLa grâce des brigands

vendredi 16 septembre 2016

Meg Wolitzer chez Dialogues

Mercredi soir,  Meg Wolitzer était au café de Dialogues pour discuter de deux de ses livres traduits en  français Les Intéressants et La doublure. Accompagnée  des éditeurs très sympathiques de la maison d’édition Rue Fromentin, elle est revenue sur ces romans.

Nous avons appris qu’adolescente, elle-même avait séjourné dans un "summer camp" comme les personnages de son livre Les Intéressants.

La doublure a été son premier roman traduit et  paru en France sous un autre titre dans une autre maison d’édition.
Pour ceux qui ne l’ont pas lu, l’héroïne est mariée à un écrivain et Meg Woliter dépeint avec mordant notamment les cercles d’écrivains masculins où les femmes sont peu considérées. Pour Meg Molitzer, la place des femmes dans la littérature a malheureusement peu évolué. Et elle trouve qu'elles sont cantonnées dans beaucoup d’esprit à une littérature dite spécifique pour les femmes.

Avec des anecdotes et beaucoup d’humour, elle a également parlé des auteurs qui l’ont marquée ( Jane Austen par exemple), de son travail ( elle écrit souvent la nuit).

Ceux qui me connaissent en privé savent que mon anglais est pitoyable et que mon accent est à trancher au couteau mais j’ai pu échanger avec elle à la fin de la rencontre  (grâce à ses éditeurs qui m’ont littéralement sauvée!).

Merci à Dialogues et à Laurence qui nous a préparé une saison très, très riche (le mois de novembre va être synonyme d'émotions). 



jeudi 15 septembre 2016

Emma Cline - The girls

Éditeur : Quai Voltaire - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Esch - Date de parution : Août 2016 - 333 pages et un premier roman très maitrisé !

1969. Californie. Agée de quatorze ans, Evie vit avec sa mère depuis la séparation de ses parents. Sa mère jusqu’alors assez réservée s’ouvre sur les autres et les influences en cours. Avec sa meilleure amie Connie, Evie mal dans sa peau tue le temps comme tout autre adolescente en attendant la rentrée. Un jour, elle aperçoit un groupe de filles qui font les poubelles, volent et ensuite s’engouffrent dans un vieux car noir. Sa rencontre avec Suzanne une des filles va marquer un tournant.

Complètement fascinée par elle, Evie la suit jusqu’au ranch où elles vivent. L’endroit n'en porte que
le nom car la réalité est autre :  vieux, délabré mais Evie elle y voit une liberté, un mode de vie excitant. Les filles sont sous la houlette de Russell une sorte de gourou qu’elle vénèrent. Un monde à part avec l’alcool, les drogues, le partage des biens où il y a même des enfants. Et très vite Evie n’a qu’une seule l’envie se faire intégrer ( "j’étais une cible enthousiaste") et délaisser son quotidien bien fade en comparaison.

Alternant la narration d’Evie adulte des années plus tard et les faits de l’époque, l’emprise du groupe , les rapports, l’ambiance sont très bien rendus.
Un premier roman psychologique très maitrisé et réussi car Emma Cline nous décrit comment en quelques semaines une adolescente peut basculer en décortiquant avec précision les différents processus. La tristement célèbre affaire Charles Manson a servi de toile de fond à ce roman (ce que j'ai appris  à la lecture de chroniques ).

Mais le ranch était la preuve que l’on pouvait vivre à un niveau plus exceptionnel. On pouvait dépasser ces misérables faiblesses humaines pour accéder à un amour plus grand.

Il y a de très nombreux billets sur ce livre.  Un des derniers en date  est celui d'Hélène qui renvoie à d'autres liens.

mercredi 14 septembre 2016

Grazyna Jagielska - Amour de pierre

Editeur : J'ai lu - Traduit du polonais par Anna Smolar - Date de parution : Août 2016 - 255 pages à découvrir. 

"Il y a trois mois jour pour jour, j'ai été admise en maison de repos. Mon syndrome : le stress post-traumatique du soldat. En réalité, c’est le stress de mon mari, mais il m’a toujours délégué tous ses soucis. " Mariée à Wotjek grand reporter de guerre, Grazyna est internée pour soigner sa dépression. Wotjek court de conflit en guerre à travers le monde et durant ses absences, elle l’attend chez eux à Varsovie. Mais la peur et les récit de ce que Wotjek a vu, a vécu sont  les plus fortes et elle sombre. A l’hôpital , Grazyna se lie avec un autre patient et raconte comment elle est en arrivée là.

Jeune femme, elle partageait avec son mari l’amour des voyages. Puis la passion de Wotjek s’est lentement insinuée dans leur couple. Reporter de guerre, c’est toujours être sur le qui-vive pour ne pas rater un évènement important de l'Afghanistan à la Tchétchénie. Grazyna a soutenu, encouragé son mari jusqu’à se mentir à elle-même. Trop d’horreurs et de peur accumulées, tout en continuant de  faire semblant et un beau jour ne plus y arriver.
Elle va accompagner son mari en tant que photographe. Etre sur le terrain avec lui pour vivre ce qu’il vit et tout partager. Mais le travail Wotjek en est affecté car il ne veut pas de prendre de risques avec son épouse à ses côtés.

Cette plongée dans l’intimité de Grazyna est saisissante ! D’un coté, on ressent viscéralement ses inquiétudes les plus profondes et de l’autre, ce portait du reporter de guerre est fascinant et terrifiant par ses aspects égoïstes.
La structure du récit pourra déconcerter ou gêner certains lecteurs car il faut apprivoiser le rythme qui oscille entre souvenirs, auscultation du mal-être et la métamorphose de l'amour de Grazyna . Les traumatismes collatéraux des guerres sont mis en exergue par la personne de Grazyna.  J'ignorais que ce roman était autobiographique (Wotjek a arrêté de sillonner le monde mais on ne sait pas si Grazyna s’est relevée et a pu désormais tourner la page), en tout cas il est à découvrir. 

Ce sont les guerres de  la fin des années 1990, me semble-t-il, qui m'ont changée à ce point. Elles ont engendré la dépression nerveuse que mon correspondant de guerre de mari aurait dû subir. Ou peut-être cette maladie a-t-elle pleinement mûri à ce moment-là ; elle est devenue visible, délimitant les contours de notre vie future. Vers la fin des années 1990, je ne pouvais plus me faire d'illusions, ni croire à un retour à la normale. Nous avions expérimenté tous les retours possibles ; nous savions qu'il était inconcevable de revenir sur les lieux du passé, comme aux anciens projets. 

mardi 13 septembre 2016

Emmanuel Venet - Marcher droit, tourner en rond

Éditeur : Verdier - Date de parution : Août 2016 - 123 pages et un régal !

Lors de l’enterrement de sa grand-mère Marguerite, le narrateur est révolté par les énormités qu‘il y entend. Sa grand-mère est présentée comme une femme aimante, gentille,  chrétienne, loyale et dévouée à son défunt mari (et j’en passe). Sauf que la vérité est tout autre et nous est présentée à travers son regard. Mensonges, hypocrisies, adultère,  enfant illégitime, alcoolisme : tout est dit sur les membres de la famille comme sur les  relations parodiées de l’unité familiale. Le syndrome d’Aspinger dont il est atteint le rend "non seulement cohérent avec lui-même et de franchise absolue, mais aussi routinier solitaire". Donc difficile pour lui d’ingérer les mensonges qu’on distribue à ses questions depuis toujours.

Passionné par le scrabble et par les catastrophes aériennes, il voue un amour non réciproque depuis l'adolescence à une dénommée Sophie Sylvestre-Lachenal. Et en pensant à elle, ses plans d’avenir prennent forme " Le vendredi, nous partirions au lac dans son cabriolet vert et nous passerions le week-end à canoter, à chiner des livres d'aviation, à dîner dans des trattorias et à faire l'amour en rêvant de déposer « kiosque » ou « jockey « sur mon compte triple."
Derrière la cocasserie et l’ironie se dessine le portait du narrateur. Ses difficultés relationnelles l’isolent et il se protège de la vraie vie.

Avec dérision, humour mais également de la sensibilité, Emmanuel Venet réussit à nous parler d’autisme, des petits arrangements et des mensonges que l'on saupoudre sur la vérité.
Je me suis régalée !

Un grand merci à Arnaud (Dialogues) pour ce conseil de lecture !

lundi 12 septembre 2016

Laurent Sagalovitsch - Vera Kaplan

Editeur : Buchet-Chastel - Date de parution : Août 2016 - 151 pages déstabilisantes.

Tel Aviv. Un homme fils reçoit un courrier de la part d’un notaire d’Allemagne adressée à sa mère alors qu’elle est décédée depuis quelques années. Sa cliente était sa grand-mère dont il n’a jamais entendu parler. Elle a passé une partie de sa vie à retrouver sa fille avant de mettre fin à ses jours et de livrer par écrit son testament ou plus exactement son histoire. Vera Kaplan était une jeune fille d’origine juive vivant à Berlin quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté. En 1943, elle et ses parents sont arrêtés et la déportation les attend. Un membre de la Gestapo lui propose un marché : dénoncer les juifs qu’elle connaît et en échange, il lui garantit qu’elle et ses parents ne seront pas envoyés vers les camps.

La première partie est une lettre écrite par Vera cinquante ans plus tôt où elle revient principalement sur son choix d’avoir collaboré. Et là où l’on pourrait s'attendre à des atermoiement et à des excuses, elle se montre vindicative et avance des arguments. Ses propos envers les siens choquent et elle l'affirme, elle ne regrette rien. Le sentiment de malaise que l’on éprouve est bien réel.
Puis la seconde partie est son journal tenu pendant la guerre. Et il apporte un autre éclairage où Vera est plus "humaine".

Laurent Sagalovitsch s’est inspiré de l’histoire réelle de Stella Goldschla et sans jamais s’immiscer en tant que juge, il nous livre des faits. Et forcément, des question surgissent :  qu’aurions-nous fait ? Vera Kaplan était-elle un coupable ou une victime ?
Alors oui ce livre est dérangeant par le thème et ce qu’il induit : la transmission familiale.  Le petit-fils de Vera Kaplan narrateur en début puis en fin de livre est le dépositaire de cette histoire. Et il conclue avec ces phrases " Née à une autre époque, à une tout autre époque, son existence se serait écoulée dans la banalité d'une vie normale - mais elle est née à Berlin en 1922. Dès le départ, elle n'avait aucune chance pour que son histoire se termine bien."

Avec beaucoup de distance dans l’écriture, ce court roman est déstabilisant et peut soulever de nombreux débats. Mais (étrangement), il ne fera pas partie des livres marquants pour moi.  

samedi 10 septembre 2016

Rabih Alameddine - Les vies de papier

Editeur : Les Escales - Date de parution : Août 2016 - Traduit de l’anglais par Nicolas Richard - 304 pages formidables ! 

Comme à chaque premier de l’an, Aaliya Saleh s’apprête à se lancer dans la traduction d’un roman en arabe. C’est un rituel chez elle ( "oui, je suis un brin obsessionnelle. En tant que femme non religieuse, ceci est ma profession de foi"), encore faut-il décider quel livre sera l’élu. A soixante-douze ans, elle vit toujours dans le même appartement de Beyrouth. Mariée à seize ans, son époux l’a répudiée assez vite mais sans jamais divorcer. Malgré les traditions libanaises, Aaliya ne s’est jamais coulée dans le moule et elle s’est construite une vie entourée de livres.

Ne mâchant pas ses mots, caustique ou ironique voire impertinente, elle nous entraîne dans ses souvenirs et dans son présent. De digressions succulentes à des anecdotes sur Beyrouth en temps de guerre, il s’agit d’un récit complètement addictif!
Sans jamais se lamenter ou chercher la compassion, mais en avouant quelquefois sa peur ancienne, elle se livre entièrement avec des références à des auteurs et des citations sans se montrer pédante ou hautaine. De la traduction et sa manière bien personnelle de procéder "c'est le processus qui me captive, et non le produit fini", à son amour pour la littérature et à la musique classique, Beyrouth personnage à part entière a toute sa place.
Elle n’hésite pas à interpeller le lecteur et les écrivains actuels en disant le fond de sa pensée.
Aaliya  est si attachante par sa personnalité que l’on aimerait qu’elle existe!

Un livre entraînant sur toute la ligne, passionnant et un vrai hymne d’amour à la littérature ! Que demander de plus ?

J'ai les névroses des auteurs mais pas leurs talents.

Quand je lis un livre, je fais de mon mieux, pas toujours avec succès, pour laisser le mur s'effriter un peu, la barricade qui me sépare du livre. J'essaye d'être impliquée.

Les billets de Cathulu, Cuné conquises

jeudi 8 septembre 2016

Smith Henderson - Yaak Valley, Montana

Éditeur : Belfond - Traduit de l'américain par Nathalie Peronny - Date de parution: Août 2016 - 575 pages qui bousculent. 

Années 80, Montana. Pete Snow est assistant social et s’occupe d’enfants. Parents alcooliques, drogués, laissés pour compte et des enfants, adolescents cabossés sans repères qu’il veut aider. Et il a des cas très difficiles : Cecil un adolescent qui touche le fond et Benjamin qu’il a rencontré par hasard. Maltraité par son père Jeremiah Pearl, illuminé et mystique qui lui interdit tout contact avec l’extérieur. De quoi être lassé, désabusé passer pas des phases où l’on se dit que son boulot ne sert pratiquement à rien devant tout ce qu’il y a accomplir. En plus, Pete a ses problèmes personnels : son divorce avec son ex-femme portée sur la bouteille et les hommes, son frère qui fuit la justice. Et en bonus, sa fille de treize ans fugue.

Si au départ, j’ai eu du mal à entrer dans ce livre c’est-à-dire à être vraiment intéressée par l’histoire, la grande empathie de Pete a été le déclic car il veut vraiment faire de son mieux pour ces enfants. Sur fond de nature sauvage, où l’on craint le pire avec Jeremiah Pearl, l’auteur n’épargne pas le lecteur (attention aux âmes sensibles) et certaine passages sont très durs  car ils concernent des enfants. Smith Henderson n' a pas choisi de nous décrire Pete comme un saint et c'est un des points forts de ce roman.

Cette peinture sombre des exclus, de la misère et de la violence m’a plus que touchée tout comme la plupart des personnages.
Bien tramé malgré quelques longueurs, ce premier roman bouscule et pas qu’un peu (vous êtes prévenus).

Ici aussi les gens avaient des secrets. Un voleur. Un homosexuel. Des parents qui maltraitaient leurs enfants et dont les maisons ressortaient sur sa carte mentale de la ville tels des gyrophare orange, parce qu'il savait. Dépositaire de leurs secrets.

Lu grâce à Babelio que je remercie.

mardi 6 septembre 2016

Yannick Grannec - Le bal mécanique

Éditeur : Anne Carrière - date de parution : Août 2016 - 529 pages foisonnantes ! 

Chicago. Josh est animateur à succès d'une émission de télé-réalité qu'il a conçue. Un mélange de sorte de thérapie pour la famille sélectionnée et de relooking intérieur de la maison. Il est en froid avec son père Carl, de son vrai nom Karl Grenzberg, peintre âgé qui vit reclus à Saint-Paul-de-Vence en France. Né en Allemagne puis adopté  dans les années 30,  son père d'origine juive l'avait confié à un couple d'amis en partance pour les Etats-Unis. Theodor, le père biologique de Carl, était un amateur d'art et un galériste. Or un tableau d'Otto Dix le représentant refait surface d'une manière inattendue. Pour Carl c'est l'occasion de chercher des faits sur sa famille. Il apprend qu'il avait une soeur. Tourmenté, il préfère mettre fin à ses jours. S'il le désire Josh peut lancer des procédures pour que le tableau lui soit restitué et chercher la vérité sur la famille de son père.

Ensuite l'auteure nous immerge dans Berlin au tout début du XXe siècle. On suit Theodor et les siens : sa femme Luise ayant soif de fêtes et de liberté,  leur fille Magda et les peintres qui l’entourent. Ses débuts, son amitié avec Paul Klee, la reconnaissance de peintres avant qu'ils ne soient mis au banc de l’Allemagne nazie pour art dégénéré, la fermeture de sa galerie. L'auteure alterne avec des focus sur Magda : son enfance dans les hôtels, son attrait pour l’art et ses discussions avec son parrain Klee, son cursus à l’école d’Art du Bauhaus  ou encore son départ pour défendre des causes politiques.

Avec une écriture entraînante, fluide mais également incisive,  Yannick Grannec déroule impeccablement les frises chronologiques et familiales. A partir de faits historiques réels (la montée du national-socialisme, la spoliation des œuvres d'art par le régime nazi, la philosophie et les objectifs du Bauhaus, les deux guerres et bien d'autres éléments) elle greffe sa fiction et le secret de famille n’est qu’un détail dans ce roman foisonnant.
La transmission, l’Histoire au travers de l’Art qui est "un lien à travers le temps" sont au coeur de ce livre.

Si j’ai trouvé un peu longue et moins intéressante la première partie, la seconde partie se dévore et il est impossible de lâcher ce roman ! Et si comme moi vous ne vous n’avez pas de connaissances approfondies en art moderne, pas de panique  : ce livre n’est pas réservé qu'à des initiés.

Le billet de Nicole
Lu de cette auteure: La Déesse des petites victoires

lundi 5 septembre 2016

Laurent Mauvignier - Continuer

Éditeur : Les Éditions de Minuit - Date de parution : Septembre 2016 - 239 pages magistrales et un immense coup de cœur ! 

Un divorce houleux, une installation à Bordeaux où "elle croyait connaître des gens avant de s’apercevoir que c’était plutôt son mari qu’ils connaissaient, pas elle ", Sybille que l’on dit avoir tout raté (les grandes ambitions de sa jeunesse, son mariage) est l’ombre d’elle-même. "Victime collatéral" du déchirement de ses parents, son fils Samuel âgé de seize ans l’ignore ou presque et part à la dérive. Un électrochoc pour Sybille qui ne peut pas laisser sombrer son fils ou continuer à l’entraîner dans sa propre chute. Elle décide de quitter son emploi d’infirmière pour plusieurs mois, de vendre la maison de ses parents et de partir avec Samuel au Kirghizistan. Un périple à cheval, leur passion commune avant que Samuel ne décroche, afin qu’il puisse "reconstruire sa vie, redonner du sens à la vie, tout remodeler".

Des scènes grandioses à couper le souffle avec les chevaux (qui semblent comme suspendues hors du temps),  des sentiments violents et larvés de Samuel envers sa mère, son mépris envers les personnes qui les accueillent et dont il ne comprend pas la langue, de Sybille dont on apprend par bribes le passé, Laurent Mauvignier excelle à décrire les sentiments et les différentes relations. Que ce soit la figure du père pour Samuel mise sur un piédestal, l’amour de Sybille pour son fils, la relation conflictuelle entre l’adolescent  et sa mère qui se débat avec ses anciens démons en espérant voir Samuel s’ouvrir sur l’extérieur.

Du regard du fils sur sa mère (et c’est très juste et réaliste ce portait de Samuel qui saisit à la perfection le mal-être, la colère et la peur) et inversement, des chevauchées à travers ce pays dont Sybille a préparé l’itinéraire de voyage, des imprévus au danger, tout est admirable.
Avec des allers-retours entre passé et présent avec en fond une chanson de Bowie, l’écriture est tout simplement sublime. Nerveuse, brutale ou plus douce pour ce roman intimiste, bouleversant, optimiste entre une mère et son fils et qui rend parfaitement le contexte social actuel.
Un livre coup de cœur  !

Il ne comprend pas, quelque chose est en train de soulever sa mère et de l'emmener vers une zone d'elle-même dont il ignore tout. Et ça, Samuel en est troublé, il la regarde avec l'envie de lui sourire –et peut-être même que depuis tout à l'heure il sourit vraiment, comme un fils peut sourire à sa mère, avec pudeur et amour, avec une forme de tendresse et de complicité qui se passe de mots parce qu'elle les contient tous, dans le secret d'un sentiment qui les dépasse.

Lu de cet auteur : Apprendre à finir - Autour du monde Dans la foule - Des hommes -Loin d'eux - Seuls

dimanche 4 septembre 2016

Virginia Reeves - Un travail comme un autre

Éditeur : Stock - Traduit de l'anglais (Etat-Unis) par Carine Chichereau - Date de parution : Août 2016 - 344 pages et un premier roman réussi ! 

Roscoe T. Martin s’est vu contraindre d’abandonner son métier d’électricien car son épouse Marie a hérité de la ferme de son père en Alabama. Il n’a aucune affinité avec le métier de fermier, son couple bat de l’aile et l'exploitation est au bord de la faillite. En 1920, ni la maison ni la ferme ne reçoivent l’électricité mais Roscoe a une idée : la détourner. Avec l’aide de Wilson l’employé de la ferme, il réussit. La ferme évite la faillite et son couple va mieux. Il a menti à sa femme qui apprend la vérité lors de son arrestation. Car un employé de la compagnie d’électricité meurt électrocuté en vérifiant le transformateur fabriqué par Roscoe.

Roscoe est condamné à vingt ans de prison, Wilson parce qu’il est Noir a été vendu à une exploitation minière.  En prison, Roscoe espère une lettre de Marie ou une visite mais jamais elle ne viendra. Elle a même interdit à leur fils d'entrer en contact avec son père. Des affections à différents postes (la bibliothèque, la laiterie, le chenil) à la dureté de la vie carcérale, Roscoe à sa libération anticipée est un homme éprouvé. S’il pense retrouver la ferme, sa femme et son fils,   il se trompe car des rôles ont été inversés par Marie partie depuis plusieurs années.

Que ce soit l’univers de la prison, la cruauté, le racisme, la culpabilité, les sentiments haineux de Marie, les pensées et les profonds sentiments de Roscoe mais aussi l'espoir et son contraire,  tout est parfaitement décrit. Le portait de Roscoe est plus que touchant car c’est un homme bon qui a commis une erreur pour aider les siens.
Avec une écriture qui fait appel à tous les sens et où la poésie a sa place,  Virginia Reeves signe un premier roman intense et réussi (seul un tout petit petit bémol : certains passages sont hésitants). A noter également la très bonne traduction !

J'avais passé au moins six ans à imaginer Wilson mort ou travaillant dans ces tunnels, assiégé par la conscience de l'avoir envoyé là-bas, de l'avoir condamné à ces jours sombres. La culpabilité m'avait un peu épargnée à cause du silence de Marie. J'avais privé c'est homme de sa famille. Quel droit avais-je de jouir de la mienne ?

Les billets de Cathulu, Laure

vendredi 2 septembre 2016

Catherine Mavrikakis - Oscar de Profundis

Editeur : Sabine Wespieser - Date de parution : Août 2016 - 301 pages 

Dans un monde proche de l’apocalypse, Montréal comme tant d’autres villes est ravagée. Les pauvres se cachent, ils se déplacent en hordes, affamés. Une maladie "la mort noire" aussi terrible que la peste les décime. Personne ne lève le petit doigt. Le clivage du monde où les riches se protègent règne partout. Rock star planétaire, Oscar a grandi à Montréal et il s'est promis de ne jamais y revenir. Mais il a deux concerts à y donner. Entouré de son staff personnel, accro aux drogues et aimant les jeunes garçons, c'est également un amoureux de langue française au point où de d'être fait tatouer sur le dos De profundis clamavi le poème de Charles Baudelaire car "l’idée que son corps soit porteur d’un sonnet l’exaltait".
Sa fortune lui a permis de construire un bunker dans une de ses propriétés où "il abritait une gigantesque bibliothèque destinées à la préservation de nombreux livres qui avaient disparu dans les cinquante dernières années" et de rapatrier les tombes de ceux qu'il admirent.
Ce personnage préserve d’une certaine façon la culture mais vit cyniquement dans son monde de débauche et de luxure.
Cate Bérubé, elle, est la chef de l’une des bandes de gueux. Déterminée à changer le cours du monde et à renverser la donne. Pour arriver à ses fins, elle a orchestré un plan  qui inclue la rock star.
Un troisième personnages est la ville de Montréal. Violence, misère et des gueux en font une cité du Moyen-Age.

Ce qui domine dans ce livre est l’ambiance (les descriptions de Montréal sont saisissantes) et les différents paradoxes. Dans un monde aux mains des plus riches où désormais le papier est interdit, où certains tentent de se rebeller ou de faire front, l’histoire portée par l’écriture toujours aussi superbe de Catherine Mavrikakis n’a rien d’un conte de fées.
Un roman sombre et assez pessimiste où les passages sur les "vestiges de la culture" permettent d’atténuer la noirceur. J’ai cependant deux bémols : l’ajout (inutile) à mes yeux d’un personnage un peu avant à la fin du roman et sur les dernières pages moins convaincantes que l’ensemble. 

Ce nouveau roman n'est pas mon préféré, j'ai préféré   Le ciel de Bay City et  Les derniers jours de Smokey Nelson.

jeudi 1 septembre 2016

Myriam Chirousse - Le sanglier

Éditeur : Buchet-Chastel - Date de parution : Août 2016 - 156 pages à consommer sans modération. 

Christian et Carole vivent à l’écart de tout à la campagne dans une vieille maison proche du délabrement. Chacun des deux a vécu avant cette relation  et la campagne est pour eux un mode de vie.

Ce livre raconte une journée de ce couple. Une journée qui aurait dû être ordinaire mais où des petites choses vont se produire et s’accumuler. Nous sommes un samedi peu avant noël et ils doivent effectuer quelques courses (le genre de journée que peu de monde aime). Il faut déjà prendre la voiture et à partir de là, tout va s’enchaîner de travers. Aux réflexions piquantes de Christian qui s’énerve assez vite et qui est un peu parano sur les bords (vérification à plusieurs reprises que la voiture est bien fermée par exemple), Carole d’un tempérament plus zen préfère ne rien dire. Mais au bout d’un moment, à force de prendre sur soi il peut y avoir la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Et on se dit qu’à un moment donné, l’étincelle va se produire avec comme conséquence le feu aux poudres.

Ce n'est pas un règlement de compte qu'a écrit Myriam Chirousse. Elle explore la communication et son inverse, le couple qui ici n’est en phase avec la société. Avec une écriture où des formulation accrochent la  rétine et des dialogues fichtrement réussis, on sent bien le souci de la précision. Et à travers les pensées de ce couple, l'auteure nous amène à nous interroger sur nous-mêmes.
Relevé mais également tendre, ce livre amène le sourire franc ou espiègle aux lèvres,  et en plus il fait du bien ! A consommer sans modération !

Ils habitent loin de tout parce que c'est moins cher et qu'ils croient vivre ainsi une vie plus authentique. D'abord, c'est faux,corrige-t-il, on n'est jamais loin de tout, on est loin de certaines choses et près d'autres choses, on est toujours à côté de quelque chose, mais certains sont près d'une centrale nucléaire et d'autres près d'un lac. Elle répond que si, on peut être loin de tout c'est possible même au milieu d'une foule, dans la ville. Quand on est loin de soi, dit-elle. Sa voix se feutre d'une intonation fragile qui suggère qu'elle sait de quoi elle parle. 
Ils se disent parfois que tout ça, la scierie, les vieux habits, c'est du provisoire,qu'ils vont faire autre chose. Souvent aussi, ils se sentent des gouttes dans un océan, trop petits, incapables en fin de compte de choisir le sens de la vague.