Editeur : Babel - Date de parution : Juin 2016 ( 1ère parution : 2009) - Traduit de l'anglais ( Etats-Unis) par Simon Baril - 446 superbes pages !
Glory âgée de trente-huit est revenue à Gilead une petite ville de l'Iowa. Nous somme sdans les années 50 et son père l’ancien révérend presbytérien Bougthon à la retraite est malade. Cadette d’une fratrie de huit enfants, Glory dont la vie sentimentale s’est soldée par la rupture de ses fiançailles est la plus disponible pour s’occuper de leur père. Son frère Jack parti il y a plus de vingt ans refait surface. Ni elle si son père ne savent ce qu’il a fait durant toutes ces années. Enfant rebelle, qui fuguait et volait, et pourtant il a toujours été le fils préféré de son père. Jack rongé par l’alcool a bien du mal à se sentir à l’aise dans la maison familiale. Son père se réjouit de ce retour et pour Glory c’est l’occasion de découvrir ce frère qu’elle connaît peu.
Ce roman donne l’impression d’être dans un huis clos avec ces trois personnages. Le temps semble s’écouler lentement mais il sert à détailler ces petits riens de la vie entre passé et présent. Et également à pénétrer dans l’intimité de chacun des trois personnages. Jack s’est toujours senti coupable de n’être pas à sa place dans cette famille où la religion est importante. Il porte encore ce poids de la culpabilité comme un fardeau et le jugement de son père le freine tout comme la méfiance de leur voisin le révérend Ames. Glory veut l’aider à aller mieux de tout son cœur, de toute son âme. Et Jack peu à peu lui raconte son histoire. Avec son père, il garde cette peur d’être rejeté pour ce qu’il a commis alors que ce dernier l’aime mais s’inquiète pour lui. Car l’amour comme la religion sont omniprésentes dans la maison familiale. Tous les trois essaient, quelquefois maladroitement, mais avec sincérité de communiquer.
Ce roman donne lieu à des réflexions sur la famille, la religion, la rédemption et la réconciliation avec soi-même ou avec les autres.
Que ce soit dans les dialogues ou dans la description d’une scène du quotidien, Marilynne Robinson excelle à détailler les relations de ces personnages qui évoluent. Ca résonne, ça interpelle. Tout simplement superbe !
Cette étrange aptitude à se sentir démuni, comme si, par nature, nous devions avoir tellement plus que ce que nous donne la nature. Comme si nous étions effroyablement nus quand nous font défaut les satisfaction de la vie ordinaire. Démuni, ou seul, ou perdu, un être humain est plus indéniablement humain est vulnérable à la générosité, car l'on se dit que les choses devraient autrement, et l'on pense aussi à ce qui manque, à la forme que le soulagement pourrait prendre, à ce qui pourrait apaiser, restaurer l'âme. Afin qu'elle se sente chez elle. Mais l'âme trouve son propre chez soi, si tant qu'elle puisse jamais en avoir un.
Les billets de Jostein, Keisha
jeudi 30 juin 2016
mercredi 29 juin 2016
Kasumiko Murakami - Et puis après
Editeur : Actes Sud - Traduit du japonais par Isabelle Sakaï - Date de parution : Mai 2016 - 100 pages et un texte poignant
Japon, 11 mars 2011. Le sol tremble mais on a l’habitude. Au bord du rivage, les pêcheurs voient la mer reculer au loin. Yasuo sait qu’il ne faut pas rester à terre. Non il faut embraquer sur son bateau et prendre la mer. De retour à terre, Yasuo et les autres pêcheurs découvrent que les habitations sont détruites. De se maison, il ne reste plus rien. Avec sa femme Tokie comme d’autres habitants, ils doivent vivre dans un gymnase où la promiscuité éveille les querelles : "Lorsqu'il était témoin de telles scènes, Yasuo redoutait lui aussi de perdre la raison. Il ne fallait sûrement plus grand chose pour qu'un être normal soit pris de démence". "Yasuo craignait les relations humaines compliquées dans cet espace fermé et inconsciemment il restait sur ses gardes." et Yasuo s’enferme dans une sorte se léthargie.
" A passer des jours dans l'oisiveté à ne savoir que faire, cloîtré dans un espace délimité par des cartons à être exaspéré par l'odeur d'ammoniaque et à dormir dès la mi-journée, il ne savait plus s'il était encore un être humain. Car telle une bête fauve, il se sentait devenir farouche et ces ravages s'aggravaient mais lui-même ignorait comment y remédier". Sa mère est portée disparue, les jours passent et se transforment en mois.
Dans ce texte, Kasumiko Murakami nous décrit ce qui se passe après un tel cataclysme. L’horreur du tsunami et ses morts sont présents mais à travers le personnage de Yasuo, il nous fait vivre le quotidien des rescapés : la culpabilité, l’espoir qui s‘amenuise, le découragement. Comment retrouver après une vie normale même si l’on est vivant car il faut repartir de zéro?
Avec beaucoup de pudeur et retenue, ce texte poignant se termine sur une touche lumineuse.
Dans le cœur de chacun des sinistrés, même longtemps après, le raz de marée noir et terrifiant déferlait, brisant les digues, et même si personne ne voulait en parler, cela restait une réalité. Ce souvenir demeurait ancré au fond du cœur et l’on avait beau essayer de s’en débarrasser, rien ne pouvait l’effacer.
Le billet de Jérôme
Japon, 11 mars 2011. Le sol tremble mais on a l’habitude. Au bord du rivage, les pêcheurs voient la mer reculer au loin. Yasuo sait qu’il ne faut pas rester à terre. Non il faut embraquer sur son bateau et prendre la mer. De retour à terre, Yasuo et les autres pêcheurs découvrent que les habitations sont détruites. De se maison, il ne reste plus rien. Avec sa femme Tokie comme d’autres habitants, ils doivent vivre dans un gymnase où la promiscuité éveille les querelles : "Lorsqu'il était témoin de telles scènes, Yasuo redoutait lui aussi de perdre la raison. Il ne fallait sûrement plus grand chose pour qu'un être normal soit pris de démence". "Yasuo craignait les relations humaines compliquées dans cet espace fermé et inconsciemment il restait sur ses gardes." et Yasuo s’enferme dans une sorte se léthargie.
" A passer des jours dans l'oisiveté à ne savoir que faire, cloîtré dans un espace délimité par des cartons à être exaspéré par l'odeur d'ammoniaque et à dormir dès la mi-journée, il ne savait plus s'il était encore un être humain. Car telle une bête fauve, il se sentait devenir farouche et ces ravages s'aggravaient mais lui-même ignorait comment y remédier". Sa mère est portée disparue, les jours passent et se transforment en mois.
Dans ce texte, Kasumiko Murakami nous décrit ce qui se passe après un tel cataclysme. L’horreur du tsunami et ses morts sont présents mais à travers le personnage de Yasuo, il nous fait vivre le quotidien des rescapés : la culpabilité, l’espoir qui s‘amenuise, le découragement. Comment retrouver après une vie normale même si l’on est vivant car il faut repartir de zéro?
Avec beaucoup de pudeur et retenue, ce texte poignant se termine sur une touche lumineuse.
Dans le cœur de chacun des sinistrés, même longtemps après, le raz de marée noir et terrifiant déferlait, brisant les digues, et même si personne ne voulait en parler, cela restait une réalité. Ce souvenir demeurait ancré au fond du cœur et l’on avait beau essayer de s’en débarrasser, rien ne pouvait l’effacer.
Le billet de Jérôme
mardi 28 juin 2016
Richard Morgiève - Un petit homme de dos
Éditeur : Joëlle Losfeld - Date de parution : 2006 ( date de première parution : 1995) - 249 pages et une très belle découverte !
Février 1942, Stéphane Eugerwicz arrive en France et plus précisément en Ardèche. Ce petit polonais d’1m68 débarque fait la connaissance d’Andrée. Jeune veuve et mère d’un petit garçon, elle tombe sous le charme de Stéphane. Pourtant, il n’est pas spécialement beau plutôt d’un genre quelconque. Mais voilà, elle l’aime d'un amour inconditionnel. Concernant son passé, il varie les versions : traducteur, commerçant. Personne ne sait vraiment mais Stéphane très vite se lance dans des occupations lucratives. Avec un cercle d’amis restreint, il fait du marché noir. Il s’enrichit et il voit grand. Il profite de toutes les situations et retourne sa veste quand il le faut. Andrée découvre les fêtes où Stéphane dépense sans compter car rien n’est trop pour elle ni pour leurs enfants. Politique de l’autruche sur les activités de son mari? Peut-être. Mais qu’il soit pauvre ou riche, son amour pour lui est immense. Sauf que la pauvreté dans laquelle ils tombent, Stéphane ne la supporte pas.
L’auteur est le fils de ce couple et utilise le personnage de Mietta pour raconter cette histoire. Stéphane Eugerwicz est un menteur, un arriviste, un profiteur mais on ne peut pas s’empêcher d’éprouver une forme de sympathie pour lui. Car derrière les apparences, c’est un homme aimant sa famille et généreux.
Dans une écriture unique, un mélange de verve piquante (quand il parle des fêtes sur fond de jazz, c’est dansant et entraînant), de poésie mais aussi de pudeur, Richard Morgiève nous décrit cette histoire d’amour unique malgré l’alcool, les dettes, la maladie de sa mère et la dépression.
Une vie comme des montagnes russes avec ses hauts et ses bas. Et dans toutes les dernières pages, il s’autorise enfin à parler en tant que fils.
Dans ce roman, il rend hommage à son père et il nous parle également d’amour fou. C'est tendre , pas forcément politiquement correct et avec une folie passionnée, extravagante mais Richard Morgiève nous fait sourire, nous serre la gorge et nous bouleverse.
Une très belle découverte !
Chaque soir la java du noir c'était bien plus que des repas d'affaires, bien plus que des noubas, c'était les premiers vrais éclats de rire depuis 1939, c'était les premiers disque de jazz, c'était la certitude pour tous que le printemps allait apporter la paix. Chaque matin mon père enfilait sa blouse grise et jouait à l'épicier. Il collait des étiquettes de château-margaux sur des bouteilles de picrate, mouillait le lait, appelait pur beurre tout ce qui avait une vague couleur jaune et à en croire la publicité qu'il susurrait en souriant dans son béret, son cochon était tout cochon alors qu'il était moitié chèvre moitié on ne sait trop quoi d'inavouable. Bref le jour mon père faisait comme tous les autres épiciers de France, il arnaquait huit heures durant pour quelques dizaines de francs. Mais il y avait une différence essentielle entre mon père et la plupart des autres épiciers de France, lui se remplissait outrageusement les poches pendant que ses confrères dormaient, et donc le matin venu, lesté de plusieurs centaines de milliers de francs, il pouvait sourire à sa clientèle avant de lui avoir volé le moindre sou.
Février 1942, Stéphane Eugerwicz arrive en France et plus précisément en Ardèche. Ce petit polonais d’1m68 débarque fait la connaissance d’Andrée. Jeune veuve et mère d’un petit garçon, elle tombe sous le charme de Stéphane. Pourtant, il n’est pas spécialement beau plutôt d’un genre quelconque. Mais voilà, elle l’aime d'un amour inconditionnel. Concernant son passé, il varie les versions : traducteur, commerçant. Personne ne sait vraiment mais Stéphane très vite se lance dans des occupations lucratives. Avec un cercle d’amis restreint, il fait du marché noir. Il s’enrichit et il voit grand. Il profite de toutes les situations et retourne sa veste quand il le faut. Andrée découvre les fêtes où Stéphane dépense sans compter car rien n’est trop pour elle ni pour leurs enfants. Politique de l’autruche sur les activités de son mari? Peut-être. Mais qu’il soit pauvre ou riche, son amour pour lui est immense. Sauf que la pauvreté dans laquelle ils tombent, Stéphane ne la supporte pas.
L’auteur est le fils de ce couple et utilise le personnage de Mietta pour raconter cette histoire. Stéphane Eugerwicz est un menteur, un arriviste, un profiteur mais on ne peut pas s’empêcher d’éprouver une forme de sympathie pour lui. Car derrière les apparences, c’est un homme aimant sa famille et généreux.
Dans une écriture unique, un mélange de verve piquante (quand il parle des fêtes sur fond de jazz, c’est dansant et entraînant), de poésie mais aussi de pudeur, Richard Morgiève nous décrit cette histoire d’amour unique malgré l’alcool, les dettes, la maladie de sa mère et la dépression.
Une vie comme des montagnes russes avec ses hauts et ses bas. Et dans toutes les dernières pages, il s’autorise enfin à parler en tant que fils.
Dans ce roman, il rend hommage à son père et il nous parle également d’amour fou. C'est tendre , pas forcément politiquement correct et avec une folie passionnée, extravagante mais Richard Morgiève nous fait sourire, nous serre la gorge et nous bouleverse.
Une très belle découverte !
Chaque soir la java du noir c'était bien plus que des repas d'affaires, bien plus que des noubas, c'était les premiers vrais éclats de rire depuis 1939, c'était les premiers disque de jazz, c'était la certitude pour tous que le printemps allait apporter la paix. Chaque matin mon père enfilait sa blouse grise et jouait à l'épicier. Il collait des étiquettes de château-margaux sur des bouteilles de picrate, mouillait le lait, appelait pur beurre tout ce qui avait une vague couleur jaune et à en croire la publicité qu'il susurrait en souriant dans son béret, son cochon était tout cochon alors qu'il était moitié chèvre moitié on ne sait trop quoi d'inavouable. Bref le jour mon père faisait comme tous les autres épiciers de France, il arnaquait huit heures durant pour quelques dizaines de francs. Mais il y avait une différence essentielle entre mon père et la plupart des autres épiciers de France, lui se remplissait outrageusement les poches pendant que ses confrères dormaient, et donc le matin venu, lesté de plusieurs centaines de milliers de francs, il pouvait sourire à sa clientèle avant de lui avoir volé le moindre sou.
vendredi 24 juin 2016
Gaëlle Josse - L'ombre de nos nuits
Éditeur : Les Éditions Noir sur Blanc - Date de parution : Janvier 2016 - 196 pages de toute beauté !
Lorraine, Lunéville. Début 1639, le peintre Georges de la Tour s’attelle à un nouveau tableau. Son travail est reconnu dans le pays mais il destine cette nouvelle œuvre au roi de France. Deux apprentis l’aident : son propre fils peu doué et un orphelin qu’il a recueilli. Ce dernier observe les techniques du Maître et possède déjà du talent. Le tableau représente Saint Sébastien une flèche dans la cuisse soigné par Irène. Dans le clair-obscur de la pièce, son visage se dessine : calme, empreint de douceur et d’amour. Son modèle est sa fille Claude âgée de quinze ans, Son père lui demande pour la pose de penser à ce qui lui est plus cher. Le peintre travaille dans un atelier sombre dont seule la lumière du feu offre un peu de lumière.
2014 pour s'abriter de la pluie, la narratrice entre dans le musée de Rouen et observe admirative ce tableau qui la renvoie à des souvenirs proches. Son amour pour un homme et comment elle s’en est libérée.
Le roman alterne les deux histoires : la genèse du tableau et celui de l'ampou de cette femme. Gaëlle Josse nous fait revivre la création de ce tableau, la quête voulue par Georges de La Tour d’exprimer au plus juste par son pinceau les sentiments et l’histoire d’amour toxique de la jeune femme " je m'effaçais derrière les mots des autres, comme je me suis effacée pour toi dans ma propre vie".
Avec une écriture ciselée, subtile et tout en nuances où chaque mot est pesé, on est "littéralement" dans ces deux récits. Gaëlle Josse nous livre les pensées les plus intimes des personnages que le tableau relie.
Amour du peintre pour son art et pour sa famille mais également ses angoisses, l'amour du jeune apprenti pour Claude dont le coeur bat pour un autre. Et le deuil de l’amour de la narratrice.
Il y a une finesse incroyable, une sensibilité et une sobriété qui nous imprègnent et nous fait vibrer profondément. Pour mieux savourer ce roman, j'ai pris mon temps et je me suis glissée dans ces deux histoires. C'est tout simplement très, très beau !
On ne sait pas ce qu'on est capable de donner, ni tout l'amour que l'on porte au fond de soi, tant que personne ne vous donne envie d'aller le chercher.
Sur ce blog : Le dernier gardien d'Ellis Island - Les heures silencieuses -Noces de neige - Nos vies désaccordées
Lorraine, Lunéville. Début 1639, le peintre Georges de la Tour s’attelle à un nouveau tableau. Son travail est reconnu dans le pays mais il destine cette nouvelle œuvre au roi de France. Deux apprentis l’aident : son propre fils peu doué et un orphelin qu’il a recueilli. Ce dernier observe les techniques du Maître et possède déjà du talent. Le tableau représente Saint Sébastien une flèche dans la cuisse soigné par Irène. Dans le clair-obscur de la pièce, son visage se dessine : calme, empreint de douceur et d’amour. Son modèle est sa fille Claude âgée de quinze ans, Son père lui demande pour la pose de penser à ce qui lui est plus cher. Le peintre travaille dans un atelier sombre dont seule la lumière du feu offre un peu de lumière.
2014 pour s'abriter de la pluie, la narratrice entre dans le musée de Rouen et observe admirative ce tableau qui la renvoie à des souvenirs proches. Son amour pour un homme et comment elle s’en est libérée.
Le roman alterne les deux histoires : la genèse du tableau et celui de l'ampou de cette femme. Gaëlle Josse nous fait revivre la création de ce tableau, la quête voulue par Georges de La Tour d’exprimer au plus juste par son pinceau les sentiments et l’histoire d’amour toxique de la jeune femme " je m'effaçais derrière les mots des autres, comme je me suis effacée pour toi dans ma propre vie".
Avec une écriture ciselée, subtile et tout en nuances où chaque mot est pesé, on est "littéralement" dans ces deux récits. Gaëlle Josse nous livre les pensées les plus intimes des personnages que le tableau relie.
Amour du peintre pour son art et pour sa famille mais également ses angoisses, l'amour du jeune apprenti pour Claude dont le coeur bat pour un autre. Et le deuil de l’amour de la narratrice.
Il y a une finesse incroyable, une sensibilité et une sobriété qui nous imprègnent et nous fait vibrer profondément. Pour mieux savourer ce roman, j'ai pris mon temps et je me suis glissée dans ces deux histoires. C'est tout simplement très, très beau !
On ne sait pas ce qu'on est capable de donner, ni tout l'amour que l'on porte au fond de soi, tant que personne ne vous donne envie d'aller le chercher.
Sur ce blog : Le dernier gardien d'Ellis Island - Les heures silencieuses -Noces de neige - Nos vies désaccordées
jeudi 23 juin 2016
Charlotte Perkins Gilman - La Séquestrée
Editeur : Libretto - Traduit de l'américain et postfacé par Diane de Margerie - Date de parution : 2008 - 97 pages à lire!
La narratrice et son mari médecin s’installent durant l’été dans une vielle maison en attendant que les travaux de leur future demeure soient achevés. Souffrant d’une dépression post-partum, son mari lui interdit tout effort, toute sortie ou tout création artistique (entendez par là écrire) pour son bien. Il lui faut dormir, se reposer et manger . Elle occupe l’ancienne nurserie dont papier jaune l’obnubile et la fascine. Ses pensées sont accaparées par les motifs et elle en vient à imaginer des personnages dont une femme qui rampe et cherche à s’échapper. Le papier peint devient le miroir de sa condition. Elle commence à douter de son mari, de ses soi-disant bonnes attentions (n’est-elle pas enfermée ?) et tombe dans la spirale de la folie.
Ce court roman est glaçant et il est suivi d’une postface brillante et très intéressante rédigée par Diane de Margerie qui nous éclaire sur la vie de Charlotte Perkins Gilman. Elle-même a connu cette forme d’enferment sur ordre médical en 1887.
Au XIXe siècle aux Etats-Unis, les femmes étaient considérées comme des personnes dont seuls les hommes pouvaient décider pour elles ce qui était bien. Diane de Margerie nous éclaire sur ce ce qu’on attendait d’une femme : le mariage , les enfants et rien d’autre. Si elles entraient en résistance, la pression sociale se chargeaient de les rentrer dans le droit chemin.Nombre d’entre elles qui étaient habitées par l’envie d’écrire, d’être publiées voyant leurs rêves s’évanouir et soufraient de ce fait de neurasthénie. Un état traité par des « cures de repos » c’est-à-dire un enfermement.
La liberté de la femme (exister sans être réduite à un rôle d’épouse et de mère car la médecine obscurantiste jugeait toute activité créatrice comme dangereuse pour les femmes) était une chimère.
Un livre essentiel, fondamental et marquant !
Enfin j’ai fait une découverte. A force de guetter les métamorphoses du papier au cours de la nuit, j’ai enfin compris. Le motif du premier plan bouge vraiment – et ce n’est pas étonnant : la femme qui se cache derrière le secoue ! Parfois, il me semble que plusieurs femmes se dissimulent derrière le motif, et parfois qu’une seule y rampe en rond, à toute allure, et qu’à force de ramper à une telle vitesse le papier peint en est tout agité de secousses !
Ce livre fait partie de la bibliothèque idéale d'Arnaud (Dialogues).
La narratrice et son mari médecin s’installent durant l’été dans une vielle maison en attendant que les travaux de leur future demeure soient achevés. Souffrant d’une dépression post-partum, son mari lui interdit tout effort, toute sortie ou tout création artistique (entendez par là écrire) pour son bien. Il lui faut dormir, se reposer et manger . Elle occupe l’ancienne nurserie dont papier jaune l’obnubile et la fascine. Ses pensées sont accaparées par les motifs et elle en vient à imaginer des personnages dont une femme qui rampe et cherche à s’échapper. Le papier peint devient le miroir de sa condition. Elle commence à douter de son mari, de ses soi-disant bonnes attentions (n’est-elle pas enfermée ?) et tombe dans la spirale de la folie.
Ce court roman est glaçant et il est suivi d’une postface brillante et très intéressante rédigée par Diane de Margerie qui nous éclaire sur la vie de Charlotte Perkins Gilman. Elle-même a connu cette forme d’enferment sur ordre médical en 1887.
Au XIXe siècle aux Etats-Unis, les femmes étaient considérées comme des personnes dont seuls les hommes pouvaient décider pour elles ce qui était bien. Diane de Margerie nous éclaire sur ce ce qu’on attendait d’une femme : le mariage , les enfants et rien d’autre. Si elles entraient en résistance, la pression sociale se chargeaient de les rentrer dans le droit chemin.Nombre d’entre elles qui étaient habitées par l’envie d’écrire, d’être publiées voyant leurs rêves s’évanouir et soufraient de ce fait de neurasthénie. Un état traité par des « cures de repos » c’est-à-dire un enfermement.
La liberté de la femme (exister sans être réduite à un rôle d’épouse et de mère car la médecine obscurantiste jugeait toute activité créatrice comme dangereuse pour les femmes) était une chimère.
Un livre essentiel, fondamental et marquant !
Enfin j’ai fait une découverte. A force de guetter les métamorphoses du papier au cours de la nuit, j’ai enfin compris. Le motif du premier plan bouge vraiment – et ce n’est pas étonnant : la femme qui se cache derrière le secoue ! Parfois, il me semble que plusieurs femmes se dissimulent derrière le motif, et parfois qu’une seule y rampe en rond, à toute allure, et qu’à force de ramper à une telle vitesse le papier peint en est tout agité de secousses !
Ce livre fait partie de la bibliothèque idéale d'Arnaud (Dialogues).
mardi 21 juin 2016
Katherine Mosby - Sanctuaires ardents
Éditeur : La Table Ronde - Traduit superbement de l'anglais (Etats-unis) par Cécile Arnaud - Date de parution Avril 2016 (Date de première parution : 2010) - 379 pages de bonheur !
Si vous cherchez un livre avec des personnages à la psychologie détaillée, un contexte social et historique bien ancré et le tout admirablement traduit avec un style limpide et riche, ce roman est pour vous.
Vienna une jeune femme cultivée originaire de new-York et qui a beaucoup a voyagé s’installe dans la petite ville de Winsville en Virginie avec son mari Willard Daniels. Leur arrivée suscite beaucoup d’émois et de questions car Vienna est belle, fortunée, elle aime le latin et le grec, passe des heures sur des traductions et écoute de la musique classique. Son mari lui demande de s’intégrer à la communauté c’est-à-dire prendre le thé avec ces dames, ne pas rétablir la vérité lors d’un dîner lorsque quelqu’un se trompe par ignorance. Mais Vienna n’en a cure de ces convenances et des qu'en-dira-t-on. On la dit folle mais elle est simplement originale et libre, en phase aves ses pensées et ses convictions.
Son mari la quitte du jour au lendemain et elle se retrouve seule avec ses deux enfants Willa et Elliott. Ce dernier très sensible est proche des animaux tandis que Willa est rebelle et est éprise de liberté comme sa mère. Ils passent beaucoup de temps à s’occuper par eux-mêmes loin de Vienna. Mais ce sont deux enfants instruits par leur mère.
Dans ce Sud où la ségrégation est toujours en vigueur, Vienna est comme une ombre au tableau. Elle n'a que faire de la religion et n'a pas peur d'affirmer ses différences (comme son amour de la nature et des arbres) quitte à être isolée. Les ragots sur ses origines (son prénom laisse dire à certains qu’elle aurait du sang royal), sur le fait qu’elle soit instruite et l’éducation de ses enfants dérange. Et pourtant Vienna est foncièrement bonne, intègre et aimante. Mais la vie ne sera pas tendre avec elle.
Voilà un roman qu’on a du mal à quitter tant on s’y attache! Car Katherine Mosby excelle dans ce portrait de femme qui assume ses choix. A travers ce livre, elle nous décrit également le contexte de cette époque, les failles et les bassesses humaines mais aussi la bonté, la plénitude. Que ce soit les descriptions des personnages, de leurs sentiments, de la nature également, tout est superbe! L’ensemble est porté par une écriture fluide, lumineuse. Magnifique !
-Elle n'est pas folle , Willard. Elle est cultivée. Il est parfois difficile de faire la différence, c'est tout.
Il ne lui vint jamais à l'esprit qu'elle mentait à ses enfants à propos des pérégrinations des occupations de leur père. Les histoires qu'elle racontait contenaient une probité fondamentale en ce qu'elles représentaient correctement les grands traits de la situation – Willard était en vie, Willard était au loin, et Willard n'était pas en mesure de rentrer. Pour le reste, Vienna ne voyait pas de mal à embellir ou à déformer les détails. Elles se contentait d'interpréter la vérité et de la rendre poétique, lyrique, savoureuse et instructive. En cela, elle pensait faire honneur à la maxime d'Aristote selon laquelle la fonction du poète n'est pas de raconter ce qui s'est passé mais ce qui pourrait se passer, de préférer ce qui devrait être à ce qui est. Elle suivait l'injonction du philosophe pour révéler des vérités universelles plutôt que particulières.
En plus, elle aimait les Nègres et elle fumait des cigarettes. Voilà ce qui arrive, disait-on, quand on lit trop de livres : ça ramollit le cerveau.
Si vous cherchez un livre avec des personnages à la psychologie détaillée, un contexte social et historique bien ancré et le tout admirablement traduit avec un style limpide et riche, ce roman est pour vous.
Vienna une jeune femme cultivée originaire de new-York et qui a beaucoup a voyagé s’installe dans la petite ville de Winsville en Virginie avec son mari Willard Daniels. Leur arrivée suscite beaucoup d’émois et de questions car Vienna est belle, fortunée, elle aime le latin et le grec, passe des heures sur des traductions et écoute de la musique classique. Son mari lui demande de s’intégrer à la communauté c’est-à-dire prendre le thé avec ces dames, ne pas rétablir la vérité lors d’un dîner lorsque quelqu’un se trompe par ignorance. Mais Vienna n’en a cure de ces convenances et des qu'en-dira-t-on. On la dit folle mais elle est simplement originale et libre, en phase aves ses pensées et ses convictions.
Son mari la quitte du jour au lendemain et elle se retrouve seule avec ses deux enfants Willa et Elliott. Ce dernier très sensible est proche des animaux tandis que Willa est rebelle et est éprise de liberté comme sa mère. Ils passent beaucoup de temps à s’occuper par eux-mêmes loin de Vienna. Mais ce sont deux enfants instruits par leur mère.
Dans ce Sud où la ségrégation est toujours en vigueur, Vienna est comme une ombre au tableau. Elle n'a que faire de la religion et n'a pas peur d'affirmer ses différences (comme son amour de la nature et des arbres) quitte à être isolée. Les ragots sur ses origines (son prénom laisse dire à certains qu’elle aurait du sang royal), sur le fait qu’elle soit instruite et l’éducation de ses enfants dérange. Et pourtant Vienna est foncièrement bonne, intègre et aimante. Mais la vie ne sera pas tendre avec elle.
Voilà un roman qu’on a du mal à quitter tant on s’y attache! Car Katherine Mosby excelle dans ce portrait de femme qui assume ses choix. A travers ce livre, elle nous décrit également le contexte de cette époque, les failles et les bassesses humaines mais aussi la bonté, la plénitude. Que ce soit les descriptions des personnages, de leurs sentiments, de la nature également, tout est superbe! L’ensemble est porté par une écriture fluide, lumineuse. Magnifique !
-Elle n'est pas folle , Willard. Elle est cultivée. Il est parfois difficile de faire la différence, c'est tout.
Il ne lui vint jamais à l'esprit qu'elle mentait à ses enfants à propos des pérégrinations des occupations de leur père. Les histoires qu'elle racontait contenaient une probité fondamentale en ce qu'elles représentaient correctement les grands traits de la situation – Willard était en vie, Willard était au loin, et Willard n'était pas en mesure de rentrer. Pour le reste, Vienna ne voyait pas de mal à embellir ou à déformer les détails. Elles se contentait d'interpréter la vérité et de la rendre poétique, lyrique, savoureuse et instructive. En cela, elle pensait faire honneur à la maxime d'Aristote selon laquelle la fonction du poète n'est pas de raconter ce qui s'est passé mais ce qui pourrait se passer, de préférer ce qui devrait être à ce qui est. Elle suivait l'injonction du philosophe pour révéler des vérités universelles plutôt que particulières.
En plus, elle aimait les Nègres et elle fumait des cigarettes. Voilà ce qui arrive, disait-on, quand on lit trop de livres : ça ramollit le cerveau.
lundi 20 juin 2016
H. J. Lim - Le son du silence
Éditeur : Albin Michel - Date de parution : Février 2016 - 182 pages d'humilité, de sagesse et de force.
H. J. Lim : ce nom m’était inconnue avant ce livre car je n’écoute pas de musique classique. Mais l’on peut avoir dans les oreilles Bashung, Miossec et de la bonne pop anglaise (comme dans mon cas) et aimer ce livre !
Cette jeune virtuose du piano a quitté son pays la Corée du Sud pour venir étudier en France à l’âge de douze ans. Loin de ses parents, de sa mère avec qui elle est très proche, ne parlant pas un seul mot de français, habitée par sa passion, son parcours n’est pas celui d’un tapis rouge qui se déroule à ses pieds.
Talentueuse, travailleuse, elle ne baisse jamais les bras que ce soit pour étudier une sonate contre l’avis d’un professeur la jugeant trop jeune, pour lever les barrages administratifs ou pour vivre dans un garage en banlieue parisien avec son piano.
Son parcours en France débute à Compiègne, puis à Rouen et enfin il y a Paris et son Conservatoire national de musique auquel elle est admise à seize ans et déclarée émancipée par le tribunal d’instance. Elle doit tout gérer : son travail, ses études et le quotidien d’une adulte.
Ce récit introspectif nous donne une autre vison de la musique " Qu’est ce que la musique ? N’est–elle pas une communication d’âme à âme ? Retrouver la musique dans son état originel, c’est ce que que je désire, que je cherche », « Jouer, ce n’est pas rendre à la perfection l’exactitude des notes. C’est beaucoup plus que cela. » car H. J. Lim veut jouer à sa façon avec son coeur et son âme. " L'exaltation que je ressentais alors à travers la musique, je ne savais pas la tenir, et là où je voyais une faiblesse, j'apprends au Conservatoire à en faire une force.Je ne crois pas à la retenue en musique. "
Mais il nous permet également de comprendre sa vision de la vie, de l’existence , sa soif de liberté, sa " sagesse intérieure " acquise avec principes bouddhistes. H. J. Lim rencontrera des personnes bienveillantes en France qui l’aideront mais sa force intérieure, sa maturité auront été primordiales.
Humilité, communication de l’âme et de la musique, ce livre est éclairé par la luminosité intérieure d’ H. J. Lim . Et c’est beau, très beau.
La beauté est superficielle, elle ne dure pas. C’est une chose que je sais depuis longtemps. Que le corps n’est qu’un véhicule, et que l’on emporte rien dans la mort ; qu’il est plus intelligent et plus juste de cultiver et de nourrir cette beauté essentielle en soi, invisible et subtile.
Merci à Delphine (Dialogues) de m'avoir parlée de ce livre !
H. J. Lim : ce nom m’était inconnue avant ce livre car je n’écoute pas de musique classique. Mais l’on peut avoir dans les oreilles Bashung, Miossec et de la bonne pop anglaise (comme dans mon cas) et aimer ce livre !
Cette jeune virtuose du piano a quitté son pays la Corée du Sud pour venir étudier en France à l’âge de douze ans. Loin de ses parents, de sa mère avec qui elle est très proche, ne parlant pas un seul mot de français, habitée par sa passion, son parcours n’est pas celui d’un tapis rouge qui se déroule à ses pieds.
Talentueuse, travailleuse, elle ne baisse jamais les bras que ce soit pour étudier une sonate contre l’avis d’un professeur la jugeant trop jeune, pour lever les barrages administratifs ou pour vivre dans un garage en banlieue parisien avec son piano.
Son parcours en France débute à Compiègne, puis à Rouen et enfin il y a Paris et son Conservatoire national de musique auquel elle est admise à seize ans et déclarée émancipée par le tribunal d’instance. Elle doit tout gérer : son travail, ses études et le quotidien d’une adulte.
Ce récit introspectif nous donne une autre vison de la musique " Qu’est ce que la musique ? N’est–elle pas une communication d’âme à âme ? Retrouver la musique dans son état originel, c’est ce que que je désire, que je cherche », « Jouer, ce n’est pas rendre à la perfection l’exactitude des notes. C’est beaucoup plus que cela. » car H. J. Lim veut jouer à sa façon avec son coeur et son âme. " L'exaltation que je ressentais alors à travers la musique, je ne savais pas la tenir, et là où je voyais une faiblesse, j'apprends au Conservatoire à en faire une force.Je ne crois pas à la retenue en musique. "
Mais il nous permet également de comprendre sa vision de la vie, de l’existence , sa soif de liberté, sa " sagesse intérieure " acquise avec principes bouddhistes. H. J. Lim rencontrera des personnes bienveillantes en France qui l’aideront mais sa force intérieure, sa maturité auront été primordiales.
Humilité, communication de l’âme et de la musique, ce livre est éclairé par la luminosité intérieure d’ H. J. Lim . Et c’est beau, très beau.
La beauté est superficielle, elle ne dure pas. C’est une chose que je sais depuis longtemps. Que le corps n’est qu’un véhicule, et que l’on emporte rien dans la mort ; qu’il est plus intelligent et plus juste de cultiver et de nourrir cette beauté essentielle en soi, invisible et subtile.
Merci à Delphine (Dialogues) de m'avoir parlée de ce livre !
samedi 18 juin 2016
Nicolas Robin - Roland est mort
Éditeur : Anne Carrière - Date de parution : mars 2016 - 183 pages drôles, originales et sensibles !
Le narrateur apprend par la concierge que son voisin de palier est mort. C’est vrai qu’il n’entendait plus Mireille Mathieu (dont Roland était un fan absolu) depuis une semaine mais il se s’était pas inquiété. Roman était un voisin avec qui il n’avait jamais échangé un bonjour ou un au revoir. Quarantenaire, infographiste au chômage, largué par la femme qu’il aimait, adepte de films pornos et de campari, ses sorties se résument à Pôle emploi, au bar du coin et au supermarché pour les courses d’un célibataire qui mange mal et gras.
Roland a été retrouvé la tête dans la gamelle de son caniche Mireille et les pompiers venus défoncer la porte confie l’animal au narrateur. Il n’en veut pas, personne n’en veut d’ailleurs. Voilà comment Roland s’introduit pour ainsi dire dans sa vie. Pas d’encart dans le rubrique nécrologique du journal, pas de famille, pas d’amis. Et le narrateur hérite en plus de Mireille de l’urne contenant les cendres du défunt.
Avec une écriture directe, mêlant ironie, constatations très justes et sensibilité, Nicolas Robin arrive à nous faire sourire, rire et à nous émouvoir sur un thème difficile : peut-on mourir seul de nos jours dans l’indifférence la plus grande ? Pas de pathos ou de bons sentiments mais une introspection du narrateur entre autodérision, cynisme et appréhension qui fait mouche.
Un livre OVNI loin des sentiers battus avec un narrateur anti-héros grassouillet peu sympathique. Et même si "la mort d'un inconnu n'est pas un évènement bouleversant, sinon on pleurerait toutes les trois secondes. Roland ne me (lui)manque pas", sa vision de la vie va en être modifiée.
Un livre inclassable par son originalité, sa fantaisie décalée et par les émotions qui surgissent au coin d’une phrase !
Un grand merci à Julien (Dialogues) pour ce conseil de lecture.
Roland est mort depuis une semaine dans l'indifférence générale. Il n'avait plus de famille, même pas une cousine alcoolique, venue lui réclamer une petite Suze, une cousine squelettique qui noie sa détresse dans un verre de cantine. Il n'avait même pas un ami venu lui confier ses problèmes de fric, ses problèmes de fesses, ses problèmes en général, qui donnent envie de taper sur la table en disant " La vie c'était mieux sous Mitterrand!". Personne n'est venu frapper à sa porte, même pas un voisin pour lui demander s'il allait bien, s'il avait besoin d'une soupe instantanée ou d'un cachet d'aspirine, s'il avait envie de jouer à la belote ou au rami. Roland est mort dans la plus grande solitude. Il ne laisse aucun contact, aucun ami. il n'avait pas de vie sociale. il n'avait qu'un caniche.
Trente minutes d'attente. C'est le temps suffisant pour entrer entrer en contact avec des végétaux en plastique. A Pôle emploi, il y a des plantes artificielles s'épanche , on lui raconte sa vie. Le bégonia en plastique devient substitut de psy.(..) On vouvoie le bégonia. On le respecte. Il est la première étape, juste avant de rencontrer un conseiller de Pôle emploi.
Quand la solitude prend racine, elle est plus tenace qu'un chiendent.
Le narrateur apprend par la concierge que son voisin de palier est mort. C’est vrai qu’il n’entendait plus Mireille Mathieu (dont Roland était un fan absolu) depuis une semaine mais il se s’était pas inquiété. Roman était un voisin avec qui il n’avait jamais échangé un bonjour ou un au revoir. Quarantenaire, infographiste au chômage, largué par la femme qu’il aimait, adepte de films pornos et de campari, ses sorties se résument à Pôle emploi, au bar du coin et au supermarché pour les courses d’un célibataire qui mange mal et gras.
Roland a été retrouvé la tête dans la gamelle de son caniche Mireille et les pompiers venus défoncer la porte confie l’animal au narrateur. Il n’en veut pas, personne n’en veut d’ailleurs. Voilà comment Roland s’introduit pour ainsi dire dans sa vie. Pas d’encart dans le rubrique nécrologique du journal, pas de famille, pas d’amis. Et le narrateur hérite en plus de Mireille de l’urne contenant les cendres du défunt.
Avec une écriture directe, mêlant ironie, constatations très justes et sensibilité, Nicolas Robin arrive à nous faire sourire, rire et à nous émouvoir sur un thème difficile : peut-on mourir seul de nos jours dans l’indifférence la plus grande ? Pas de pathos ou de bons sentiments mais une introspection du narrateur entre autodérision, cynisme et appréhension qui fait mouche.
Un livre OVNI loin des sentiers battus avec un narrateur anti-héros grassouillet peu sympathique. Et même si "la mort d'un inconnu n'est pas un évènement bouleversant, sinon on pleurerait toutes les trois secondes. Roland ne me (lui)manque pas", sa vision de la vie va en être modifiée.
Un livre inclassable par son originalité, sa fantaisie décalée et par les émotions qui surgissent au coin d’une phrase !
Un grand merci à Julien (Dialogues) pour ce conseil de lecture.
Roland est mort depuis une semaine dans l'indifférence générale. Il n'avait plus de famille, même pas une cousine alcoolique, venue lui réclamer une petite Suze, une cousine squelettique qui noie sa détresse dans un verre de cantine. Il n'avait même pas un ami venu lui confier ses problèmes de fric, ses problèmes de fesses, ses problèmes en général, qui donnent envie de taper sur la table en disant " La vie c'était mieux sous Mitterrand!". Personne n'est venu frapper à sa porte, même pas un voisin pour lui demander s'il allait bien, s'il avait besoin d'une soupe instantanée ou d'un cachet d'aspirine, s'il avait envie de jouer à la belote ou au rami. Roland est mort dans la plus grande solitude. Il ne laisse aucun contact, aucun ami. il n'avait pas de vie sociale. il n'avait qu'un caniche.
Trente minutes d'attente. C'est le temps suffisant pour entrer entrer en contact avec des végétaux en plastique. A Pôle emploi, il y a des plantes artificielles s'épanche , on lui raconte sa vie. Le bégonia en plastique devient substitut de psy.(..) On vouvoie le bégonia. On le respecte. Il est la première étape, juste avant de rencontrer un conseiller de Pôle emploi.
Quand la solitude prend racine, elle est plus tenace qu'un chiendent.
jeudi 16 juin 2016
Le 1-Hors-série : Nouvelles du monde
Dans la préface de ce hors série du magazine le 1 et en collaboration avec La Grande librairie et France 5, Eric Fottorino écrit : « Et pour raconter une histoire, qui s’y entend mieux que les romanciers ?L ’expérience de la vie, la vraie, est inaccessible en dehors de la littérature .(...) La littérature, c’est aussi parler de demain avec de la mémoire. Ce sont des mots au service des idées, mais aussi du sensible, du surprenant, de l’inconfortable parfois, toujours de l’imprévu, le contraire de l’habitude, du prête à penser, de l’ennui. »
Placées sous le signe de l’ailleurs, onze plumes Nancy Huston, Erri De Luca, Marie-Hélène Lafon, Leïla Slimani, Irène Frain, Dany Laferrière, Michel Quint, William Boyd, Patrick Grainville, Tahar Ben Jelloun et Guy de Maupassant (mon novelliste chouchou) nous offrent leur vision de l’ailleurs. Qu’est-ce que l’ailleurs ? Est-il toujours rattaché au voyage ? Et bien non justement.
J’ai retrouvé dans Rêves de Guy de Maupassant que je n’avais pas lu depuis longtemps, son style, sa capacité extraordinaire à nous immerger en quelque pages dans une histoire, à planter un décor avec des personnages et à nous surprendre par la chute. Les autres auteurs n’ont pas à rougir. Irène Frain nous amène sur le terrain de son enfance dans le Morbihan. Pas de vacances, une journée sur le plages du Sud-Finistère constituait un changement de territoire. Cette nouvelle sonne très juste car elle marque bien comment en Bretagne, les différences entre les départements (ou au sein d’un même département) marquent encore une notion de changement. Pas d’argent, pas de vacances, alors elle s’inventait des ailleurs gratuitement. Seule l’imagination suffisait.
Leïla Slimani nous parle d’une héroïne qui a vécu mille vies dans différents endroits à différentes époques grâce au à la magie des mots des livres. Marie-Hélène Lafon nous offre une nouvelle où un bois est un personnage à part entière : « Le bois emporte, ; (…) quelque chose vous prend au corps et vous ne vous lâche plus, vous cueille et vous arrache, vous caresse et vous broie, vous relie, vous retourne. On n’a plus qu'à se laisser faire, ou s'en aller. Elle reste. Elle vient pour ça ; elle ne résiste pas et se tient aux aguets. Tout son corps est happé. La sémillante guipure des chants d’oiseaux ourle le silence ; c'est une joie, un jet, une attente qui n'aurait pas de fin à l'échancrure nacrée du jour et des saisons. » L’héroïne fait corps avec la nature, un symbiose unique attendue lorsqu’elle est à Paris. L'écriture de Marie-Hélène Lafon se déguste !
De la peinture aux danses de Rio, de la tombe de Borges à une nuit passée dans un désert, l’ailleurs revêt différentes formes ( Dany Lafferrière, Patrick Grainville, William Boyd, Erri De Luca et Tahar Ben Jelloun). Michel Quint avec sa gouaille unique signe un texte savoureux et un brin malicieux. Et la nouvelle de Nancy Huston m’a particulièrement touchée et remuée, elle qui conclue son texte avec ces mots : "En somme, plus je voyage, moins j’ai de repères, de fierté et de certitudes . "Se dépayser" de cette manière-là est une grande leçon philosophique. Pas rassurante pour deux sous, mais édifiante. " Ca claque et ça interpelle !
Il faut prendre son temps de lire chaque nouvelle indépendamment, "de laisser infuser" comme le dit Eric Fottorino pour bien en saisir en saisir toutes les nuances et s’en imprégner.
Un petit recueil mais un grand voyage que je ne suis pas prête d’oublier. Du plaisir !
Le seul indice qu'on a de l'existence d'un tel lieu est ce petit dialogue surpris entre un écrivain et un lecteur :
- D'où venez-vous?
- De nulle part.
- Joli coin.
Danny Lafferière
Les billets de Cathulu, Nicole.
mercredi 15 juin 2016
Elisabeth Alexandrova-Zorina - La poupée cassée
Éditeur : Éditions de l'aube - Traduit du russe par Christine Mestre - Date de parution mai 2016 - 355 pages à découvrir.
Tout juste trentenaire, Iva Nora mène une vie confortable à Moscou. Coach de vie dans une entreprise, ses formations comportent des listes d’attente et ses livres se vendent comme des petits pains. La jeune femme vient même de s’acheter un appartement. Sa vie bascule après une soirée avec deux amies. Au lieu d’avoir pris ses clés personnelles, son trousseau dans sa poche est celui de son bureau. Impossible de rentrer chez elle. La concierge de l’immeuble dit ne pas la connaître et menace d’appeler la police. La descente aux enfers pour Iva commence.
C’elle qui enseignait à des cadres ou à des patrons à manager, à atteindre la réussite car "toute notre vie se compose de solutions que l’on trouve à des situations et à des problèmes , grands et petits" pense remédier à ce problème rapidement. Pragmatique, autoritaire, elle appelle un serrurier. Mais nous somme à Moscou et Iva n’a aucun papier sur elle qui prouve son identité. Un serrurier ne peut pas agir sans document officiel dans ce pays "où ce ne sont ni les lois ni le bon sens qui règnent en maître". Obligée d’aller travailler les jours suivants sans voir pu se changer, se laver , se maquiller , elle perd son travail et se retrouve à la rue. Ses amies ont d’autres chats à fouetter que de l’aider tout comme son patron (qui est également son amant). Iva n’a qu’une idée en tête : faire ouvrir sa porte même par des moyens illégaux et découvre l’autre visage de Moscou : celui des SDF, des sans-papiers, des combines, de l’exploitation humaine. Et tout se fracasse vraiment quand elle voit une jeune femme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau se faire passer pour elle.
En parallèle, Iva se rappelle ses formations, ses discours bien rodés (qui ne lui servent plus à rien).
Son dédain pour ceux qui faisaient appel à elle, son assurance de supériorité et sa pensée de maîtriser sa vie sont flagrants. Toutes ses épreuves lui rappellent les expériences qu’elle menait sur des individus ( lesquelles font froid dans le dos).
Elisabeth Alexandrova-Zorina dénonce le carriérisme, le chacun pour soi au détriment de l’individu. Avec un dénouement inattendu, malgré quelques petites répétitions, ce livre qui au départ semble flirter avec l’absurde est glaçant sur bien des points et nous fait réfléchir. Une découverte que je ne regrette pas (merci à Babelio) !
Tout juste trentenaire, Iva Nora mène une vie confortable à Moscou. Coach de vie dans une entreprise, ses formations comportent des listes d’attente et ses livres se vendent comme des petits pains. La jeune femme vient même de s’acheter un appartement. Sa vie bascule après une soirée avec deux amies. Au lieu d’avoir pris ses clés personnelles, son trousseau dans sa poche est celui de son bureau. Impossible de rentrer chez elle. La concierge de l’immeuble dit ne pas la connaître et menace d’appeler la police. La descente aux enfers pour Iva commence.
C’elle qui enseignait à des cadres ou à des patrons à manager, à atteindre la réussite car "toute notre vie se compose de solutions que l’on trouve à des situations et à des problèmes , grands et petits" pense remédier à ce problème rapidement. Pragmatique, autoritaire, elle appelle un serrurier. Mais nous somme à Moscou et Iva n’a aucun papier sur elle qui prouve son identité. Un serrurier ne peut pas agir sans document officiel dans ce pays "où ce ne sont ni les lois ni le bon sens qui règnent en maître". Obligée d’aller travailler les jours suivants sans voir pu se changer, se laver , se maquiller , elle perd son travail et se retrouve à la rue. Ses amies ont d’autres chats à fouetter que de l’aider tout comme son patron (qui est également son amant). Iva n’a qu’une idée en tête : faire ouvrir sa porte même par des moyens illégaux et découvre l’autre visage de Moscou : celui des SDF, des sans-papiers, des combines, de l’exploitation humaine. Et tout se fracasse vraiment quand elle voit une jeune femme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau se faire passer pour elle.
En parallèle, Iva se rappelle ses formations, ses discours bien rodés (qui ne lui servent plus à rien).
Son dédain pour ceux qui faisaient appel à elle, son assurance de supériorité et sa pensée de maîtriser sa vie sont flagrants. Toutes ses épreuves lui rappellent les expériences qu’elle menait sur des individus ( lesquelles font froid dans le dos).
Elisabeth Alexandrova-Zorina dénonce le carriérisme, le chacun pour soi au détriment de l’individu. Avec un dénouement inattendu, malgré quelques petites répétitions, ce livre qui au départ semble flirter avec l’absurde est glaçant sur bien des points et nous fait réfléchir. Une découverte que je ne regrette pas (merci à Babelio) !
lundi 13 juin 2016
Pierrette Fleutiaux - Destiny
Éditeur : Actes Sud - Date de parution : Avril 2016 - 184 pages et un coup de cœur !
Dans les couloirs du métro parisien, Anne retraitée blanche et française des beaux quartiers est chargée de sacs d’achat pour la future naissance de sa petite fille. Appuyée contre un mur, une jeune femme noire enceinte semble mal en point. Continuer son chemin ou s’arrêter ? C’est ce qui s’inscrit dans l’esprit d’Anne. Elle la dépasse mais revient sur ses pas. Un acte de bonne conscience, l’envie ou le besoin d’aider celle qui en a besoin? La jeune femme Destiny s’exprime dans un anglais approximatif, patiné de mots qui comme des cailloux retracent son parcours. Mais nous n’en sommes pas là. Anne réussit à la comprendre et à l’accompagner à l’hôpital. Elle lui promet de revenir le lendemain.
Pourquoi cette promesse ? Pour souffler un peu d’espoir à Destiny ? Pour lui faire comprendre qu’elle se préoccupe d’elle ? Depuis son Nigéria natal, Destiny à vingt-sept ans a parcouru des kilomètres, fuit les armes et le hommes menaçants. Elle a payé de son corps son passage en Italie ballotée sur un bateau avec d’autres migrants. Et là voici maintenant en France. Exclue, abonnée à la misère mais elle croit en son prénom. Tout sépare ces deux femmes " que s’imaginait donc Anne ? Qu’elle avait à faire à une gamine ignorante à prendre par la main et guider ! Ne sait-elle pas que celle-ci a des années de tourments derrière elle, des années d’enfer ? Oui, elle le sait, mais non, elle ne sait pas vraiment. Il n’y a rien dans la vie d’Anne, qui puisse lui servir de comparaison, qui puisse lui servir à comprendre vraiment, de l’intérieur, la vie de cette femme."
Destiny met au monde Glory, Anne entreprend des démarches qui jusque là lui étaient inconnues. Car Destiny n’a aucun endroit où loger, n’a pas d‘argent. Anne aimerait ou voudrait en qualité de celle qui aide en savoir plus, que Destiny lui soit reconnaissante pour les vêtements et l’argent donnés, la nourriture achetée. De Paris, Destiny connaît le "CentQuinze" mais pas la Tour Eiffel. Malgré les vacances familiales où la jeune femme s’estompe de son esprit, Anne revient toujours vers Destiny sans trop comment s’y prendre.
Car Destiny est fière, rebelle, elle veut faire venir ses deux autres enfants, trouver un emploi, ne veut pas se faire d’ami, sombre dans le dépression… Autant de quoi noyer Anne dans un océan de perplexité.
De cette relation fragile avec ses incompréhensions mutuelles, Pierrette Fleutiaux nous rappelle que l’aidant n’a pas tous les droits, que Destiny si elle ne déverse pas des torrents de gratitude possède sa liberté bien à elle. Et ces deux femmes vont s’apprivoiser avec leurs différences et chacune d'elle va gommer ce qu’elle ne peut pas comprendre de l'autre et s'enrichir.
Dans cette cartographie complexe des rapports humains, Pierrette Fleutiaux nous offre un regard lucide : des moments de complicité aux petites pensées égoïstes par instinct de protection d’Anne ou encore les mensonges de Destiny "Vérité et mensonge ne sont pas des concepts de référence très utiles quand on côtoie les miséreux du monde". Anne et Destiny s’ancrent en nous et nous questionnent à la façon d'un miroir.
Un livre servi par une écriture ciselée, rare et essentiel avec une sincère humanité et sensibilité car il fait partie de ces lectures qui mettent à mal les préjugés et nous interrogent. Un coup de cœur entier et total sur toute la ligne !
Rien d'éteint, dans les yeux de Destiny et de son mari Victor. Ce qui y brille, il lui faudra plusieurs heures avant de réussir à l'identifier, il lui faudra contourner des amas de clichés et de préjugés pour arriver à cette simple certitude : ce qui brillait dans leurs yeux, c'était le bonheur anticipé de deux parents devant la joie de leurs enfants. Cela, rien de plus.
C'est dans le grand livre des migrants que se trouvent les miracles aujourd'hui.
Le billet de Jérôme
Dans les couloirs du métro parisien, Anne retraitée blanche et française des beaux quartiers est chargée de sacs d’achat pour la future naissance de sa petite fille. Appuyée contre un mur, une jeune femme noire enceinte semble mal en point. Continuer son chemin ou s’arrêter ? C’est ce qui s’inscrit dans l’esprit d’Anne. Elle la dépasse mais revient sur ses pas. Un acte de bonne conscience, l’envie ou le besoin d’aider celle qui en a besoin? La jeune femme Destiny s’exprime dans un anglais approximatif, patiné de mots qui comme des cailloux retracent son parcours. Mais nous n’en sommes pas là. Anne réussit à la comprendre et à l’accompagner à l’hôpital. Elle lui promet de revenir le lendemain.
Pourquoi cette promesse ? Pour souffler un peu d’espoir à Destiny ? Pour lui faire comprendre qu’elle se préoccupe d’elle ? Depuis son Nigéria natal, Destiny à vingt-sept ans a parcouru des kilomètres, fuit les armes et le hommes menaçants. Elle a payé de son corps son passage en Italie ballotée sur un bateau avec d’autres migrants. Et là voici maintenant en France. Exclue, abonnée à la misère mais elle croit en son prénom. Tout sépare ces deux femmes " que s’imaginait donc Anne ? Qu’elle avait à faire à une gamine ignorante à prendre par la main et guider ! Ne sait-elle pas que celle-ci a des années de tourments derrière elle, des années d’enfer ? Oui, elle le sait, mais non, elle ne sait pas vraiment. Il n’y a rien dans la vie d’Anne, qui puisse lui servir de comparaison, qui puisse lui servir à comprendre vraiment, de l’intérieur, la vie de cette femme."
Destiny met au monde Glory, Anne entreprend des démarches qui jusque là lui étaient inconnues. Car Destiny n’a aucun endroit où loger, n’a pas d‘argent. Anne aimerait ou voudrait en qualité de celle qui aide en savoir plus, que Destiny lui soit reconnaissante pour les vêtements et l’argent donnés, la nourriture achetée. De Paris, Destiny connaît le "CentQuinze" mais pas la Tour Eiffel. Malgré les vacances familiales où la jeune femme s’estompe de son esprit, Anne revient toujours vers Destiny sans trop comment s’y prendre.
Car Destiny est fière, rebelle, elle veut faire venir ses deux autres enfants, trouver un emploi, ne veut pas se faire d’ami, sombre dans le dépression… Autant de quoi noyer Anne dans un océan de perplexité.
De cette relation fragile avec ses incompréhensions mutuelles, Pierrette Fleutiaux nous rappelle que l’aidant n’a pas tous les droits, que Destiny si elle ne déverse pas des torrents de gratitude possède sa liberté bien à elle. Et ces deux femmes vont s’apprivoiser avec leurs différences et chacune d'elle va gommer ce qu’elle ne peut pas comprendre de l'autre et s'enrichir.
Dans cette cartographie complexe des rapports humains, Pierrette Fleutiaux nous offre un regard lucide : des moments de complicité aux petites pensées égoïstes par instinct de protection d’Anne ou encore les mensonges de Destiny "Vérité et mensonge ne sont pas des concepts de référence très utiles quand on côtoie les miséreux du monde". Anne et Destiny s’ancrent en nous et nous questionnent à la façon d'un miroir.
Un livre servi par une écriture ciselée, rare et essentiel avec une sincère humanité et sensibilité car il fait partie de ces lectures qui mettent à mal les préjugés et nous interrogent. Un coup de cœur entier et total sur toute la ligne !
Rien d'éteint, dans les yeux de Destiny et de son mari Victor. Ce qui y brille, il lui faudra plusieurs heures avant de réussir à l'identifier, il lui faudra contourner des amas de clichés et de préjugés pour arriver à cette simple certitude : ce qui brillait dans leurs yeux, c'était le bonheur anticipé de deux parents devant la joie de leurs enfants. Cela, rien de plus.
C'est dans le grand livre des migrants que se trouvent les miracles aujourd'hui.
Le billet de Jérôme
dimanche 12 juin 2016
Jessica Knoll - American Girl
Éditeur : Actes Sud - Traduit de de l’anglais (Etats-Unis) par Hubert Malfray - Date de parution : Juin 2016 - 360 pages qui ne laissent pas indifférent.
A vingt-huit ans, Ani journaliste dans un magazine à New-York va se marier dans quelques semaines à un avocat d’une famille puissante. Cette working-girl habillée à la dernière mode et vouée au culte de l’apparence possède de la répartie. Et à la lecture des premières pages, on la trouve hautaine, arrogante. Bref, une vraie tête à claques qui semble vivre dans une bulle rose et dorée. Mais très vite, on comprend que c’est une façade blindée et que son assurance est un travail entrepris il y a longtemps : "J'ai compris que la réussite pouvait être source de protection; réussir, c'était pouvoir maltraiter un larbin à l'autre bout du fil, porter des chaussures hors de prix qui terrorisaient la ville, faire s'écarter les foule sur votre passage, donner l'impression que vous êtes au-dessus du commun des mortels. Et pour parfaire le tableau, il fallait aussi trouver un homme. Si j'arrivais à obtenir tout ça, me suis-je dit, plus jamais personne ne me ferait du mal." Car Ani la narratrice dissimule un passé douloureux et les souffrances sont toujours bien présentes. Ses névroses actuelles, sa recherche de sécurité par le biais d’un mariage et d'une réussite sociale découlent de ce qu’elle a vécu à l'adolescence dans un laps de temps très court.
Jessica Knoll nous fait revenir à l’année des quatorze ans de TifAny (son vrai prénom) FaNelli où elle intègre un nouveau lycée Bradley en Pennsylvanie. Une école avec forcément son lot d’élèves qui soufflent le chaud et le froid. TifAni est acceptée par ce groupe d’élèves et pour elle c’est une victoire.
Alternant présent et passé, on découvre à quel point la sarcastique Ani est perdue mais surtout on revit avec elle deux événements d’une violence inouïe lors de son année scolaire à Bradley.
Jesicca Knoll n’a pas froid aux yeux vu les thèmes abordés (attention ça bouscule, vous êtes prévenus) pour un premier roman et en choisissant une héroïne désabusée qui est loin de gagner notre sympathie durant une bonne partie du récit.
Le style où se mélangent du cash, du mordant mais également aussi un peu de chick lit (qui s'estompe rapidement au fil des pages) est à l'image de la personnalité d'Ani. Et je n'ai pas été toujours à l'aise avec cette écriture.
Malgré une inégalité dans les différentes partie du récit et quelques maladresses, ce roman est assez magnétique et ne laissera personne indifférent.
Mon changement de nom n'avait rien à voir avec mon désir de cacher mon passé ; c'était plutôt le moyen pour moi de devenir celle que, selon les gens je ne méritais pas de devenir : Ani Harrison.
Le billet de Cathulu
A vingt-huit ans, Ani journaliste dans un magazine à New-York va se marier dans quelques semaines à un avocat d’une famille puissante. Cette working-girl habillée à la dernière mode et vouée au culte de l’apparence possède de la répartie. Et à la lecture des premières pages, on la trouve hautaine, arrogante. Bref, une vraie tête à claques qui semble vivre dans une bulle rose et dorée. Mais très vite, on comprend que c’est une façade blindée et que son assurance est un travail entrepris il y a longtemps : "J'ai compris que la réussite pouvait être source de protection; réussir, c'était pouvoir maltraiter un larbin à l'autre bout du fil, porter des chaussures hors de prix qui terrorisaient la ville, faire s'écarter les foule sur votre passage, donner l'impression que vous êtes au-dessus du commun des mortels. Et pour parfaire le tableau, il fallait aussi trouver un homme. Si j'arrivais à obtenir tout ça, me suis-je dit, plus jamais personne ne me ferait du mal." Car Ani la narratrice dissimule un passé douloureux et les souffrances sont toujours bien présentes. Ses névroses actuelles, sa recherche de sécurité par le biais d’un mariage et d'une réussite sociale découlent de ce qu’elle a vécu à l'adolescence dans un laps de temps très court.
Jessica Knoll nous fait revenir à l’année des quatorze ans de TifAny (son vrai prénom) FaNelli où elle intègre un nouveau lycée Bradley en Pennsylvanie. Une école avec forcément son lot d’élèves qui soufflent le chaud et le froid. TifAni est acceptée par ce groupe d’élèves et pour elle c’est une victoire.
Alternant présent et passé, on découvre à quel point la sarcastique Ani est perdue mais surtout on revit avec elle deux événements d’une violence inouïe lors de son année scolaire à Bradley.
Jesicca Knoll n’a pas froid aux yeux vu les thèmes abordés (attention ça bouscule, vous êtes prévenus) pour un premier roman et en choisissant une héroïne désabusée qui est loin de gagner notre sympathie durant une bonne partie du récit.
Le style où se mélangent du cash, du mordant mais également aussi un peu de chick lit (qui s'estompe rapidement au fil des pages) est à l'image de la personnalité d'Ani. Et je n'ai pas été toujours à l'aise avec cette écriture.
Malgré une inégalité dans les différentes partie du récit et quelques maladresses, ce roman est assez magnétique et ne laissera personne indifférent.
Mon changement de nom n'avait rien à voir avec mon désir de cacher mon passé ; c'était plutôt le moyen pour moi de devenir celle que, selon les gens je ne méritais pas de devenir : Ani Harrison.
Le billet de Cathulu
lundi 6 juin 2016
Béatrice Fontanel - Le train d'Alger
Éditeur : Stock - Date de parution :Janvier 2016 - 238 pages qui prennent aux tripes.
"Embuscades, rafale de mitraillette, mines, grenades, voitures piégées, coupe de fusil, coups de couteau… Je ne comprenais rien à cette sarabande macabre. Mais j'entendais… J'entendais des bruits les, les explosions, les coups de sifflet, le cris, les tirs, les sirènes des ambulances dans la ville. J'entendais les gens courir. Rien de plus inquiétant pour moi que le bruit de pas de course, surtout lorsqu'on ne sait pas ce qui se passe." Nous sommes à Alger où la narratrice est encore une petite enfance en cette période sombre de l’histoire de l’Histoire avec le FLN, l’OSA et le souffle de l’indépendance revendiquée. On est loin des paroles rassurantes du 18 juillet 1962 de Charles de Gaulle "Pour la France à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement."
Agée de trois ans, en compagnie de sa mère dans un train, ce dernier saute, miné par les explosifs du FLN en1959. Ce souvenir la hante toujours cinquante ans après avec des peurs, des angoisses. A Alger, la famille doit brusquement en France. Vite, très vite. Et maintenant, à ses parents devenus âgés, elle pose également des questions sur ce passé.
Revenant sur son enfance à Alger puis sur l’arrivée de sa famille en France la dépression de sa mère et la folie, tout est livré par ses yeux d’enfants à l’époque sans chercher à faire un récit historique.
Ajoutant son quotidien d’aujourd’hui, ses réflexions ses doutes et ses angoisses comme des graines de fleurs. "J'ai cherché à savoir d'où me vient ce goût exagéré pour la botanique. Je crois que c'est pour l'espoir et la fertilité… Quels que soient les tragédies, les drames, les destructions humaines, les plantes finissent toujours par repousser. Elles reviennent, en rampant s ‘il le faut , et recouvrent les ruines de leur manteau végétal."
Des touches de tendresse, de peur mais aussi de bonheur, d'espoir avec une écriture dont la poésie fait mouche, Béatrice Fontanel nous offre une lecture qui prend aux tripes.
"J'écris comme je lave le sol, à grande eau. Alors ça met du temps à sécher. C'est mon destin d'essorer."
Les billets de Cathulu, Virginie
"Embuscades, rafale de mitraillette, mines, grenades, voitures piégées, coupe de fusil, coups de couteau… Je ne comprenais rien à cette sarabande macabre. Mais j'entendais… J'entendais des bruits les, les explosions, les coups de sifflet, le cris, les tirs, les sirènes des ambulances dans la ville. J'entendais les gens courir. Rien de plus inquiétant pour moi que le bruit de pas de course, surtout lorsqu'on ne sait pas ce qui se passe." Nous sommes à Alger où la narratrice est encore une petite enfance en cette période sombre de l’histoire de l’Histoire avec le FLN, l’OSA et le souffle de l’indépendance revendiquée. On est loin des paroles rassurantes du 18 juillet 1962 de Charles de Gaulle "Pour la France à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement."
Agée de trois ans, en compagnie de sa mère dans un train, ce dernier saute, miné par les explosifs du FLN en1959. Ce souvenir la hante toujours cinquante ans après avec des peurs, des angoisses. A Alger, la famille doit brusquement en France. Vite, très vite. Et maintenant, à ses parents devenus âgés, elle pose également des questions sur ce passé.
Revenant sur son enfance à Alger puis sur l’arrivée de sa famille en France la dépression de sa mère et la folie, tout est livré par ses yeux d’enfants à l’époque sans chercher à faire un récit historique.
Ajoutant son quotidien d’aujourd’hui, ses réflexions ses doutes et ses angoisses comme des graines de fleurs. "J'ai cherché à savoir d'où me vient ce goût exagéré pour la botanique. Je crois que c'est pour l'espoir et la fertilité… Quels que soient les tragédies, les drames, les destructions humaines, les plantes finissent toujours par repousser. Elles reviennent, en rampant s ‘il le faut , et recouvrent les ruines de leur manteau végétal."
Des touches de tendresse, de peur mais aussi de bonheur, d'espoir avec une écriture dont la poésie fait mouche, Béatrice Fontanel nous offre une lecture qui prend aux tripes.
"J'écris comme je lave le sol, à grande eau. Alors ça met du temps à sécher. C'est mon destin d'essorer."
Les billets de Cathulu, Virginie
samedi 4 juin 2016
Marisha Pessl - La physique des catastrophes
Depuis le décès de sa mère alors qu’elle avait cinq ans, Bleue Van Meer sillonne les Etats-Unis en voiture avec son père selon les postes universitaires qu’il occupe. Mais son père a la bougeotte et ne reste jamais que quelques mois. Sur les routes, cet intellectuel professeur de sciences politiques hors normes inculque à Bleue une culture,extraordinaire. Il faut dire que Bleue est une enfant précoce et diablement intelligente. Entre eux deux, il y a une vraie relation fusionnelle et complice faite de joutes oratoires, de citations et d'échanges sur la littérature ou sur la physique quantique. Mais pour l’années des seize ans de Bleue, son père décide d’accepter un poste d’une année à Stockton en Caroline du Nord histoire que Bleue prépare bien son entrée à Harvard.
Inscrite au lycée St-Gallway, elle rencontre par hasard avant la rentrée des classes Hannah Schneider professeur de cinéma dans son école. Bleue a du mal à s’intégrer mais Hannah l’invite à venir chez elle avec d’autres élèves. Ce cercle réduit se retrouve tous les dimanches chez Hannah, c’est un rituel. Sauf qu’elle doit mentir à son père et que les autres membres du groupe la font sentir comme une étrangère.
Roman foisonnant de vraies ou de fausses références à presque chaque page, j’ai pris un grand plaisir tant la forme est originale et grâce à l’humour. Mais à la moitié du livre, j’ai fait une overdose des longueurs et des références. Et il faut attendre justement longtemps avant que le suicide d’Hannah (qui nous est annoncé dès le départ du livre) se produise. A partir de ce moment, le roman prend alors une autre tournure.
C’est vrai que ce livre joue sur les codes du roman d’apprentissage (n’oublions pas que Bleue est une adolescente) et du roman policier. C’est vrai aussi que l’écriture de Marisha Pessl est inventive, fraîche, originale et que les rebondissements sont nombreux mais que de longueurs inutiles ! Et c’est dommage parce que ce roman possède de vraies qualités car il nous surprend et il nous aimante ( et il le fallait car j'ai l'abandon facile).
Après voir lu lu Intérieur nuit de Marisha Pessl, de nombreuses personnes m’ont signalée ce livre qui a eu de nombreuses critiques élogieuses.
J'observais la pièce comme un vagabond qui précède le nez contre une vitre. Je me demandais pourquoi elle s'intéressait tant à ma vie, à mon bonheur, à ma coupe de cheveux ("Adorable", déclarait-elle. "On dirait une fille paumée est des années vingt", prétendait papas) ; pourquoi nous l'intéressions. Je m'interrogeais sur ses amis, sur la raison pour laquelle elle n'était pas mariée et n'avait aucune de ce que papa appelait "les conneries domestiques" ( un 4 X 4, des gosses), ce "scénario de sitcom auquel tout le monde s'accroche pour donner un sens à sa vie avec rires en boîte".
"Tu penses à quelque chose" observa-t-il finement. Ce type était Carl Jung, voire Freud, ma parole.
vendredi 3 juin 2016
Isabelle Lortholary - L’Année pensionnaire
Éditeur : Gallimard - Date de parution : Mais 2016 - 139 pages admirablement menées
Depuis ses sept ans, la narratrice passe son année scolaire dans un pensionnat appelé l’Institut non loin de l’Espagne" Nous venions de l'Europe entière, (…) l'Institut avait bonne réputation ainsi que l'air et l'eau des montagnes, propices à l'épanouissement des natures sensibles (c'est de cette manière que l’on qualifiait nos petites personnes, frappées d'une de ses maladies qui n'existent pas sinon dans l'idée que se font les parents et les éducateurs des jeunes filles « dans la norme » ; natures sensibles, l'expression servait à masquer nos difficultés d'adaptation au système scolaire et nos échecs dans les écoles publiques) ". Désormais âgée de quatorze ans, rompue au fonctionnement de l’institut et à ses règles, une nouvelle venue Attali l’intrigue. Mystérieuse, de deux ans son aînée, elle exerce sur la narratrice une fascination, un trouble. Fille unique de parents artistes très distants ( " Il est évident que je n’appartenais pas à une famille normale "), elle subit ces années "L'impression que je garde est celle d'une stagnation". Car c’est la femme quarante plus tard qui raconte. Les plus jeunes et les moins dégourdies endurent une méchanceté qui dérive vers une forme de cruauté de la part des plus grandes.
Le récit donne l’impression d’un établissement d‘une époque lointaine or nous sommes en 1973 quand les événements se produisent.
Récit impeccablement maîtrisé où Isabelle Lortholary nous décrit admirablement la solitude, l’amour à sens unique, les émois de ces jeunes filles. Pas d’eau de rose, mais une écriture qui restitue avec précision et densité les émotions les plus complexes et ce, sans œillères.
Un roman à l’atmosphère prenante devenu un livre hérisson !
La joie qu'on éprouve pour une douleur est pernicieuse, elle est empoisonnée comme une vengeance, elle n'est pas innocente, elle pervertit.
Le billet de Cathulu (merci!)
Depuis ses sept ans, la narratrice passe son année scolaire dans un pensionnat appelé l’Institut non loin de l’Espagne" Nous venions de l'Europe entière, (…) l'Institut avait bonne réputation ainsi que l'air et l'eau des montagnes, propices à l'épanouissement des natures sensibles (c'est de cette manière que l’on qualifiait nos petites personnes, frappées d'une de ses maladies qui n'existent pas sinon dans l'idée que se font les parents et les éducateurs des jeunes filles « dans la norme » ; natures sensibles, l'expression servait à masquer nos difficultés d'adaptation au système scolaire et nos échecs dans les écoles publiques) ". Désormais âgée de quatorze ans, rompue au fonctionnement de l’institut et à ses règles, une nouvelle venue Attali l’intrigue. Mystérieuse, de deux ans son aînée, elle exerce sur la narratrice une fascination, un trouble. Fille unique de parents artistes très distants ( " Il est évident que je n’appartenais pas à une famille normale "), elle subit ces années "L'impression que je garde est celle d'une stagnation". Car c’est la femme quarante plus tard qui raconte. Les plus jeunes et les moins dégourdies endurent une méchanceté qui dérive vers une forme de cruauté de la part des plus grandes.
Le récit donne l’impression d’un établissement d‘une époque lointaine or nous sommes en 1973 quand les événements se produisent.
Récit impeccablement maîtrisé où Isabelle Lortholary nous décrit admirablement la solitude, l’amour à sens unique, les émois de ces jeunes filles. Pas d’eau de rose, mais une écriture qui restitue avec précision et densité les émotions les plus complexes et ce, sans œillères.
Un roman à l’atmosphère prenante devenu un livre hérisson !
La joie qu'on éprouve pour une douleur est pernicieuse, elle est empoisonnée comme une vengeance, elle n'est pas innocente, elle pervertit.
Le billet de Cathulu (merci!)
mercredi 1 juin 2016
Edouard Launet - Sorbonne plage
Éditeur : Stock - Date de parution : Mai 2015 - 213 pages très intéressantes !
Au début du XXème siècle, de nombreux scientifiques venaient en vacances dans les Côtes d’Armor dans un lieu appelé L’Arcouest pas très loin de Paimpol. C’est le poète Anatole Le Braz qui sans le vouloir fit de cet endroit un lieu de villégiature pour ces scientifiques parisiens. Ils y achetèrent ou construisirent des maisons secondaires avec vue sur la baie de Paimpol. Ils faisaient du bateau, s’amusaient. Marie Curie et ses filles puis avec son gendre Frédéric Joliot-Curie (physicien et mari d'Hélène), Jean Perrin le physicien, Pierre Auger mais aussi des mathématiciens, des chimistes "Ce groupe de l'Arcouest, comme on le désigne communément, comptait aussi dans ses rangs estivaux des historiens, mathématiciens, artistes, hommes politiques. Ces personnes éminentes et leurs familles formaient en Bretagne une compagnie d'humanistes : tous se battaient pour la paix, la justice sociale, le progrès humain, la liberté."
Un phalanstère fermé idéaliste qui ne se mêle pas aux habitants et où il faut montrer patte blanche pour y entrer. Les enfants des uns se marient avec ceux des autres : une véritable tribu.
Le reste de l’année, ils sont à leurs travaux et sont politiquement de gauche.
Après les découvertes des époux Curie concernant l’uranium , nous en sommes sommes à la fission de l'atome.
Et certains s'en inquiètent comme le physicien hongro-américain Leo Szilard. Mais la bombe atomique voit le jour puis on assiste à Hiroshima et Nagasaki en 1945.
En France, l’opinion publique se félicite (le journal "Le Monde" parle "d’une révolution scientifique") mais des voix s'élèvent « Nous vous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie » écrit Albert Camus dans le quotidien "le Combat" le 8 aout 1945.
"En Bretagne, le phalanstère accueille la nouvelle dans un mélange de consternation et d’excitation". Car on est un peu jaloux que les Américains aient continué les recherches entreprises initiées en France.
D'ailleurs, Frédéric Joliot écrit : "S'il faut admirer l'effort gigantesque de recherche et de de fabrication réalisé par les Américains, il n'en reste pas moins vrai que les premiers principes de réalisation ont été trouvés en France. Il constitue un appoint de première importance à cette nouvelle conquête de l'homme sur la nature".
Est-ce que la culpabilité surgit chez ces humanistes? On en doute.
A partir de photos, de témoignages, de journaux, Edouard Launet nous raconte cette histoire humaine, scientifique, intellectuelle et politique. Il s’invite dans le récit, pose des questions. Il n’a pas peur d’utiliser l’ironie et quand il parle de travaux sur les atomes, le lecteur n’est jamais noyé ou perdu. Il n’oublie pas les décès des pêcheurs et sait nous rendre toute la beauté de ce lieu des côtes d'Armor et de ces étés insouciants.
Un essai très bien mené et très intéressant ( on apprend plein d'éléments dont certains font froid dans le dos) !
"En 1903, Pierre Curie en recevant à Stockholm le prix Nobel de physique avec sa femme avait ensuite évoqué, hommage de circonstance, les puissants explosifs inventés par Alfred Nobel qui avaient « permis aux hommes de faire des travaux admirables», tout en prenant se souligner une nouvelle fois qu‘une telle invention était aussi « un moyen terrible de destruction entre les mains des peuples vers la guerre ». La conclusion de Pierre Curie fit malgré tout d’un bel optimisme, parce que ce n'était pas le moment d'injurier l'Académie royale des sciences de Suède : « Je suis de ceux qui pensent, avec Nobel, que l'Humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles ».
Albert Camus dans le quotidien Le Combat :
Que, dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d'idéalisme impénitent, ne songerait à s'en étonner.
Merci à Delphine (Dialogues) de m'avoir parlée de ce livre.
Le billet de Miscellanées
Au début du XXème siècle, de nombreux scientifiques venaient en vacances dans les Côtes d’Armor dans un lieu appelé L’Arcouest pas très loin de Paimpol. C’est le poète Anatole Le Braz qui sans le vouloir fit de cet endroit un lieu de villégiature pour ces scientifiques parisiens. Ils y achetèrent ou construisirent des maisons secondaires avec vue sur la baie de Paimpol. Ils faisaient du bateau, s’amusaient. Marie Curie et ses filles puis avec son gendre Frédéric Joliot-Curie (physicien et mari d'Hélène), Jean Perrin le physicien, Pierre Auger mais aussi des mathématiciens, des chimistes "Ce groupe de l'Arcouest, comme on le désigne communément, comptait aussi dans ses rangs estivaux des historiens, mathématiciens, artistes, hommes politiques. Ces personnes éminentes et leurs familles formaient en Bretagne une compagnie d'humanistes : tous se battaient pour la paix, la justice sociale, le progrès humain, la liberté."
Un phalanstère fermé idéaliste qui ne se mêle pas aux habitants et où il faut montrer patte blanche pour y entrer. Les enfants des uns se marient avec ceux des autres : une véritable tribu.
Le reste de l’année, ils sont à leurs travaux et sont politiquement de gauche.
Après les découvertes des époux Curie concernant l’uranium , nous en sommes sommes à la fission de l'atome.
Et certains s'en inquiètent comme le physicien hongro-américain Leo Szilard. Mais la bombe atomique voit le jour puis on assiste à Hiroshima et Nagasaki en 1945.
En France, l’opinion publique se félicite (le journal "Le Monde" parle "d’une révolution scientifique") mais des voix s'élèvent « Nous vous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie » écrit Albert Camus dans le quotidien "le Combat" le 8 aout 1945.
"En Bretagne, le phalanstère accueille la nouvelle dans un mélange de consternation et d’excitation". Car on est un peu jaloux que les Américains aient continué les recherches entreprises initiées en France.
D'ailleurs, Frédéric Joliot écrit : "S'il faut admirer l'effort gigantesque de recherche et de de fabrication réalisé par les Américains, il n'en reste pas moins vrai que les premiers principes de réalisation ont été trouvés en France. Il constitue un appoint de première importance à cette nouvelle conquête de l'homme sur la nature".
Est-ce que la culpabilité surgit chez ces humanistes? On en doute.
A partir de photos, de témoignages, de journaux, Edouard Launet nous raconte cette histoire humaine, scientifique, intellectuelle et politique. Il s’invite dans le récit, pose des questions. Il n’a pas peur d’utiliser l’ironie et quand il parle de travaux sur les atomes, le lecteur n’est jamais noyé ou perdu. Il n’oublie pas les décès des pêcheurs et sait nous rendre toute la beauté de ce lieu des côtes d'Armor et de ces étés insouciants.
Un essai très bien mené et très intéressant ( on apprend plein d'éléments dont certains font froid dans le dos) !
"En 1903, Pierre Curie en recevant à Stockholm le prix Nobel de physique avec sa femme avait ensuite évoqué, hommage de circonstance, les puissants explosifs inventés par Alfred Nobel qui avaient « permis aux hommes de faire des travaux admirables», tout en prenant se souligner une nouvelle fois qu‘une telle invention était aussi « un moyen terrible de destruction entre les mains des peuples vers la guerre ». La conclusion de Pierre Curie fit malgré tout d’un bel optimisme, parce que ce n'était pas le moment d'injurier l'Académie royale des sciences de Suède : « Je suis de ceux qui pensent, avec Nobel, que l'Humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles ».
Albert Camus dans le quotidien Le Combat :
Que, dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d'idéalisme impénitent, ne songerait à s'en étonner.
Merci à Delphine (Dialogues) de m'avoir parlée de ce livre.
Le billet de Miscellanées
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