samedi 30 avril 2016

Que de rencontres en avril !

Avril fut riche en rencontres !
Eric Fottorino habitué de Dialogues est venu parler de Trois jours avec Norman Jail, toujours aussi intéressant dans ses propos et il m’a impressionnée par sa mémoire ( car il se souvenait de moi).
Puis, j’ai rencontré l’autrice (*) Camille Laurens invitée pour son roman Celle que vous croyez. Deux écrivains  passionnants !

Dame Philisine (des Hauts de France), Gwénaelle et Fransoaz sont venues me voir à Brest : papotages, gourmandises et rires au programme !

Mai s'annonce joliment avec Maylis de Kerangal ( l’écouter est toujours un plaisir) et Sorj Chalandon que j’ai été raté à deux reprises.
Et sans oublier les 40 ans de Dialogues le 23 mai ! Au programme, un débat animé par Hervé Hamon sur « Qu’est-ce qu’une librairie ? Qu’en attend-on aujourd’hui ?" suivi d'un cocktail dînatoire offert par Dialogues à ses clients lecteurs avec la présence de très nombreux auteurs.

En juin, ça va être plus que génial et grandiose ( je vous en parlerai plus tard mais sachez qu’il y a du Miossec sur scène à Brest et la venue d'une très, très grande autrice).

Quand je vous dis que la vie est belle à Brest, vous me croyez ?

 (*) : merci  Cuné, ci-joint l'article


Bibi de dos à discuter avec Camille Laurens

Eric Fottorino toujours souriant !

vendredi 29 avril 2016

David Foenkinos - Le mystère Henri Pick

Éditeur : Gallimard - Date de parution : Avril 2016 - 286 pages plaisantes et agréables.

A Crozon (pointe du Finistère), Jean-Pierre Gourvec, bibliothécaire, décide de créer une bibliothèque des manuscrits refusés par les maisons d’édition. Seule obligation : les écrivains devront venir à Crozon déposer leur écrit en mains propres. Avant sa mort, il fait promettre à Magali son assistante de poursuivre son œuvre. Delphine Despero jeune éditrice chez Grasset à l’avenir prometteur se rend en vacances chez ses parents comme tous ans à Morgat (commune avoisinante de Crozon) accompagnée de son fiancé dont le premier livre publié vient d’être un échec cuisant. Quand elle entend parler de cette bibliothèque, sa curiosité la pousse à s‘y rendre. Et elle découvre un bijou signé par un certain Henri Pick.

Qui est ce Henri Pick ? Il ne faut pas chercher très loin, il s’agit de l’ancien patron d’une pizzéria (depuis convertie en crêperie) à Crozon mais qui est décédé. Sa veuve Madeleine a du mal à croire que son mari qui n’aimait pas lire (même le journal local) ait pu écrire un roman. Mais comme lui suggèrent Delphine et son compagnon chacun a des secrets. Le monde de l’édition s’agite, chez Grasset on se félicite par avance et bien entendu les journalistes ne sont pas en reste. Chacun veut en savoir plus sur Henri Pick. Le succès est phénoménal et les ventes explosent. Madeleine n’accorde qu’une seule interview et François Busnel de La Grande Librairie se déplace à Crozon. Mais seul Jean-Michel Rouche critique littéraire sur le déclin s’obstine à croire que Pick ne soit pas l’auteur. Et il mène l’enquête.

A la manière des jeux de dominos, le livre d’Henri Pick va interférer dans la vie de plusieurs personnes. A Crozon,  les touristes affluent et la bibliothèque ne désemplit pas car chacun (ou presque) possède un manuscrit au fond d’un tiroir. De sa fille Joséphine dépressive depuis que son mari  l’a quittée il y a des années à Magali la bibliothécaire, tous seront impactés par ce livre.

Je me suis laissée embarquer dans ce roman rondement mené avec le sourire aux lèvres. Avec  un petit côté malicieux agréable, David Foenkinos inclue des personnages contemporains (on retrouve donc des auteurs et des journalistes connus) et nous offre des  réflexion souvent saupoudrées d'humour sur l'écriture, le roman  et le monde de l'édition.
Une histoire plaisante et sympathique mais qui ne me laissera pas un souvenir impérissable.

Les billets de Cuné, l'IrrégulièreLeiloona, Stéphie

Lu de cet auteur : La délicatesse ( mais pas de billet)

Une chose est certaine :  l'enthousiasme et la passion de Gourvec pour sa bibliothèque n'ont jamais faibli. Il recevait avec une attention particulière chaque lecteur, s'efforçant  d'être à l'écoute pour créer un chemin personnel à travers les livres proposés. Selon lui, la question n'était pas d'aimer ou de ne pas aimer lire, mais plutôt de savoir comment trouver le livre qui vous correspond. Chacun peut adorer la lecture, à condition d'avoir en main le bon roman, celui qui vous plaira, qui vous parlera, et dont on ne pourra pas se défaire. 

Les lecteurs se retrouvent toujours d'une manière ou d'une autre dans un livre. 
Lire est une excitation totale égotique. On cherche inconsciemment ce qui nous parle. Les auteurs peuvent écrire les histoires les plus farfelues ou les plus improbables, il se trouvera toujours des lecteurs pour leur dire : "C'est incroyable, vous avez écrit ma vie !"

jeudi 28 avril 2016

Chahdortt Djavann - Les putes voilées n'iront jamais au Paradis !

Editeur : Grasset- Date de parution : Abril 2016 - 205 pages uppercut !

Dans plusieurs  villes d’Iran, des  femmes ont été retrouvées étranglées avec leur tchador. Toutes ces femmes avaient en commun de se prostituer. Car oui, dans ce pays ultra-religieux où « les femmes sont les biens des hommes de leur famille et elles restent jusqu'à leur mort sous tutelle masculine », la prostitution existe  et est  une économie parallèle. Les risques vont jusqu'à la mort car « En Iran, homosexuels et prostituées sont condamnés à la peine de mort ». Les mollahs fixent les lois « qui écrasent les femmes, leurs dérobent leurs droits les plus élémentaires et les définissent comme des sous-hommes » et savent en tirer parti. Ainsi, les journaux mentionneront des femmes éliminées : « le mot "éliminées" évitait soigneusement le terme "assassinées" , qui pouvait heurter les plus farouches des fanatiques. L'assassinat est condamnable selon la charia, tandis que l'élimination de fessad* est le devoir de chaque musulman." (*: le fessad : mot persan d'origine arabe, signifie la corruption, la perversion, la débauche, ici la prostitution.)

Si Chahdortt Djavann donne la parole à ces femmes privées de mots et assassinées parce qu’elles se prostituaient ( (un fait qui s'est réellement produit), avec Zhara et Soudabeb, elle nous raconte la vie future de ces fillettes. Des enfants avec des rêves mais qui  trop tôt les verront anéantis parce qu’elles sont des filles et parce qu’elles sont belles.
Sans utiliser la langue de bois, avec un ton direct et parfois très cru, l’auteur dénonce l’hypocrisie, le sort réservé aux femmes et en particulier à celles qui se prostituent. Mais elle parle également à travers elles du désir, de l’envie et de la jouissance physique. Et ce avec beaucoup de sensualité comme un joli pied de nez aux mollahs.

Durant cette lecture, j’ai été écoeurée et scandalisée. Comment ne pas l’être ?
Un livre uppercut qui fait mal mais soulève un des pans du tchador en Iran.

Le billet de Joëlle
Sur ce blog également : Je viens d'ailleurs

La vie humaine est tarifée par les mollahs. Prix fixe. Non négociable. Celle d'une bonne musulmane vaut la moitié de celle d'un bon musulman. Ne cherchez pas comprendre, c'est comme ça. Une vie d'homme a deux fois plus de valeur que celle d'une femme, de même que son témoignage équivaut aux témoignages de deux femmes… 

Le tchador s'entrouve à nouveau, le temps d'un clin d'œil. La Peugeot freine et s'arrête à sa hauteur. Le tchador s'empresse et monte à l'arrière. Voilà à quoi peut ressembler la prostitution dans une des villes les plus religieuse et traditionnelles d'Iran. Ces femmes en tchador doivent être totalement invisibles – comme il se doit – et provocantes : ne pas se faire remarquer par les agents de la morale islamique et attirer les éventuels client. Tâche ardue et contradictoire. Elle porte le hijab le plus sévère et parviennent à se prostituer sans montrer la plus infime parcelle de leur corps. Du grand art !

mardi 26 avril 2016

Karen Joy Fowler - Nos années sauvages

Editeur : Presse de la Cité - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Karine Lalechère - Date de parution : Avril 2016 - 364 pages dévorées ! 

Lorsque ce livre que est paru en VO pour liseuse, Cathulu et Cuné m’ont harcelée envoyée de nombreux  mails pour que je lise avec un argument imparable : la liseuse comporte un dictionnaire. Mais vu mon niveau d’anglais, dictionnaire ou pas, j’ai résisté (ça m’arrive de temps en temps). Et là ce roman vient de paraître en français donc je n’avais plus aucune excuse. Pour reprendre la quatrième de couverture, "Il était une fois deux soeurs , un frère et leurs parents qui vivaient heureux tous ensemble". Tableau idyllique, n’est-ce pas ?

Alors que Rosemary était âgée de cinq ans, sa soeur Fern a disparu puis son frère est parti quand elle avait onze ans. Et depuis, la petite fille bavarde à un point inimaginable est devenue silencieuse. L’histoire commence quand Rosemary est étudiante et âgée de vingt-deux. Et comme elle a gardé l’habitude de débuter par le milieu pour raconter, tout le roman se déroule en permanence avec des allers-retours sur différentes périodes. Et évidemment on veut savoir ce qui s’est passé concernant Fern, pourquoi et comment elle a disparu, pourquoi il a y un avant et un après Fern ? Pourquoi Rosemary ne la voit pas alors qu’elle est toujours vivante ? Et puis arrive la page 99 et sa grande révélation. A partir de là, impossible d’en dire plus sinon il n’y a aucun utilité à lire ce roman.

Sans être un coup de cœur notamment à cause de certains personnages qui donnent l’impression d’être là pour combler un peu, il n’empêche que j’ai dévoré ce livre. Car Rosemary a bien entendu des souvenirs mais certains sont erronés et d’autres vérités vont se greffer. Bien plus d’une fois, j’ai eu la gorge serrée et des poissons d’eau dans les yeux car le sujet (sur lequel je ne peux absolument rien dire) nous concerne tous. Avec des touches d'humour (et il en faut), Karen Joy Fowler nous parle également des souffrances ( en lisant ce livre, vous comprendrez le pourquoi du pluriel), de la mémoire, de la perte, de la culpabilité, de la différence et de la famille.
Vous êtes prévenus, même les coeurs de granit seront émus.

Le billet de Keisha

Ces semaines passées chez mes grands-parents à Indianapolis sont la ligne de démarcation la plus extrême dans ma vie, mon Rubicon personnel. Avant, j’avais une sœur. Après, non. 
Avant, plus je parlais, plus mes parents semblaient heureux. Après, ils se joignirent au reste du monde pour me demander de me taire. Je finis par le faire. (Mais pas avant un certain temps et parce qu’on me le demandait). 
Avant, mon frère faisait partie de la famille. Après, il se contentait de tuer le temps en attendant de pouvoir tirer un trait sur nous.

J'ai l'impression que chaque fois que nous, humains, pensons avoir trouvé ce qui nous rendait uniques - qu'il s'agisse de de notre bipédie sans plumes- surgit une découverte qui remet tout en question. Si la modestie était un trait humain, nous aurions appris depuis longtemps à nous montrer plus prudents.

lundi 25 avril 2016

Ludwig Lewisohn - Le Destin de Mr Crump

Éditeur : Libretto - Traduit de l'anglais par R.Santley et revu par Anna Noël - Date de parution : 1998 (date de première parution en France : 1931) - 466 pages magistrales 

 "Herbert, sur le chemin du retour, le savoura, sans vouloir en rien laisser perdre. Il avait vingt-deux ans. Il se vit pareil à quelques aimable héros des romans de Bourget. C'était délicieux."
Et voilà comment Herbert Crump venu à New-York pour exercer sa passion et son art de la musique tombe par esprit romantique sous le charme d'Anne Vilas. Mariée, mère de trois enfants, plus âgée que lui (mais en ayant déjà menti sur son âge car plus de vingt ans les séparent et non huit :  ce n'est qu'un mensonge parmi un torrent). Elle se décrit toujours comme une pauvre victime (son mari dilapide l'argent aux jeux), une femme dévouée à ses enfants (des êtres parfaits selon elle) et se préoccupant de sa mère âgée. Et la pauvre Anne s'évertue contre vents et marées ne pensant qu'au bonheur des autres. Herbert fils unique d'un couple d'immigrés allemands né en Amérique a reçu une bonne éducation où l’honnêteté, le respect, la culture des valeurs prévalent bien qu’issu d’une famille de condition modeste. Compositeur talentueux, il décide de tenter sa chance à New-York en ce début du XXème siècle.
Naïf, il tombe dans le piège d'Anne ( tel le preux chevalier défendant les nobles causes) et se retrouve marié à cette harpie. Conscient de son erreur, il lui incombe d’assumer sa responsabilité d’avoir contribué à l’échec d’un mariage(plus que bancal). Très vite, il s'aperçoit que le tableau peint par Anne est inexact et celle-ci commence à montrer sa véritable nature. Manipulatrice, mensongère, paresseuse, jalouse, inculte, odieuse, experte en chantages affectifs et j’en passe, la vie d'Herbert est un enfer : "c'est une caricature obscène de la vie de famille". Il travaille pendant qu'Anne accumule les dettes et  doit entretenir les enfants.
Humilié sous son propre toit où il se sent comme un étranger, étranglé par la honte et le dégoût, il est prisonnier de ce mariage. Son énergie se disperse à supporter sa femme, les querelles incessantes qu’elle provoque pour n’importe quelle raison. Anne se montre plus tranquille dès qu’elle obtient ce qu’elle à la manière une enfant.
Au fil des années, Herbert voit défiler sous ses yeux sa jeunesse et rêve d’une autre vie.

Ce livre est magistral et grandiose ! Ludwig Lewisohn peint avec réalisme la vie d’Herbert et le comportement de son épouse. Et tout le talent de l’auteur est de nous plonger littéralement dans ce mariage et de nous ferrer comme dans un polar. Car la psychologie, l’étude d’Anne et d’Herbert est grandiose et d’une justesse époustouflante. Si on ne peut pas s’empêcher de plaindre Herbert en ayant envie de le lui faire ouvrir les yeux tant qu’il est encore temps, on assiste à un changement tout en subtilité dans son caractère. L’homme si faible qu’il était s’endurcit peu à peu, la sensation de malaise est présente et va en crescendo car le comportement d’Anne devient de pire en pire.

Ce roman est complètement hypnotique et cerise sur le gâteau, l’écriture et l’excellente traduction sont un pur bonheur ! Ecrit en 1926, ce roman a été interdit de parution aux Etats-Unis jusqu’en 1947.
Radioscopie sur l’inferno d’un mariage, d’une société qui confère à l'épouse des avantages en cas de divorce, ce roman n’a pas pris une ride !

Un immense merci à  Julia Kerninon et à Caroline de Dialogues pour m'avoir conseillée cette  lecture !

Elle entourait encore une fois la tête d'Herbert de ses bras nus. Il semblait y avoir dans sa voix une réelle tendresse. C'est cette tendresse, dont l'impression persista en lui, qui l'empêcha de voir les mâchoires du piège où il était pris. Celui-ci avait-il été tendu de propos délibéré ? Avait-on fait jouer intentionnellement le ressort pour refermer les mâchoires ? Sur ce point, Herbert réserva toujours son jugement. Peut-être était-ce une vanité essentielle, au fin fond de lui-meme, qui le faisait penser ainsi, une répugnance à croire que dans sa vingt-quatrième année il n'était qu'un sot fieffé. Puis ce fut comme si un serpent lentement, peu à peu, l'eût étreint de ses replis et lui eût comprimé la poitrine. Il fut certain de la duplicité instinctive d'Anne, de sa perfidie sans borne. Il continuait à vouloir croire, à se forcer à croire, que durant ces premiers jours fatals, elle avait été poussée par une passion sincère, et avait été la victime et non la maîtresse des événements. 

Il se mit au lit assez tôt, perdu dans ses pensées : elle portait sur les complications inextricables qui surgissent entre deux êtres que la vie - aussi accidentellement et anormalement que ce fût - à réunis.

Les Volas ne pouvaient pas concevoir qu'il y eût un rapport entre le mérite et sa récompense, entre la valeur et le résultat. 

Comme Herbert arriva à bien les saisir tous ! Il avait assez de matériaux pour écrire, s'il avait eu cette vocation, un traité sur le développement de l'expérience morale. Il n'en fit rien, mais composa, lors de ces rares heures de liberté d'esprit, sa deuxième symphonie, celle parmi les œuvres de cette période où transparaît la beauté la plus pure, l'essence musicale le plus concentrée.

vendredi 22 avril 2016

Gwénaëlle Aubry - Lazare mon amour

Éditeur : L'Iconoclaste - Date de parution : Janvier 2016 - 76 pages d'une beauté  aérienne 

Car je crois que Plath a été, dans les deux sens du terme, une survivante : pas seulement une qui est revenue d’entre les morts (lady Lazare) mais aussi une qui a vécu à l’excès. "
De la poétesse Sylvia Plath, je ne connaissais que les grandes lignes de sa vie comme sa mort voulue à l’âge de trente ans en 1963. Avec cet essai, Gwénaëlle Aubry non seulement nous permet d’en apprendre plus sur cet auteur mais également sur sa vie, sur son rapport à l’écriture et sa production littéraire.

D’emblée, on ressent combien Gwénaëlle Aubry a été touchée par Sylvia Plath, par la femme dans son rôle d’épouse, de mère, de fille. Toutes ces facettes ont influencé la poétesse pour qui «l’écriture est l’unique salut». Ce texte n’est pas une simple biographie, Gwénaëlle Aubry intercale des extraits des écrits (poèmes, journaux intimes, lettres) de Sylvia Plath, décrit des photos et les situent dans le vie de cette dernière. De sa première tentative de suicide à son mariage avec Ted Hughes, de la solitude à l‘amour qu’elle portait à ses enfants, des succès littéraires de son époux pendant qu’elle essuyait des refus ( « Mais elle offre à Ted l’argent qu’elle gagne, le temps qu’elle perd »), de l'infidélité de son mari à son envie de réussir à concilier son rôle de mère et d’auteur reconnu, la vie de Sylvia Plath est décrite avec un prisme de sensibilité sans égal même pour parler des nombreuses douleurs.  Sans être dupe, Sylvia Plath a écrit : « Je suis horrifiée de rejoindre l’expression du rêve américain dans mon désir d’avoir une maison et des enfants » et de prendre en modèle sa mère « et derrière lui en renfort, toute la cohorte-des-mères-épouses exemplaires, des douces-amères résignées". Dans ces années corsetées pour les femmes,  il fallait du courage et Sylvia Plath en avait.

L’inscrire dans notre époque « après tout, Sylvia Plath est notre contemporaine » et de chercher en elle « le point d’ajustement de l’écriture à la vie. Je ne veux pas la lire à travers sa mort (et donc pas non plus à travers le récit de sa vie). Je cherche à comprendre ce que, par l’écriture, elle a sauvé de la vie et ce qui, de l’écriture, l’a sauvée elle aussi» et à travers elle de retourner le miroir et nous le tendre : « c’est ce qui, de l‘écriture, peut perdre autant que sauver, peut perdre après avoir sauvé. Car écrire, si l’on en fait des livres, ce n’est pas se délivrer : c’est se livrer, pieds et poings liés."

Cet essai m’a donnée le sentiment d'avoir côtoyée Sylvia Plath. Et vous l’aurez compris, les émotions sont palpables.
Gwénaëlle Aubry signe ici un texte fort, d’une beauté aérienne et un très bel hommage à Sylvia Plath. Car il faut admirer et respecter quelqu’un pour en parler ainsi avec son cœur. Comme pour ne pas juger et retransmettre ses émotions avec pudeur et simplicité.

Lu de Gwénaëlle Aubry : Partages

mercredi 20 avril 2016

Xavier de Moulins- Charles Draper

Éditeur: JC Lattès - Date de parution : Février 2016 - 230 pages et une fin en forme de double uppercut !

Mai 2015. Agée de huit ans, Fleur  réclame  sa mère au petit-déjeuner à son père Charles Draper. « Maman se repose, reprend-il doucement. Elle est encore très fatiguée. Avec cette chaleur, elle n'a pas fermé l'œil de la nuit ». Une réponse qui n’a rien d’étonnant mais en la conduisant à l’école, sa cadette lui demande « Papa ? Pourquoi il y a du sang derrière ton oreille? ». Puis l’auteur nous ramène quelques mois plutôt en septembre 2014.

Bien que son entreprise de déménagement soit située à Paris, Charles Draper a accepté que toute la famille s’installe à la campagne pour faire plaisir à son épouse Mathilde. Il ne rentre que le week-end, profite peu de ses deux filles. En somme, il accumule les sacrifices mais le bonheur de sa femme n’a pas de prix. Sauf que Mathilde a changé. Elle se montre distante, moins réjouie quand il rentre pour le week-end. Alors forcément, il se questionne. Mathilde aurait-elle un amant ou alors est-ce lui qui a changé? C’est vrai, il a pris un peu de poids. Et pour reconquérir sa femme, il se lance dans un régime drastique, fait du sport tous les jours et aide même ses employés lors des déménagements. Bref, il ne ménage pas sa peine. Sauf que Charles tombe dans les excès (il prend des pilules illégales censées augmenter la masse musculaire) et dans la jalousie maladive. Pour lui, le fleuriste Clément veuf depuis quelques mois est l’amant de sa femme ou à moins que ça ne soit son professeur de théâtre. Et pourquoi d’ailleurs Mathilde s’investit-elle autant dans ces répétitions ?
Sa jalousie tourne à la paranoïa et on assiste à tous ces changements dans son comportement. Et la tension monte en crescendo et on pressent forcément  que quelque chose va se produire ( on n’est pas dupe).  Et en effet mais pas ce à quoi on s’attend. Et Xavier de Moulins signe une fin plus que renversante. Je me suis retrouvée bouche bée avec cette sensation d’avoir reçu un double uppercut.

Un roman sur la jalousie, sur le culte des apparences mais au masculin, sur le mensonges et les faux- semblants très bien construit car au départ  l’auteur nous peint le portrait d’un homme pour lequel on de la sympathie. Et nos ressentis vont fluctuer car Xavier de Moulins nous plonge dans le doute tout au long de ce livre. Cependant, j’ai un bémol concernant la trame. Une ficelle m’est apparue un peu grosse dans l’histoire (l’auteur appuie de trop sur un événement et ce qui en découle se devine très et trop facilement).
Servi par une écriture concise et incisive, ce roman a plus d’un atout ! Et attention à la fin qui secoue (vous êtes prévenus). 

Charles Draper en est persuadé, la portable est une arme vicieuse. Il multiplie les interrogations, entraîne la suspicion, favoris les zones d'ombre. Sa promesse d'autonomie est un esclavage, celui de l'individu en permanence relié à son ego, sa peur de manquer. Le téléphone et la tranquillité de ceux qui attendent tout de rien, le territoire de tous les possibles, un terrain miné propice à tous les scénarios, jusqu'au cancer des suppositions les plus noires. 

Pourquoi s'épuiser indéfiniment à se rendre meilleur ? À trop s'y chercher, on meurt d'épuisement dans le regard des autres. La cataracte du cœur ne s'opère pas. Le fruit d'un amour fou est un signe avant-coureur, un mauvais présage.

Lu de cet auteur : Ce parfait ciel bleu - Que ton règne vienne

lundi 18 avril 2016

Francesca Melandri - Eva dort

Éditeur : Folio - Traduit de l'italien par Danièle Valin - Date de parution : 2013 - 464 belles pages et un premier roman très réussi!

De sa région natale le Tyrol du Sud située au nord de l’Italie, Eva se rend précipitamment en train jusqu’en Calabre. Vito qui l’a élevée comme sa fille se meurt et veut la voir. Pourtant, il a brisé le cœur de la mère d’Eva, Gerda, et celui de l’adolescente qu’était Eva à l’époque. Un trajet de presque 1400 kms durant lesquels les paysages défilent et permettent à la jeune femme de penser à son histoire familiale.

Sur trois générations, l’auteur nous raconte non seulement l’histoire de la famille d’Eva mais également celle de la région frontalière et germanophobe du Haut-Adige appelée également Trentin.   Issue d’une famille très modeste, la belle Gerda Huber dès l’adolescence travaille d’arrache-pied dans les cuisines d'un restaurant et ne rentre chez ses parents que rarement. Eva est le fruit d’un amour impossible et la famille de Gerda l’a reniée. Mais Gerda  est courageuse, elle ne se laisse pas abattre et continue de travailler la tête haute. Eva est confiée à des cousins et ne voit sa mère que deux mois par an.

Avec Eva et Gerda, l’auteur nous offre deux beaux portraits féminins dont certaines décisions sont liées à leur région. Il faut dire que Francesca Melandri met à jour les chocs, les changements qui ont marqué le Haut-Adige depuis le début du XXe siècle : l'identité culturelle, la langue, le fait de se sentir comme une personne non désirée dans sa région.
Eva dort est le premier roman de Francesca Melandri. Cette fresque familiale liée à l’histoire s’attache aux personnages féminins et de nombreux thèmes sont abordés : les mères célibataires, l’homosexualité, les relations mère-fille, la diversité des régions de l’Italie, l’identité.

Un premier roman fort bien réussi , sans temps mort, difficile à lâcher avec des personnages creusés. Avec l'histoire du Haut-Adige (que j'ignorais), ce livre est très attachant, riche et parfaitement équilibré. A mentionner la très bonne traduction !

- Mais à toi du moins, lui dis-je, ceux qui habitent au sud de la Vérone ne te posent pas la fameuse question, comme à moi. 
- Laisse-moi deviner laquelle : "Je peux t'inviter à dîner"? 
- Non. "Tu te sens plus italienne ou plus allemande?". 
- Sincèrement, on te demande ça? 
- Sans arrêt. Tout le monde.

Lu de cet auteur : Plus Haut que la mer (encore meilleur)

mercredi 13 avril 2016

Michel Quint - Apaise le temps

Éditeur : Phébus - Date de parution : Avril 2016 - 114 pages généreuses !

A Roubaix, Yvonne Lepage propriétaire d’une librairie  indépendante (qu'elle avait repris après la mort de ses parents) décède. Contrairement à d'autres libraires, Yvonne au caractère bien trempé refusait de vendre des nouveautés et les comptes étaient dans le rouge depuis longtemps. Abdel Duponchelle client fidèle depuis l’enfance hérite de tout : la librairie, les vieux livres et les dettes colossales. Et il accepte même s’il n’y connaît rien. Mais il peut compter sur Saïd, Zita et Rosa. Saïd l'Algérien de souche qui a appris à lire grâce au père d’Yvonne, Zita ancienne employée de la librairie qui désormais travaille dans un entrepôt  pour un site de vente de livres en ligne et  Rosa assistante scolaire du collège où Abdel est professeur. Abdel relève ses manches car la librairie est un lieu de mémoire et Yvonne a gardé des cartons de photos depuis les années 60.

Michel Quint nous immerge dans  Roubaix. Une ville et  une région où l’emploi se fait rare depuis la disparition des usines du textile mais où l’entraide existe entre les habitants. Et il dépeint à merveille aussi bien le contexte social que les rues, les quartiers. En ouvrant les cartons, Abdel ne pensait pas trouver des photos liées à l’Histoire. L’arrivée des harkis dans la région, la guerre d’Algérie suivie de son indépendance, les immigrés mal vus par certains. Et aussi  des actions menées par les différents partis pour ou contre l’indépendance de l’Algérie (sans oublier l’OAS) ainsi que  des actes terroristes commis à Roubaix. Et leurs morts comme le père d’Yvonne.

Avec une écriture unique, savoureuse (un mélange de poésie et de langage plus direct), Michel Quint dans ce court roman nous offre plusieurs histoires liées. Celle d’une librairie, de l’amour de la littérature et de plusieurs très belles solidarités qui m’ont vrillée le cœur !
Et si j’ai été quelquefois un peu perdue dans les passages concernant la guerre d’Algérie, ça n’enlève rien à ce livre d’une générosité incroyable ! 


Donc non, Yvonne n' a pas été veuve avant l'heure, elle avait plutôt espéré un galant, un de ses collègues journalistes, s'était offert la lingerie de gala en prévision, et survient la tragédie de l'attentat, sa mère qui décroche, rideau sur les rêves, elle s'est cloîtrée, consacrée à la librairie, a continué la mission sociale de son père, alphabétisation, insertion, intégration et tout ce qui tente d'empêcher les préjugés du racisme entre copains de boulot, voisins, et le rejet gratuit. 

Aujourd'hui, un bon écrivain doit être beau. Evidemment, Yvonne et la bagatelle, ça faisait deux ! 


Merci à Babelio et à l'éditeur pour ce livre.

Lu de cet auteur : Close-Up

mardi 12 avril 2016

Lydia Flem - Je me souviens de l'imperméable rouge que je portais l'été de mes vingt ans

Éditeur : Seuil - Date de parution : Mars 2016 - 233 pages à lire !  

Dans ce livre inclassable car ce n’est pas d’un recueil de nouvelles ni un roman, Lydia Flem nous raconte et surtout se raconte depuis son enfance.
En se souvenant d’un événement familial ou historique, d’un vêtement, d’une personne, d’une expression, chacun des 476 petits paragraphes commence par « je me souviens » .

Je me souviens que la minijupe est apparue en même temps que la pilule et que les femmes croyaient à la révolution sexuelle. 

Je me souviens de la publicité : « Demain, j'enlève le haut. » 

Je me souviens de l'injonction « Sois belle et toi. » 

Je me souviens d'avoir lu qu'en 1931 le maire de Paris ordonna à Marlène Dietrich de quitter la ville sur-le-champ parce qu'elle s'était montrée, dans la rue, en pantalon. 

Je me souviens de Simone Veil, en chignon et tailleur Chanel, défendant à l'Assemblée nationale, sous les huées et les injures, le droit des femmes à avorter et faisant passer la loi. 

Je me souviens qu'on s'habille un peu pour soi et beaucoup pour les autres (ou le contraire). 

Je me souviens que, comme la mère était fâchée contre moi, elle disait : « Tu es une vraie chiffonnière ». Je ne savais pas ce que cela voulait dire mais j'entendais la colère dans sa voix. 

Je me souviens des militantes aux seins nus du groupe Femen. 

Je me souviens de l'instant délicieux où tout bascule lorsqu‘une main ouvre le premier bouton. 

 Je me souviens d'un imperméable de couleur mastic que je détestais. J'avais treize ans, j'étais amoureuse. On disait : « Se sentir moche comme un pou. » 

 Je me souviens que le 24 avril 2013 plus de mille cent-trois jeunes ouvrières sont mortes après l'effondrement des huit étages du Rana Plaza, un ensemble de cinq usine de confection, au Bangladesh. 

Je me souviens qu'un corps, c'est une manière de se mouvoir, d'exister dans l'espace. Nos habits nous habillent, mais c'est nous qui les habitons. 

Je me souviens comment j’étais habillée le 11 septembre 2001. 

Je me souviens que les baskets n' étant plus le seul privilège des ados et des sportifs, tout le monde s’est mis à affirmer : « Je suis bien dans mes baskets ». 

Chaque paragraphe serait à citer tant c'est juste !
Authentique, drôle, malicieux, touchant, ce livre recèle de belles émotions et déclenche des réflexions. A partir de ses propres souvenirs, Lydia Flem réactive notre mémoire collective avec de observations très pertinentes sur les femmes. Ces instantanés composent brillamment un éventail de l'histoire et de ce qui nous a marqués.
A picorer, à savourer et à méditer sans aucune modération !

dimanche 10 avril 2016

Péter Gárdos - La fièvre de l'aube

Éditeur : Robert Laffont - Traduit du hongrois par Jean-Luc Moreau - Date de parution : Avril 2016 - 270 pages à découvrir. 

Miklós Gárdos un Hongrois de vingt-cinq est un survivant des camps d’extermination nazis. A la fin de la guerre, il est soigné en Suède car il est gravement atteint de tuberculose. Condamnés par les médecins à ne vivre que six mois, le jeune homme veut se marier. Il décide d’écrire à toutes les femmes Hongroises rescapées des camps et soignées dans la même région que lui. Sur plus d’une centaine de lettres expédiées, il aura quelques retours dont celui de Lili Reich âgée de 18 ans et hospitalisée pour un problème au rein.

A partir de septembre 1945, ils vont s’écrire. Lili est sans nouvelles de sa famille et Miklós lui promet de tout faire pour l’aider à la retrouver. Sans l’avoir vue, Miklós tombe très rapidement amoureux de cette jeune fille et veut la rencontrer. Son médecin s’y oppose formellement et il va devoir trouver des subterfuges pour arriver à ses fins. Les amies de Lili la mettent en garde car elle ne le connaît pas. Mais elle tombe sous le charme de Miklós qui remue ciel et terre pour elle.

On pourrait croire à une histoire montée de toutes pièces mais il n’en est rien. Péter Gárdos nous raconte l’histoire surprenante de ses parents. Ce livre parle d’un amour que l’on pense inimaginable car Miklós et Lili devront surmonter bien des épreuves. L’auteur évoque l’horreur des camps de concentration mais sans jamais s’appesantir dessus.

« Pendant cinquante ans temps j'ai ignoré d'existence de cette correspondance. En 1998, après la mort de mon père, ma mère, comme incidemment, me remit de grosses liasses de lettres, entouré d'un ruban de soie ». Ce roman en partie épistolaire est bien entendu touchant mais j’ai des petits bémols. Une écriture plus travaillée aurait permis d’éviter une forme de monotonie dans ce récit. De plus, j’aurais aimé que l’auteur nous décrive le retour de ses parents en Hongrie. Mais ce livre ne verse pas dans le sentimentalisme à outrance, il y a beaucoup de pudeur  et c'est sa force.

vendredi 8 avril 2016

Rachel Elliott - Murmures dans un mégaphone

Éditeur : Rivages - Traduit de l’anglais par Mathilde Bach- Date de parution : Avril 2016 - 444 pages addictives et pétillantes ! 

Depuis trois ans, Miriam Delaney trente-cinq vit recluse chez elle " par défaut, son état normal c'est plutôt une sorte de mélancolie bienveillante, une sorte de parfum d'ambiance pour introvertis". Mais elle s’apprête enfin à sortir aidée  par son amie Fenella. Si Miriam murmure et a des pensées quelquefois surprenantes en ce qui concerne le monde extérieur et les relations avec autrui, la faute en incombe à sa mère désormais décédée (je n'en dis pas plus).
Ralp est psychothérapeute et marié à Sadie qui se  décrit "comme une personne très sociable qui déteste les gens". Cette dernière tient un blog et tweete tout de sa vie à longueur de temps en y incluant des informations sur son son mari. Ce que Ralph apprend par l’une de ses patientes. Et le jour de son anniversaire, découvrir que sa femme flirte avec sa meilleure amie est la goutte d’eau qui fait déborder la vase. Il quitte le foyer conjugal et part dans les bois où il va rencontrer Myriam.

Résolument moderne et sans guimauve, ce livre recèle de réflexions, de situations finement décrites et d’évènements qui révèlent bien des surprises. Sans temps mort, Rachel Elliott nous dépeint des personnages humains en quête du bonheur ou d’eux-mêmes.
C’est relevé, bourré d’humour ( les dialogues sont un régal) et il se dégage de ce livre un concentré d’énergie, de punch et de bienveillance.
Un premier roman pétillant, vivifiant et hautement addictif !

Le billet tentateur de Cathulu


Miriam fête aujourd'hui ses trois ans d'hibernation, cela dit, les chiffres sont parfois trompeurs, et trois ans peuvent en paraître trente. En matière d'hibernation, on compte en années de chiens : trois ans, ça fait un peu près vingt-huit ans, avec quelques variations en fonction de la race mais en l'occurrence, c'est le genre agréable, protectrice, le genre qui tient le monde à distance. 

jeudi 7 avril 2016

Maylis de Kerangal - Un chemin de tables

Éditeur : Seuil ( collection Raconter la vie)- Date de parution : Mars 2016 - 102 pages envoûtantes !

Maylis de Kerangal  nous raconte  le parcours atypique de Mauro. Titulaire d’un master de sciences économiques, il accumule des expériences dans les cuisines de différents restaurants en tant qu’autodidacte pour finalement passer un CAP. Le Jeune homme talentueux qui aimait préparer des plats à ses amis suit son instinct. Des horaires à rallonge à un savoir-faire acquis, il n’hésite pas à changer d’établissements. Maylis de Kerangal nous décrit à merveille les gestes, la précision, la rigueur, mais aussi les cadences effrénées, la fatigue, la dureté de cuisine qui exige « qu'on lui sacrifie tout, qu'on lui donne sa vie ». 
A vingt-quatre ans, Mauro ouvre son propre restaurant. Le succès est au rendez-vous. On le suit sur les marchés à la quête de bons produits, dans sa cuisine minuscule.Mais Mauro a faim d’autres expériences. Il part en Asie, y passe plusieurs mois, revient, accumule encore d’autres expériences. Insatiable, rigoureux et passionné.

Sans jamais perdre son lecteur, avec une écriture qui épouse le vocabulaire spécifique d'un métier ou qui détaille un procédé de cuisson, les gestes techniques, elle nous immerge au plus près de Mauro.
Un livre envoûtant ! 

"Ce qui se produit durant ces heures compactées, dans cet espace réduit, est toute la fois une improvisation d'une grande intensité, une expérience sensorielle de haute volée et une confrontation avec la matière - matière organique, vivante, ultra réactive."

Le billet de Cathulu

Lu de cet auteur : Corniche Kennedy - Naissance d'un pont - Réparer les vivants

mercredi 6 avril 2016

Emilie de Turckheim - Popcorn Melody

Éditeur : Héloïse d'Ormesson - Date de parution : Août 2015 - 204 pages au charme fou ! 

Shellawick un trou paumé du Midwest avec ses cailloux,  son soleil de plomb, ses mouches, sa poussière et ses quelques habitants. Parmi eux, Tom Elliott la trentaine qui tient une supérette au doux nom le Bonheur. Il n’y vend que l’essentiel c’est-à-dire pas grand-chose « J'ai décidé de changer mes habitudes et de limiter mon carnet de commandes à la trilogie de bonheur : manger à sa fin, se laver et tuer les mouches. Au-dessus de ma porte, j'ai décloué le panneau SUPERMARCHE, je l'ai retourné et j'ai peint LE BONHEUR en lettres rouges. » Pas très loin, l’usine de popcorn emploie de nombreuses personnes et sur les paquets de popcorn, on retrouve la frimousse de Tom enfant mais hors de question pour lui d’en vendre. Ses quelques clients y viennent principalement pour s’installer dans le fauteuil de barbier et parler. Tom écrit un haïku dans les pages jaunes dès qu’un client franchit sa porte. Mais quand un hypermarché tout neuf (et climatisé) est construit juste en fac de la supérette de Tom, ses habitués désertent le Bonheur.
« La moitié des habitants vit – survit serait plus exact – de l’usine de popcorn Buffalo Rocks, magnat industriel qui domine toute la région. Tout le monde en périt aussi». Et l’hypermarché appartient au dirigeant de l’usine. Tom ne veut pas mettre la clé sous la porte. Il décide d’aller voir par lui-même ce temple de la consommation.

La première chose qui attire l’œil dans ce roman est l’écriture : unique, savoureuse et originale avec des expressions comme « vendre les fleurs» pour perdre la raison (c’est ce qui arrive à Matt l’ancien instituteur de Tom).
Avec une galerie de personnages hauts en couleur ( la fille adoptive de Matt s’appelle Emily Dickinson) souvent décalés, ce roman est bien plus qu’une jolie fable sur la société de consommation. Emilie de Turckheim nous parle des Indiens des Plaines, de la différence, de philosophie de vie, d'humanité, de poésie, d’écriture et de lecture.
Il s’agit d’un univers à part avec un grain de folie douce. C’est entraînant sur toute la ligne avec un charme fou! 

En écoutant mes clients, j'ai appris que les autobiographies étaient des tissus de mensonges sincères, qui variaient au gré des années et des ressentiments. 

Emily était comme ces comédiennes de cinéma qui ont un rôle aussi court qu'une étoile filante et qui concentrent dans cet instant toute la lumière qui ne s'est jamais posée sur elle.

Une lecture repérée chez Cuné, de nombreux billets sur Babelio.

mardi 5 avril 2016

Annie Ernaux - Mémoire de fille

Éditeur : Gallimard - Date de parution : Avril 2016 - 151 pages fortes et un livre-hérisson !

 "Toujours des phrases dans mon journal, des allusions à « la fille de S », « la fille de 58 ». Depuis vingt ans, je note « 58 » dans mes projets de livres. C’est le texte toujours manquant. Toujours remis. Le trou inqualifiable."
Avec mémoire de fille, Annie Ernaux remédie à ce texte manquant. En 1958, Annie Duchesne (son nom de jeune fille) âgée de dix-huit ans est monitrice dans une colonie à S. dans l’Orme. Pour la première fois, elle quitte Yvetot et le café-épicerie de ses parents pour un été. « Tout est nouveau pour elle » comme cette liberté loin de ses parents.
Première expérience sexuelle avec H. moniteur-chef avec qui elle passe la nuit car il y a l'envie, le désir mêlés à la naïveté et à l'innocence. Et elle se donne à lui avec soumission. Elle est amoureuse mais dès le lendemain, H. s’entiche d’une autre fille. Annie Duchesne devient un objet de moqueries et de mépris, on lui colle l’étiquette de fille facile, de « putain sur les bords ». Il y aura d’autres garçons mais son esprit est accaparé par H.. Vient la fin de la colonie, le désir d’oublier cet été et sa violence qui ne sera pas sans conséquences : aménorrhée et boulimie.
Les deux années suivantes s'accompagneront d'un changement d’orientation dans ses études supérieures, d'un séjour de fille au pair à Londres. Et la lecture de Simone de Beauvoir sera un catalyseur.

A partir de ses souvenirs, de lettres écrites à ses amies et de photos, Annie Ernaux analyse Annie Duchesne avec distance  « Je ne construis pas un personnage de fiction, j'ai déconstruis la fille que j'ai été ». Le « je » pour parler d’elle au présent et « elle », « la fille de 58 » se côtoient dans ce va-et-vient ponctué de nombreuses réflexions et d'interrogations sur son travail d’écriture « J'ai commencé à faire de moi-même un être littéraire, quelqu'un qui vit les choses comme si elle devait être écrites un jour » et sur celui de la mémoire.
Et d’écrire : « C'est l'absence de sens de ce que l'on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d'écriture ».

Avec ce récit, elle parvient à saisir une réalité et le lecteur mesure tous les changements opérés en plus de soixante ans notamment en ce qui concerne le regard porté sur les femmes.  Il faut prendre son temps et ne pas se précipiter pour bien saisir l’ampleur de toutes ces pages.
Un livre indispensable pour l’admiratrice d’Annie Ernaux que je suis et une lecture très forte. 

« En ai-je été nettoyé par le deuxième sexe ou au contraire submergée ? J'opte pour l’indécision : d'avoir reçu les clés pour comprendre la honte ne donne pas le pouvoir de l'effacer. »

«Je marche vers le livre que j'écrirai comme deux ans auparavant je marchais vers l'amour. La nourriture comme idée fixe m'a quittée, mon appétit est redevenu celui d'avant la colonie. J'ai revu le sang fin octobre. Je m'aperçois que ce récit est contenu entre deux bornes temporelles liées à la nourriture est au sang, les bornes du corps»


Les billets d 'AntigoneCathuluJérômeSaxaoul

Lu de cette grande dame de la littérature : Ecrire la vie (qui regroupe Les armoires vides, La honte, L’événement, La femme gelée, La place, Journal du dehors, Une femme, « Je ne suis pas sortie de ma nuit », Passion simple, Se perdre, L’occupation, Les années) - La femme gelée - La place - Le vrai lieuLes années - Regarde les lumières mon amour - Retour à Yvetot

dimanche 3 avril 2016

Nicolas Delesalle - Le goût du large

Éditeur : Préludes - Date de parution : Janvier 2016 - 320 pages marquantes et passionnantes !

L’auteur a embarqué comme passager sur un cargo et plus précisément un porte-conteneurs le MSC Cordoba durant neuf jours. Un cargo avec son équipage où chacun à un rôle, des tâches à accomplir. Un départ d’Anvers avec comme destination Istanbul. « Le Cordoba, c'est 275 mètres de long et ses 60 000 tonnes se sont glissées avec grâce dans une écluse à leur mesure. C'était la dernière étape avant l'océan, le silence et le vent. Plus de téléphone portable, plus d'Internet, plus de réseaux sociaux, plus de femme, plus d'enfant, plus de parent, plus de famille, plus d'ami, plus rien que l'horizon infini, le bourdonnement du moteur, la houle, les odeurs de graisse, de fioul et l'ennui. »

Un voyage où il se retrouve seul avec lui-même et la route maritime, les conteneurs font jaillir des souvenirs. Reporter, Nicolas Delesalle a parcouru le monde et couvert des conflits. L’Ukraine, la Syrie, l’Afghanistan, le Caire, le Sénégal et d’autres pays encore avec chacun son conflit mais aussi des rencontres et des surprises. Ce voyage sur le cargo lui permet de replonger dans ce qu’il a vécu  et vu et de le raconter avec du recul. Au fil des jours, les membres de l'équipage discutent avec lui  et racontent un de peu  de leur vie, de ces cargos qui les éloignent des leurs.
C’est criant de sincérité et d’humanité. On est à ses cotés à terre ou en mer, et on «vit» chaque situation : grave ou plus légère. Sans pathos avec souvent une pointe d'humour, il y ajoute ses propres réflexions.

Par la magie de la lecture, j’ai embarqué sur ce porte-conteneurs et j'ai rencontré des personnes plus que touchantes là où l'on ne s’y attend pas forcément.
Un livre passionnant et riche qui nous offre un autre regard sur le monde. Une lecture forte et marquante, j'ai frôlé le coup de coeur.

J'ai quitté le village avec l'impression d'avoir touché du doigt l'humanité la plus lointaine de nos canons, de nos carcans. Et puis, en songeant aux rires des gamins devant l'iPhone, aux hommes qui tuent le désespoir dans l'alcool, cette rencontre a pris la forme d'un miroir ou se réfléchissait de chaque côté du tain les mêmes enthousiastes, les mêmes angoisses, la même humanité.
 
Les billets de :  A propos de livresKathel, Laurie litNicole, Séverine

Lu de cet auteur : Un parfum d'herbe coupée

vendredi 1 avril 2016

Daniel Arsand - Je suis en vie et tu ne m'entends pas

Éditeur : Actes Sud - Date de parution : Mars 2016 - 266 pages bouleversantes.

1944, Klaus Hirschkuh vingt-trois ans rentre à Leipzig. Il vient de passer quatre années à Buchenwald. La raison ? Son homosexualité. Ses parents ne l’attendaient plus et ils découvrent un jeune homme amaigri, un fantôme vivant hanté par ce qu’il a vécu. Pas de questions sur ces quatre années, pas de gestes d’amour envers ce fils. Tabla rase de ce passé. Pourtant Klaus ne peut pas oublier la violence, la maltraitance, les injures, l’humiliation et les morts. Tout ou presque le ramène là-bas. Mais il doit survivre. Après avoir décroché un travail chez un tailleur, il fait la connaissance de René, un Français qui n’a pas voulu renter à Paris retrouver sa femme. Pas tout de suite. Lui aussi à ses blessures béantes. Mais les deux amis vont partir en France : "La plupart des voies ferrées série allemande présentaient un aspect désastreux. On partait demain. Klaus serait-il assez robuste pour le bonheur ?".
Est-il possible de renaitre dans un nouveau pays ? Et l’on suit Klaus au fil du temps qui passe.
Se donner le droit à nouveau d’aimer, des amants à son grand amour Julien malgré l’homophobie galopante. Il faudra des années à Klaus pour s’ouvrir à Julien, pour raconter Buchenwald.

Un texte bouleversant et nécessaire. L’écriture de Daniel Arsand est tout simplement sublime. Un feu d'artifice alliant poésie, sensibilité et avec des phrases qui nous transpercent  pour décrire la douleur, l’horreur.
Un roman pour la liberté, pour le droit d’aimer et pour ne pas oublier. 

Il se souvint des blessures qu'il avait eues là-bas, au front, dès le premier soir. Du sang qui coulait. Il avait du sang dans les veines. Il était un être humain. Il avait mal. Les êtres humains ont parfois mal. Souffrance, dit-on pour abréger. Description vague et parfaite.