Éditeur : Libretto - Traduit de l'anglais par R.Santley et revu par Anna Noël - Date de parution : 1998 (date de première parution en France : 1931) - 466 pages magistrales
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Herbert, sur le chemin du retour, le savoura, sans vouloir en rien laisser perdre. Il avait vingt-deux ans. Il se vit pareil à quelques aimable héros des romans de Bourget. C'était délicieux."
Et voilà comment Herbert Crump venu à New-York pour exercer sa passion et son art de la musique tombe par esprit romantique sous le charme d'Anne Vilas. Mariée, mère de trois enfants, plus âgée que lui (mais en ayant déjà menti sur son âge car plus de vingt ans les séparent et non huit : ce n'est qu'un mensonge parmi un torrent). Elle se décrit toujours comme une pauvre victime (son mari dilapide l'argent aux jeux), une femme dévouée à ses enfants (des êtres parfaits selon elle) et se préoccupant de sa mère âgée. Et la pauvre Anne s'évertue contre vents et marées ne pensant qu'au bonheur des autres.
Herbert fils unique d'un couple d'immigrés allemands né en Amérique a reçu une bonne éducation où l’honnêteté, le respect, la culture des valeurs prévalent bien qu’issu d’une famille de condition modeste. Compositeur talentueux, il décide de tenter sa chance à New-York en ce début du XXème siècle.
Naïf, il tombe dans le piège d'Anne ( tel le preux chevalier défendant les nobles causes) et se retrouve marié à cette harpie. Conscient de son erreur, il lui incombe d’assumer sa responsabilité d’avoir contribué à l’échec d’un mariage(plus que bancal). Très vite, il s'aperçoit que le tableau peint par Anne est inexact et celle-ci commence à montrer sa véritable nature. Manipulatrice, mensongère, paresseuse, jalouse, inculte, odieuse, experte en chantages affectifs et j’en passe, la vie d'Herbert est un enfer : "
c'est une caricature obscène de la vie de famille". Il travaille pendant qu'Anne accumule les dettes et doit entretenir les enfants.
Humilié sous son propre toit où il se sent comme un étranger, étranglé par la honte et le dégoût, il est prisonnier de ce mariage. Son énergie se disperse à supporter sa femme, les querelles incessantes qu’elle provoque pour n’importe quelle raison. Anne se montre plus tranquille dès qu’elle obtient ce qu’elle à la manière une enfant.
Au fil des années, Herbert voit défiler sous ses yeux sa jeunesse et rêve d’une autre vie.
Ce livre est magistral et grandiose ! Ludwig Lewisohn peint avec réalisme la vie d’Herbert et le comportement de son épouse. Et tout le talent de l’auteur est de nous plonger littéralement dans ce mariage et de nous ferrer comme dans un polar. Car la psychologie, l’étude d’Anne et d’Herbert est grandiose et d’une justesse époustouflante. Si on ne peut pas s’empêcher de plaindre Herbert en ayant envie de le lui faire ouvrir les yeux tant qu’il est encore temps, on assiste à un changement tout en subtilité dans son caractère. L’homme si faible qu’il était s’endurcit peu à peu, la sensation de malaise est présente et va en crescendo car le comportement d’Anne devient de pire en pire.
Ce roman est complètement hypnotique et cerise sur le gâteau, l’écriture et l’excellente traduction sont un pur bonheur !
Ecrit en 1926, ce roman a été interdit de parution aux Etats-Unis jusqu’en 1947.
Radioscopie sur l’inferno d’un mariage, d’une société qui confère à l'épouse des avantages en cas de divorce, ce roman n’a pas pris une ride !
Un immense merci à Julia Kerninon et à Caroline de Dialogues pour m'avoir conseillée cette lecture !
Elle entourait encore une fois la tête d'Herbert de ses bras nus. Il semblait y avoir dans sa voix une réelle tendresse. C'est cette tendresse, dont l'impression persista en lui, qui l'empêcha de voir les mâchoires du piège où il était pris. Celui-ci avait-il été tendu de propos délibéré ? Avait-on fait jouer intentionnellement le ressort pour refermer les mâchoires ? Sur ce point, Herbert réserva toujours son jugement. Peut-être était-ce une vanité essentielle, au fin fond de lui-meme, qui le faisait penser ainsi, une répugnance à croire que dans sa vingt-quatrième année il n'était qu'un sot fieffé. Puis ce fut comme si un serpent lentement, peu à peu, l'eût étreint de ses replis et lui eût comprimé la poitrine. Il fut certain de la duplicité instinctive d'Anne, de sa perfidie sans borne. Il continuait à vouloir croire, à se forcer à croire, que durant ces premiers jours fatals, elle avait été poussée par une passion sincère, et avait été la victime et non la maîtresse des événements.
Il se mit au lit assez tôt, perdu dans ses pensées : elle portait sur les complications inextricables qui surgissent entre deux êtres que la vie - aussi accidentellement et anormalement que ce fût - à réunis.
Les Volas ne pouvaient pas concevoir qu'il y eût un rapport entre le mérite et sa récompense, entre la valeur et le résultat.
Comme Herbert arriva à bien les saisir tous ! Il avait assez de matériaux pour écrire, s'il avait eu cette vocation, un traité sur le développement de l'expérience morale. Il n'en fit rien, mais composa, lors de ces rares heures de liberté d'esprit, sa deuxième symphonie, celle parmi les œuvres de cette période où transparaît la beauté la plus pure, l'essence musicale le plus concentrée.