"J'ai retrouvé le goût d'eux juste ce matin, comme chaque année, en me levant très longtemps à l'avance pour aller chercher la navette au garage, et me préparer tranquille, à conduire lentement dans ma nuit, avant d'aller les prendre, un par un ou presque, au tout début de leur premier jour d'école".
Dans un plateau d'Ardèche isolé et en altitude, Adèle est conductrice d’une navette scolaire. Dans un entrelacs de petites routes qui frôlent le vide ou traversent la campagne, elle rejoint les hameaux pour prendre à son bord quelques enfants et adolescents. Du plateau aux écoles et inversement deux fois par jour et par tous les temps. Adèle aime ces enfants qui le matin sentent la ferme et le sommeil, peu bavards souvent encore plongés dans leurs nuits. Elle les connaît par coeur : l'histoire des familles, les amitiés, les amours de ces adolescents dont le corps change l'espace d'un été. Elle devine leurs humeurs quand ils montent dans sa navette. Eux la respecte, ils savent que la route n'est pas exempte de tout danger. Les paysage délivrent beauté et puissance à chaque trajet.
Très vite, on est troublé car Adèle la narratrice emploie le masculin/ féminin pour parler d'elle. Souvenirs de l'enfance qui remontent "quand j'étais petit", de ses parents et d'Alex son frère qu'elle n'a pas vu depuis dix ans. Adèle a grandi dans la région mais personne ne le sait. Son passé elle le garde pour elle. Et quand son frère pour son métier revient dans la région, Adèle a envie de le voir mais les mots durs qu'il a eus pour elle sont encore tatoués dan sa chair.
Emmanuelle Pagano nous décrit les trajets quotidiens, nous dévoile lentement la vie d'Adèle et ses pensées. Lorsqu'Alex a un accident, Adèle décide l'aller le voir pour se faire accepter en tant qu'Adèle.
L'auteure nous glisse dans peau d'Adèle, nous fait ressentir ce qu'elle a vécu et ce qu'elle vit, ses émotions "Je me pensais au féminin, en faisant les accords, depuis un bout de temps déjà. Mais comme j'étais bien la seule, je me sentais à la fois solitaire et désaccordée". Et les descriptions de cette nature si changeante et ce milieu rural où l'on sent l'odeur du foin sont simplement belles.
De la délicatesse, de la finesse une écriture où sensualité et poésie se marient à merveille pour nous faire toucher du doigt des émotions fortes, intimes, douces ou douloureuses.
Un livre que j'ai pris le temps de lire, plongée dans une bulle, pour faire durer le plaisir. Un coup de cœur !
Les billets d'Antigone, Gambadou.
Lu de cette auteure (et jamais déçue ) : Nouons-nous - Un renard à mains nues