vendredi 29 mars 2019

Paola Pigani - Des orties et des hommes

Éditeur : Liana Levi - Date de parution : Mars 2019 - 320 pages

Début des années 70, en Charente, Pia est une fillette de onze ans, une fille de la campagne comme on dit. Dans un petit hameau, elle vit au rythme des travaux agricoles avec son frère et ses quatre sœurs. Toujours prête à donner un coup de main à ses parents qui  travaillent la terre en fermage et élèvent quelques vaches laitières. Leurs racines sont en Italie d’où ils sont originaires.

A travers la voix de Pia, on s’évade dans un champ, on court à en perdre haleine, on observe la nature, petits plaisirs et jeux d’une enfance qui sent le plein air et la débrouillardise. Aider les parents, ramasser le bois ou baratter le beurre au son des rires de la fratrie. Une famille où on se serre la ceinture : les vêtements servent d’un enfant à un autre, pas de dépenses inutiles ou frivoles. Mais c’est aussi l’amour que lui donne ses parents, les vacances chez sa grand-mère, son amie Laure, les conversations sérieuses des adultes autour de la table où les soupirs et  les silences trahissent les difficultés et la peur de l'avenir. Les paysans veulent se regrouper et se faire entendre, et  parlent  de créer un syndicat agricole. Pour Pia, il y a l’entrée au collège et l’internat qui se profile accompagnée d’appréhensions. Une sphère inconnue avec ses codes et ses règles.

La fin de l’enfance marque le début de l’adolescence et la sécheresse de l’année 1976 précipite la faillite de certains paysans. Son père est obligé de devenir ferrailleur. Si au collège, elle découvre la solitude et les remarques acides,  la poésie se fait réconfortante et précieuse. Tandis que les amitiés de l’enfance se délitent certaines fermes se retrouvent inhabitées. Mutation d’un monde agricole où les plus petits sont à l’agonie.

L'auteure rend un hommage vibrant et nostalgique à un monde paysan et à celui de l’enfance. Il y aurait beaucoup à rajouter car  elle aborde également les thèmes de l’exil et de la condition sociale.  D'une écriture poétique sans fioriture et avec un sens du détail qui fait mouche, Paola Pigani a su traduire à merveille et avec justesse les sentiments, les perceptions  et le regard de l'enfant puis de l'adolescente.
Ce livre a résonné en moi tant j’y ai retrouvé des souvenirs et des sensations qui ont fait briller mes yeux d’enfants.
Un roman dont je suis sortie le cœur vrillé d’émotions et avec un sentiment d’une tendresse lumineuse infinie. 

Le chant d'une tronçonneuse se traîne d'arbre en arbre loin derrière ou loin devant. Des corbeaux rasent les champs. Faut-il aimer la terre pour espérer vivre ici toute une vie ? Je porte cette question sans bandoulière et ce poème que je relis souvent dans mon petit box à l'internat. 
Armée étrange aux cris sévères, 
Les vents froids attaquent vos nids ! 
Vous, le long des fleuves jaunis, 
Sur les routes aux vieux calvaires, 
Sur les fossés et sur les trous,
Dispersez-vous, ralliez- vous ! 
Je voudrais qu'il y ait sur nos chemins et jusqu'au ras des villes des orties et des hommes qui s'agrippent à nos rêves éboulés, au souvenir de nos terres travaillées, de nos terres en jachère, de nos terres rêvées, même sauvées d'une décharge ou d'une sécheresse.

Les billets de Joëlle, Zazy
Lu de cette auteure : N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures 

mercredi 27 mars 2019

Oscar Coop-Phane - Le Procès du cochon

Éditeur : Grasset - Date de parution : Janvier 2019 - 128 pages.

Il était une fois dans un village à une époque lointaine un paisible bébé qui dormait. Le temps était beau et sa mère avait sorti le berceau. Occupée à ses tâches, elle s’en était éloignée quelques instants. Un cochon affamé passant par là croqua dans la joue de l’enfant. Alertée par les cris de l’enfant, la mère revint mais il était trop tard le bébé succomba.

Il n’est nullement question d’une jolie histoire bien gentille et d’ailleurs si le titre est explicite, jamais l’auteur ne va nommer l’animal. Ce court roman raconté à la manière d’une pièce de théâtre m’a d’abord surprise car l’auteur laisse planer habilement une certaine ambiguïté sur le coupable.  Oscar Coop-Phane nous décrit le crime, l'arrestation, la parodie de jugement qui attire la foule,  le verdict et enfin la condamnation. D'abord arrêté et même s’il est incapable de dire quoi que ce soit pour se défendre, la justice des hommes se fera. On est gagné par une certaine sympathie face à cet accusé et bousculé par la bêtise des hommes et leur soif de vengeance.
L'absurdité et la cruauté sont mises en exergue avec une certaine emphase agréable. Si certains passages m’ont soulevée le cœur (âmes sensibles, vous êtes prévenues), ce livre remplit sa mission : celle de nous amener à nous questionner sur les notions de culpabilité et de responsabilité. La présentation indique que ce procès est à l’image de  ceux qu’on intentait aux animaux jusqu’à la fin du XVIII ème siècle mais ce roman a, malheureusement, un goût du temps actuel.

Même si la fin m'a laissée un petit peu sur ma faim, cette lecture singulière m'a interpellée (comment ne pas l'être ?).

On n'avait jamais observé chez un suspect un tel calme, une telle distance. Il se laisser guider sans se plaindre. Pour autant, il n'inspirait aucune sympathie, ni parmi les flics, ni parmi les truands; une question d'odeur sans doute, et d'allure. On le toisait. Jamais il ne ferait partie de la famille. Contre lui, son crime bien sûr, de ce qu'on ne pardonne pas, mais surtout sa classe, sa nature - le croqueur de joue porte la marque de ceux qu'on méprise.

Le billet de Nicole et d'autres avis sur Bibliosurf

lundi 25 mars 2019

Leonardo Padura - La transparence du temps

Éditeur: Anne-Marie Métailié - Date de parution: Janvier 2019 - Traduit de l'espagnol (Cuba) par Elena Zayas - 448 pages

C’est moche de vieillir et ce n’est pas Mario Conde qui dira le contraire. A l’aube de ses soixante ans, l’ancien policier a le moral en berne. Rien n’a changé pour ainsi dire à La Havane  et comme beaucoup de ses concitoyens, Conde tire le diable par la queue. Quand un ancien camarade de lycée Bobby le contacte pour une enquête particulière, il ne peut refuser car c'est l'occasion pour lui de mettre un peu de beurre dans les épinards. Bobby, marchand d’art,  a été délesté par son amant de presque tous ses biens  dont une statue d’une Vierge noire qui selon ses dires possède des pouvoirs.

Même si Bobby n’était pas un ami à proprement parler, la fibre nostalgique de Conde est touchée et l’idée de gagner un peu d’argent n’est pas pour lui déplaire. Bougon et un brin désabusé,  il a de quoi être mélancolique car il vieillit et certains de ses amis parlent de quitter désormais le pays. La recherche de la statue l’entraîne non seulement dans des milieux d’arts mais aussi dans des trafics louches loin des beaux quartiers de la ville.
En parallèle avec l'histoire de Vierge noire,  Leonardo Padura nous plonge quelque siècle auparavant en Espagne et le contraste avec La Havane est d'autant plus saisissant avec une fracture encore plus prononcée entre les pauvres et les quelques riches.  Mais l'on sent que Leonardo Perdura  tout comme son personnage est attaché à son pays.

Entre roman social, polar et roman historique, Leonardo Padura joue sur plusieurs tableaux et c'est complètement réussi.  Avec des pointes d'humour et  beaucoup de réalisme, ce livre distille une ambiance qui colle à la peau du lecteur de la première à la dernière page. On visualise La Havane,  on est happé par la recherche de la Vierge noire et on ressent le désenchantement mais aussi la valeur de l'amitié.

A peine quelques minutes plus tard, Conde comprenait que ses réflexions sociologiques de  philosophe existentiel tropical n'avaient guère d'avenir dans le pays excessif et léger où il était né, où il vivait, et dans lequel la logique ne répondait à aucune loi.

Les billets de Delphine, Jostein et Keisha ( la fan numéro un de Leonardo Padura)

Lu de cet auteur : Ce qui désirait arriver - Hérétiques

vendredi 22 mars 2019

Sylvie Le Bihan - Amour propre

Éditeur : JC Lattès - Date de parution : Mars 2029 - 250 pages très fortes et qui interpellent.

Mère de trois adolescents qu’elle élève seule depuis presque dix ans, Guilia a toujours tout fait pour eux. Travailler et être mère en même temps comme tant d’autres femmes sans se plaindre ou sans rechigner. Il aura fallu que ses cadets décident de se prendre une année sabbatique avant d’entamer leurs études supérieures pour que la goutte d’eau fasse déborder le vase. Cette professeure d’italien  dont la mère a déserté il y a fort longtemps sait toute l’importance d’une présence maternelle. Elle part sur les traces de l’écrivain Malaparte à Capri, un auteur controversé dont elle admire l’œuvre et qui se révèle un lien entre elle et sa mère.

Guilia devrait être absorbée par ses recherches mais la fracture a eu lieu laissant place à ses interrogations et à toute l’ambivalence de ses sentiments. Elle aime ses enfants et cependant elle veut retrouver le temps de vivre pour elle en tant que femme. Emprisonnée dans les carcans sociétaux liés à la maternité, elle a la franchise envers elle-même d’arrêter de se mentir ou de continuer à faire comme si. Sans ambages, Sylvie le Bihan offre des réflexions sur la maternité bien loin de celles que l’on peut lire habituellement et qui riment avec épanouissement. Et ce roman risque de faire grincer des dents car il aborde un sujet pas facile, complexe et tabou. Peut-on être mère et le regretter ou avoir ce sentiment profond de ne pas être à la hauteur ?

Il aurait été facile d’esquinter les normes en envoyant tout valdinguer mais Sylvie Le Bihan à travers Giulia émaille ses propos d’exemples criants de vérité. Elle nous questionne et on la suit.  On prend le temps  de se regarder dans le miroir et d’être sincère avec soi-même. Sans se piétiner, les quêtes entamées par Giuila consciemment ou non se complètent.
Sans imposer quoi que ce soit mais avec ce souci de la différence et de la tolérance, chacun puisera  dans ce livre qui une fenêtre ouverte sur nous-mêmes et sur les autre.
Il y a une belle poésie qui épouse Capri pour nous parler de ce lieu mais aussi une écriture qui résonne, interpelle à l’image de ce roman très fort. 

La notion de regret n'existe pas pour une mère, c'est un signe de défaite, une ignominie, un dysfonctionnement qu'il faut cacher ou régler au plus vite, car il est si facile d'être traitée de folle par les autres, femmes comprises,  dès que le ressenti est différent, voire contradictoire à leur foi en cette histoire de l'enfantement merveilleux qu'on se refile de mère en fille. 
Mais, j'ai eu des enfants et je le regrette. 
Après cette phrase, que je la laisse dans ma tête ou que je la formule à voix haute, je ressens à chaque fois le besoin, ou l'obligation, de dire que j'aime mes enfants.

Les vainqueurs récrivent l'histoire à leur façon, mais ce sont les vaincus qui se transmettent la vérité.


Le billet d'Alexandra,  JoëlleNicole  et d'autres avis sur Bibliosurf

Lu et aimé également de Sylvie Le Bihan : l'Autre

mercredi 20 mars 2019

Jessica Bruder - Nomadland

Editeur : Globe - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nathalie Peronny - Date de parution : Février 2019 - 304 pages à lire.

Il y a toujours eu des itinérants, des vagabonds, des bourlingueurs, des âmes errantes incapable de tenir en place. Mais aujourd'hui, au vingt et unième siècle, on assiste à l'émergence d'une nouvelle tribu de voyageurs. Des gens qui n'auraient jamais pensé devenir nomades un jour se retrouvent bien malgré eux sur la route. Ils sont obligés de quitter leur maison ou appartement pour vivre dans ce que certains appellent des "résidences sur roues" : vans, campings-cars d’occasion, ; bus scolaires, campers 4 X 4, mobile homes et même bonnes vieilles berlines. 

Alors qu'ils ont atteint ou dépassé l’âge de leur retraite, ils n'ont plus rien n'ont plus rien ou presque. Touchés de plein fouet par la crise financière de 2008 aux Etats-Unis, ces hommes et ces femmes sont sans adresse fixe. Ils passent leur temps à sillonner le pays à la recherche de boulots temporaires dans des campings ou des entrepôts géants (et les avantages pour les employeurs sont nombreux).

La journaliste Jessica Bruder s’est intéressée à ces travailleurs nomades. Durant trois ans, elle a côtoyé Linda et bien d’autres  qui sont devenus nomades par contrainte. Une petite pension, des économies  envolées et quelquefois un accident de la vie les a fait basculer dans la précarité.
Avec les difficultés qu'ils rencontrent,  ils sont les rois de la débrouille, ils échangent des bons plans sur des forums dédiés (où avoir du Wifi gratuitement où comment se doucher à moindre coup par exemple)  et la solidarité entre eux n’est pas un vain mot. Jessica Bruder aurait pu se contenter de les rencontrer mais elle a partagé avec eux plusieurs mois en immersion totale avec un travail éreintant dans des conditions de vie spartiates.

Cette lecture se révèle édifiante et très intéressante car Jessica Bruder a creusé le sujet mais j'aurais préféré cependant un livre un petit plus resserré (je chipote un peu)
Si on est bien loin du rêve américain, ces travailleurs nomades gardent malgré tout l'espoir de jours meilleurs et gardent la tête haute. Pétillante avec  un optimisme à toute épreuve, Linda en est bien la preuve. 
A lire incontestablement !

Les travailleurs-campeurs sont des employés bouche-trous, c'est-à-dire l'idéal pour les employeurs à la recherche de main-d'œuvre saisonnière. Ils apparaissent juste où et quand on a besoin d’eux. Ils apportent leur propre maison avec eux et transforment des parcs de mobile homes en villages d'entreprises éphémères qui se vident une fois le boulot terminé. Il ne reste pas assez longtemps pour se syndiquer.

Le billet de Keisha

lundi 18 mars 2019

Gregor Sander - Retour à Budapest


Editeur : Quidam éditeur - Traduit de l'allemand par Nicole Thiers - Date de parution : Janvier 2019 - 248 pages

Pour son anniversaire, Astrid se voit offrir un week-end à Budapest par son amoureux Paul. Rien que tous les deux. Mère divorcée et médecin, elle a rencontré Paul à l’hôpital venu en consultation. Leur relation est assez récente avec son lot de questions. Si Astrid est née en Allemagne de l’Est et qu’elle y a grandi, Budapest ne lui est pas inconnue. Et dans cet hôtel au charme suranné que Paul a réservé, elle croit reconnaître Julius son grand amour de jeunesse.

Avec de subtils allers-retours, on découvre une autre Astrid et une autre époque. Une jeune fille insouciante et amoureuse, un climat où la suspicion régnait et où Berlin-Ouest était synonyme de liberté et de consommation. Tout est dépeint avec des nuances et des ambiances palpables. L’auteur ne se s’en tient pas à la description d’une époque révolue avec ses tensions. Avec beaucoup de finesse, le personnage assez énigmatique d'Astrid se dessine. D'un caractère entier, elle a pourtant des doutes concernant sa nouvelle vie de couple et ses sentiments.
Et tout est absolument très bien rendu !  L’écriture très sensorielle et sans effusion de démonstration des sentiments capte parfaitement l'amitié, l’amour,  la vie de couple et l'atmosphère.  On est immergé dans ce roman entre Budapest d'aujourd'hui et Berlin-Est où l'auteur ne donne pas d'emblée toutes les réponses à nos questions.  Gregor Sander  souligne à merveille les ambiguïtés des souvenirs, les disparités d'une jeunesse devenue adulte avec un brin de mélancolie. Une très belle découverte et un plaisir de lecture !

Là, L'Ouest ressemblait un peu  à ce que je m'étais imagine, bariolé et scintillant, et non pas gris et vétuste comme à Neukölln. J'aurais adoré téléreporter Tobias au raison d'épicerie fine du KDW. Le sortir de notre cuisine où il était souvent aussi à étudier. Directement devant quarante-deux différentes sortes de salamis. Les yeux qu'il ferait ! Il demanderait sûrement : "Qui a besoin de quarante-deux sortes de salamis?" 

Le billet de Cuné

vendredi 15 mars 2019

Ann Patchett - Orange amère

Éditeur : Actes Sud - Date de parution : Janvier 2019 - Traduit de l'anglais ( Etats-Unis) par Hélène Frappat - 301 pages et un très, très bon roman !

Albert Cousins s' incruste  au baptême de Franny âgée de quelques mois pour échapper à sa femme et à ses enfants sous prétexte que le père est une connaissance éloignée de son travail. Quelques verres de gin plus tard, il tombe amoureux de la maîtresse de maison Beverly. Bert et elle quittent leur conjoint respectif et s’installent en Virginie avec les deux filles de Bervely. Les quatre enfants de Bert ne viennent leur rendre visite que durant les vacances. Mais comme  Bert n'a pas trop la fibre paternelle et que Beverly supporte assez mal d’avoir avoir à gérer ses beaux-enfants en plus des siens, ils s'occupent tous les six comme ils le peuvent.

Des années plus tard, on retrouve Franny qui a abandonné ses études en fac de droit et qui est barmaid. Un soir de service, elle voit arriver Leon Posen un romancier reconnu qui n’ a rien publié depuis longtemps. De fil en aiguille, ou plutôt de chaussures en whisky (lisez le roman et vous comprendrez), Franny devient sa maîtresse. Mais surtout elle lui a raconté l’histoire des deux familles dont il a écrit un livre au succès retentissant. Même si Bert et Beverly se sont séparés, certains des enfants de cette famille recomposée sont restés en contact. Tous ont été marqués par la mort accidentelle d'un des enfants de Bert survenue quand ils étaient enfants.
Distillant au fur et à mesure des éléments de l’histoire, Ann Patchett nous embarque dans un roman non linéaire dans le temps sur plusieurs dizaines d'années. Si l'on suit principalement Franny, l’angle de narration permet de suivre également les autres personnages.

Des deux couples défaits et de leurs enfants, l’auteure se focalise sur les liens entre les enfants. L'amertume, l'incompréhensions, la solitude ou les regrets mais aussi la recherche d'une construction identitaire ont jalonné les parcours.
Et sous des airs faussement légers, ce roman est bien plus profond qu'il n'y paraît.
Exploitant les thèmes de la famille et des relations entre frères et soeurs,  c’est relevé avec des touches d'humour et d'ironie désabusée, la construction est épatante et je me suis régalée ! 

- Vous n'avez jamais eu envie d'être écrivain?
- Non, dit-elle, et sinon elle le lui aurait dit. J'ai toujours voulu être une lectrice. 

Rétrospectivement, il dirait qu'il avait senti dès le début, le milieu du premier chapitre peut-être, qu'il se passait quelque chose, bien que rétrospectivement, tout fût toujours clair. Pour le reformuler de la manière la plus juste, l livre s'était emparé de lui bien avant qu'il ne s'y reconnaisse. C'était cela le plus dingue, à quel point il avait adoré ce livre avant qu'il ne comprenne de quoi il parlait.

Le billet de Christelle

mercredi 13 mars 2019

Maggie O'Farrell - I am, I am, I am

Éditeur : Belfond - Date de parution : Mars 2019 - Traduit admirablement de l’anglais par Sarah Tardy - 240 pages et une lecture vibrante.

Dès que j'ai vu le nom de l’auteure et le billet de Cath , je me suis précipitée et  on pourrait pratiquement dire tête baissée. Si au départ, j’ai cru qu’il s’agissait d’un recueil de nouvelles car la forme laissait à l’imaginer et bien j’ai eu faux. Composé de dix-sept chapitres comme autant de nouvelles, Maggie O’Farrell relate dans ce livre des épisodes de sa vie durant lesquels la mort a tenté de s'inviter.

On frémit, on a le cœur qui s’accélère ou qui se serre mais surtout on ressent viscéralement chaque émotion par l'intensité si juste. Maggie O’Farrell parvient tout autant à capter qu'à retranscrire des événements très marquants tout en restituant à la perfection son état d'esprit. Des événements où l'on trouve une  mauvaises rencontre, une maladie grave qui lui a laissé des séquelles,  des accidents, une fausse couche, un accouchement très compliqué entre autres.
Il n'est nullement  question de sensationnalisme, de complainte ou d’auto-apitoiement. En détaillant ses ressentis et le contexte, elle nous immerge dans ses récits. Ferré par l'écriture, on est subjugué par l'appétit de vivre, chahuté ou bouleversé par la puissance des propos, et l'on sourit  par sa capacité à se concevoir chanceuse. Et si elle nous fait part de l'incompréhension froide de certains médecins ou  des remarques blessantes entendues, des gestes bienveillants ont été de véritables baumes.

De ses expériences personnelles, elle a su transmettre avec finesse et sensibilité l’essence même de ces intervalles de temps. La grande force de ce livre est que l'intime s'efface pour révéler les sentiments propres à  l'adolescente mais aussi ceux de la femme et de la mère qu'elle est devenue.

Avec un sens profond de l’observation, une précision des mots et du détail qui nous agrippe et qui nous embarque, Maggie O’Farrell décrit avec une acuité incroyable des scènes d’un réalisme foudroyant. Une lecture vibrante par sa force et par sa qualité. 

Je me rends compte que je suis encore en train de vivre ce phénomène que je connais depuis toujours. Cette sensation de recevoir un choc, de vivre une situation surréaliste, un peu comme une impression de déjà vu. Tout se passe comme s'il me manquait brusquement plusieurs couches de peau, comme si le monde était soudain plus près de moi, plus tangible que jamais.

Les billets de Cath, Cuné

Lu de cette auteure : Cette main qui a pris la mienne En cas de forte chaleur - L'étrange disparition d'Esme Lennox

lundi 11 mars 2019

David Foenkinos - Deux sœurs

Éditeur : Gallimard - Date de parution : Février 2019 - 176 pages manquant de relief.

Mathilde s’effondre littéralement quand Etienne la quitte. En couple depuis cinq ans, ils avaient pourtant le projet de se marier. Courageusement, elle essaie tant bien que mal de se raccrocher à son métier de professeure de français qu’elle aime tant. Sauf qu'Etienne a rompu pour renouer avec son ancienne petite amie. C'est la goutte d'eau pour Mathilde qui sombre dans la dépression. Mise à pied pour avoir giflé un élève, sa sœur Agathe lui propose de venir s’installer chez elle.

Mariée et jeune maman, Agathe est là pour la réconforter et lui apporter son soutien. D’ailleurs avec son mari, le couple fait absolument tout pour que Mathilde aille mieux. Pour que la cohabitation dans le petit appartement se passe au mieux, ils essaient d’arrondir les angles. Mais les jours se transforment en  semaines. Tantôt mélancolique tantôt donnant l’impression de remonter la pente, Mathilde s’éternise en abusant de la gentillesse de sa sœur et de son beau-frère. Le bonheur si parfait d'Agathe l'agace et laisse place à de la jalousie sournoise.

Après une première partie sur la rupture qui traîne en longueur, la suite se devine trop facilement.
Ce roman n'est pas déplaisant avec de jolies réflexions mais pour moi,  il manque terriblement de relief. Je l'ai refermé avec le sentiment d'une histoire survolée et d'un épilogue très prévisible. Dommage.

Pendant toute l'après-midi, Mathilde avait repensé à cette expression : nager dans le bonheur. Que se passe-t-il quand on atteint le rivage?

Il arrive qu'on se confie  non par nécessité intérieure mais pour rassurer l'autre ( une des perversions de la vie sociale).

Le billet plus enthousiaste de Géraldine

Lu de cet auteur Le mystère Henri Pick

vendredi 8 mars 2019

Alex Michaelides - Dans son silence

Editeur : Calmann Levy - Traduit de l’anglais (Angleterre) par Elsa Maggion - Date de parution : Février 2019 - 378 pages efficaces !

Peintre reconnue très en vogue, Alicia est internée en clinique psychiatrique. Elle est accusée d’avoir assassiné son mari plusieurs années auparavant. Murée dans son silence, depuis son arrestation, elle n' jamais chercher à se défendre ou à expliquer son acte. Faber, un jeune psychothérapeute, intéressé par son cas se fait embaucher dans l’établissement. Non seulement,  il veut comprendre les raisons de son mutisme mais surtout réussir là où tous les psychiatres chevronnés de la clinique ont échoué.

A la clinique, Théo est très méfiant vis-à-vis de ses collègues et il n’hésite pas à prendre des initiatives personnelles comme rencontrer l’entourage d’Alicia. Il est très investi dans son travail d’autant plus que sur le plan personnel, son couple bat de l’aile. Le récit alterne le point de vue du jeune homme ambitieux et le journal intime d’Alicia. Et très rapidement, on est assailli de doutes. Si bien sûr on se demande pourquoi Alicia a commis ce meurtre et pourquoi elle refuse de parler,  d'autres questions voient le jour notamment concernant Théo qui a connu des périodes instables sur le plan psychique. Petit à petit, on découvre des zones d'ombre mais pas forcément celles que l'on attendait.

J'ai été très agréablement  surprise par cette lecture qui se révèle un véritable page-turner avec des personnages bien campés. Alex Michaelides maintient un suspense qui ne faiblit pas et nous réserve des surprises avec un dénouement complètement inattendu. Avec une écriture directe, ce thriller psychologique est prenant, complètement addictif et efficace. Mission accomplie sur toute la ligne ! 

- C'est drôle de te retrouver comme ça, Théo.
- Le monde est petit.
- En termes de santé mentale, oui.

Les billets de Cuné et  d'Eve

mercredi 6 mars 2019

Delphine de Vigan - Les gratitudes

Éditeur : JC Lattès - Date de parution : Mars 2019 - 192 pages justes et émouvantes

Je suis orthophoniste. Je travaille avec les mots et avec le silence. Les non-dits. Je travaille avec la honte, le secret, les regrets. Je travaille avec l’absence, les souvenirs disparus, et ceux qui ressurgissent, au détour d’un prénom, d’une image, d’un mot. Je travaille avec les douleurs d’hier et celles d’aujourd’hui. 

C'est avec ces mots que Jérôme définit son métier d’orthophoniste. Il a fait le choix de travailler avec une patientèle âgée et les aide à reconquérir le langage qui leur fait défaut ou s’enfuit. Ancienne correctrice, Michka commence à mélanger les mots, ils s’échappent ou se brouillent avec d’autres. Elle qui vivait seule doit désormais résider dans un Ehpad.  Accepter d'être aidé, accepter l'empreinte du changement et des journées où des petits pas, des petits sommes, des petits goûters, des petites sorties battent la mesure. Michka peut compter sur les visites de Marie, une jeune femme dont elle est très proche. Car pour Marie, c’est naturel à son tour d’être là pour la vieille dame.

A travers Jérôme, ce soignant bienveillant, l'auteure pose un regard empli d’humanité, de tendresse sur la vieillesse et sur ces vies désormais amoindries, rétrécies, mais parfaitement réglées.
Tous les personnages de ce livre ont une histoire mais je n’en dis pas plus. Parce que je veux que vous soyez émus comme moi.

Avec beaucoup de retenue et par petites touches, l'écriture sans fioriture souligne en finesse les non-dits et les effets du temps qui passe. Si Delphine de Vigan nous parle des blessures d’enfance, elle nous interroge également. A-t-on su dire à quelqu’un qui nous cher à quel point on l’aime et combien on le remercie?
C'est fulgurant de justesse et ça serre le cœur. Mais il y aussi des pointes joyeuses et pétillantes d'humour, de malice  et surtout une infinie empathie. Ce roman vibrant parlera à tous et fera naître beaucoup de poissons d'eau dans les yeux. Un livre lu en apnée totale mais avec un petit bémol pour la fin.

Vous êtes vous déjà demandé combien de fois dans votre vie vous aviez réellement dit merci?
Un vrai merci. L'expression de votre gratitude, de votre reconnaissance, de votre dette.
A qui?

Les billets de Cath et de Cuné.

Lu  de cette auteure : D'après une histoire vraie - Les jolis Garçons - Les heures souterraines - No et moi - Rien ne s'oppose à la nuit

Badge Lecteur professionnel

lundi 4 mars 2019

Bénédicte Belpois - Suiza

Éditeur : Gallimard - Date de parution : Février 2019 - 256 pages et un avis mitigé 

A quarante ans, Tomás est paysan qui ne compte pas son temps. Ce taiseux vient d’apprendre qu’il a un cancer agressif mais il n’est pas du genre à se plaindre. Proche de ses sous qu’il gagne durement à la sueur de son front, c’est un homme attaché à ses terres. Dans ce petit village de Galice où tout le monde se connaît, l’arrivée de Suiza est vite remarquée. Elle ne parle pas un mot d’Espagnol. On dit qu’elle vient de Suisse, qu’il lui manque de la jugeote et qu’elle est un peu idiote.Sa beauté attire les hommes et quand Tomás la voit, il la veut.

Veuf depuis bien longtemps, Tomás n’a pas su aimer et prendre soin de celle qui a partagé brièvement sa vie. Son attirance charnelle pour Suiza est plus forte que tout. Et cette attirance va se transformer en véritable sentiment d'amour. Des petits changement vont s'opérer chez notre grand gaillard et Suiza elle-même va s’ouvrir en laissant de côté ses craintes. Ils s’apprivoisent et se complètent. Si Bénédicte Belpois décrit des personnages entiers souvent maladroits avec l'intime et chahutés par la vie, j'ai trouvé qu'il y avait certains clichés et je n'ai pas été sensible aux quelques traits d'humour déployés.

L’écriture ne prend pas de gants, ça respire de vie, de sensualité et c’est même souvent brut (quelquefois trop pour moi d'ailleurs). Avec en toile de fond une histoire d'amour,  on pourrait même s’imaginer déjà une happy end. Sauf que non.
Même si la fin inattendue m’a joliment surprise,  j'ai malgré tout trouvé certaines maladresses dans ce premier roman. 

Les billets de Delphine, Joëlle et Sabine beaucoup plus enthousiastes que moi.