vendredi 31 mai 2019

Matteo Righetto - Ouvre les yeux


Editeur : Points - Date de parution (en poche) : Avril 2019 - Traduit de l'italien par Anne-Laure Gonin-Marquer - 141 pages 

Luigi et Francesca se sont aimés pendant de longues années, un bonheur qui a donné naissance à Guilio. Et comme il arrive parfois le couple s’est délité. Chacun s’est renfermé de son côté avec à la clé une séparation vécue difficilement par leur fils devenu adolescent. Selon l’expression consacrée, chacun a refait sa vie mais Luigi et Francesca vont se donner rendez-vous pour réaliser à nouveau l’ascension du Mont Latemar dans les Dolomites. Je n’en dis pas plus sur le pourquoi et les circonstances.

Entre passé et futur, on pénètre dans la sphère de Luigi et Francesca. Loin d'être que le récit d’une histoire d’amour qui se conjugue désormais au passé, l'auteur nous décrit avec sobriété et pudeur ces petits riens de bonheur, les souvenirs et la violence de la douleur lancinante. Dans un décor de montagnes,  Luigi et Francesca avancent dans leur but et sur eux-même malgré les douleurs. Les cheminements intérieurs accomplis, la complicité retrouvée et l'humilité ressentie devant la grandeur de la nature sont de véritables baumes.

Touchée-coulée par la narration intimiste de Matteo Righetto ce roman lu en apnée m’a apportée des poissons d’eau dans les yeux.  Sans pathos ou effet de manches, il s'agit d'une lecture délicate et sensible à la beauté mélancolique.

Tu imagineras vos deux silhouettes, toutes petites, infimes et inutiles dans cette beauté majestueuse et infinie. Tu imagineras vous découvrir et vous apercevoir, réfugiés dans le ventre de cette montagne, loin de tout. 
Tu ressentiras le poids et l'ivresse de votre solitude ; tu sentiras que vous êtes êtes isolés et dissimulés aux yeux du monde comme seule peut l'être une touffe d’herbe sous une épaisse couche de neige.

Un grand merci à Sabine d'en avoir parlé sur FB à l'occasion de sa sortie en poche.
D'autres billets chez : Aifelle, Nicole, Zazy.

lundi 27 mai 2019

Sylvie Germain - Le vent reprend ses tours

Éditeur : Albin Michel - Date de parution : Avril 2019 - 224 pages 

Il aura fallu d’une affiche signalant un avis de recherche pour que Nathan le reconnaisse. Le vieillard signalé disparu il y a plusieurs mois n’est autre que Gavril. Ce saltimbanque musicien et poète  avait apporté de la fantaisie lumineuse et réconfortante dans le quotidien morne de Nathan alors âgé de neuf ans. Il lui avait entrouvert les portes sur la poésie, et la vie de cet enfant renfermé à l’élocution difficile s’était soudainement éclairée.

Trente ans plus tard, Nathan part à la recherche de Gavril qu’il le croyait décédé.  Leur amitié  avait été rompue brutalement ce qui  avait plongé Nathan dans la culpabilité.
Qui était vraiment Gavril cet homme au grand cœur marqué par des stigmates dont il ne parlait pas ? Nathan va remonter le fil des années  pour assembler les pièces du puzzle en Roumanie  et mettre des mots sur les silences.  L'histoire de Gavril heurtée par la grande Histoire avec ses soubresauts de haine et de violence se dessine et agit comme un catalyseur pour Nathan jusqu'à alors prisonnier de son immobilisme.

Avec son créature poétique, charnelle et ciselée, Sylvie Germain nous parle de périodes sombres mais aussi de renaissance, d'amitié et de beauté. La musicalité résonne  dans cet hymne d'amour à la liberté, la luminosité éclipse et contraste avec la noirceur, et cette luminosité rend possible tous les espoirs.
Une auteure à laquelle  je suis fidèle pour son écriture d'orfèvre et pour les thèmes qu'elle aborde. Une fois de plus, l'alchimie s'est produite avec ce livre à la tolérance bienveillante  et qui sème des graines d’humanité.

Tout se récupère, tout se recycle, répétait-il à Nathan. Surtout les mots, les idées et les rêves. On peut faire du grand avec trois fois rien, du beau en transformant du moche, du risible à partir de fadaises sentencieuses.

Le billet de Jostein.

Lu de cette auteure : Jours de colère - La Pleurante des rues de Prague  - Le monde sans vous - L'inaperçu - Magnus Petites scènes capitales - Tobie des marais

jeudi 23 mai 2019

Catherine Lacey - Les réponses

Éditeur : Actes Sud - Date de parution : Mars 2019 - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Myriam Anderson - 324 pages 

Parce qu'elle souffre de diverses affections pour lesquelles la médecine classique ne peut rien , Mary suit une thérapie de KAPologie sur les conseils de son amie "Techniquement, m’expliqua Chandra, la KAPologie est une forme de chi neurophysiologique, une technique relativement obscure, qui se situe aux marges de l’avant-garde ou aux marges des marges, selon à qui tu poses la question. " Dispensées par  un  (pseudo) thérapeute,  les séances lui coûtent très cher mais comme elle est convaincue des bienfaits, il est hors de question de question pour elle d’arrêter. Coup de chance, elle tombe sur une petite annonce qui recherche des candidates pour un programme spécifique d'étude contre rémunération.

Après série d’entretiens et de tests, Mary intègre une expérience un peu spéciale autour de Kurt, star du cinéma adorée et idolâtrée par de nombreuses personnes. Le but du programme étant d’identifier le mécanisme amoureux, de l'analyser sous toutes  les coutures.  Mary devient la  "Petite Chérie Emotionnelle" de Kurt. Bardée de capteurs, son rôle est de l’écouter car toutes leurs entrevues seront filmées et décryptées, et les données passées au peigne fin.

Comme dans Personne ne disparaît,  Catherine Lacey fait preuve d’inventivité et ce roman est extrêmement singulier et intrigant. On navigue entre l’étonnement, l’ironie sous-jacente, un certain cynisme et la sensation par moments d’être légèrement dérouté. Détonante par son côté un peu étrange, Mary donne l'impression en apparence d’être souvent à côté de la plaque, décalée à l'image de ce roman.

Les désirs personnels ou scientifiques, la quête du bien-être,  la manipulation,  la solitude et les dérives les plus extrêmes sont au centre de roman.
Complètement surprenante et originale, loin d'être lisse, cette lecture sort assurément des sentiers battus mais il lui manque, au final,  de la cohésion. Mais malgré tout, l'écriture de Catherine Lacey m'a une fois de plus accrochée par son originalité.

Je me demandai ce qui avait pu se passer  entre eux pour qu'elle ait autant besoin de lui, mais je suppose qu'on qu'on ne sait jamais  ce qui se passe entre deux personnes. C'est comme un  échange de regards intime, pas de place pour plus que deux.

lundi 20 mai 2019

Caroline Lamarche - Nous sommes à la lisière

Éditeur : Gallimard - Date de parution : Février 2019 - 176 pages

Derrière ce titre évocateur et prometteur  se dessinent des zones partagées entre deux mondes où animaux et humains se croisent.  Avec la première nouvelle Frou-Frou, une cane blessée recueillie et soignée dans un refuge pour oiseaux. Elle cherche la protection de Louis qui s’attache à elle, au point qu’il la prenne chez lui. Il veille sur elle, lui porte une attention et un amour sincère. Elle se rétablit ou presque. Et croyez-moi j'ai eu des poissons  d'eau dans les yeux comme pour les nouvelles suivantes.

Pas de mièvrerie ou de sensiblerie mais une précision des mots pour décrire cette lisière où hommes et animaux interagissent. Des liens nimbés d’une forme de liberté où des vies fragiles se révèlent fortes sans pour autant occulter les menaces. Bien sûr, il y a les personnages humains  mais les animaux comme un cheval, un merle, un hérisson, un chat ou même des fourmis ont une part importante dans ces textes.

L'auteure nous surprend et nous émeut avec ces nouvelles ciselées, épurées pourvues de cette beauté simple en apparence qui m’a cueillie. Une écriture où la réalité même si elle est dure se mêle à la poésie et à la sensibilité.  Caroline Lamarche restitue les peurs, la perte, les douleurs mais aussi l'amour, l'humilité, la  complicité ou tout simplement ces instants riches aussi fugaces soient-ils.

Le cœur et l'âme vrillés d'émotions,  j'ai frémi, j'ai vibré de cette fragilité mise en exergue, de ces liens précieux qui gardent leur part de mystère. Un gros coup de cœur qui laisse  dans son sillage des émotions profondes. 
Ce recueil a obtenu le Goncourt de la nouvelle, un prix largement mérité à mes yeux.

Les gens hantés par un deuil irréparable ne croient plus en l’avenir. Mais bien en l’imagination, d’où naissent les plus folles histoires. Ses histoires à elle, pourtant, n’inventent pas d’autres mondes. Pas d’autres amours non plus. Il leur suffit d’être complices de quelques vies sauvages.

Le billet de Cathulu

vendredi 17 mai 2019

Stéphane Carlier - Le chien de Madame Halberstadt

Éditeur : Le Tripode - Date de parution : Avril 2019 - 174 pages 

J'avoue, je suis faible. Très faible. Prenez la couverture,  ajoutez les avis de Cath et de Cuné  (qui vient de fêter 13 ans de blog, champagne pour elle !) et il ne m'en a pas fallu plus pour que j'ai eu une envie irrépressible de lire ce roman. Voilà, faible un jour, faible toujours.

Baptiste lui s'enfonce. A quarante ans, largué par sa copine, son troisième roman est un cuisant échec. Les ventes qu'il scrute sur Amazon ne décollent pas. La moral au fond des chaussettes, il traîne sa peine dans son appartement. Jusqu'au jour où sa voisine Madame Halberstadt lui demande de garder son chien juste pour quelques jours. Sans trop avoir le choix, il accepte et se voit confier Croquette, un carlin très bien portant. Et comme tous les chiens, il faut le nourrir et le promener.
Croquette s'adapte très bien de la nouvelle situation et la malchance semble enfin quitter Baptiste. Enfin, son roman se vend, son ex-copine se dispute avec son nouvel amoureux. Baptiste respire, reprend confiance en lui et s'autorise à espérer. Hasard, coïncidence? Franchement, un chien ça vous change la vie sauf que Baptiste doit le rendre à sa propriétaire.

Stéphane Carlier mène tambour battant ce roman aigre-doux. C'est frais, pétillant mais aussi  mordant. Tant Les gens sont les gens m'avait laissée dubitative tant j'ai souri et  ri avec cette lecture. Non seulement l'ensemble des personnages est bien croqué mais en plus Les chaussures italiennes d'Henning  Mankell apparaît dans la liste des belles choses rédigée par Baptiste (on ne peut vraiment pas nier qu'il a bon goût).
Une petite friandise nullement réservée à celles et ceux qui ont un compagnon canin, qu'on se le dise.

Elle m’a fait comprendre que j’avais de la chance et a continué : 
- Les règles ont complètement changé. Aujourd’hui, une nana qui ne sait pas qui est Colette, qui est Gide, qui est Gnest, peut écrire un livre dans sa cuisine, le publier sur Internet et en vendre 100 000. Avant, on respectait la grande intelligence. Même ceux qui ne lisaient pas Hugo ou Balzac les admiraient. Aujourd’hui, on ne se donne même plus cette peine. On a pas d’autres aspiration que de prendre des selfies en faisant des duck faces et on le revendique. L’époque valide l'ignorance, légitime la stupidité. Le monde n’a jamais autant ressemblé un tableau de Jérôme Bosch.

mercredi 15 mai 2019

Jane Smiley - Un siècle américain, Tome 3 : Notre âge d'or

Editeur : Rivages - Date de parution : Mars 2019 - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Catherine Chichereau - 615 pages

A l'origine de cette saga qui débute en 1920, le couple de fermiers Langton de l'Iowa a une descendance que l'on a pu découvrir dans les deux tomes précédents. La roue généalogique se poursuit et ici un peu plus de trente années (de 1987 à 2019) sont déclinées.

Tandis que la plupart des membres de la famille ont préféré d'autres domaines d'activité, ceux qui ont repris le flambeau de l'exploitation appliquent des principes de rentabilité  au détriment de l'environnement. Des facteurs sociaux, politiques ou économiques interfèrent ou influencent les destins. Des choix sont opérés, certains sont assumés, d'autres sont regrettés. Et comme dans toutes les familles, les relations entre les membres ne sont pas un long fleuve tranquille surtout quand l'appât du gain et du pouvoir nourrit les ambitions personnelles.
En se calquant sur des grands événements,  l'auteure s'intéresse aux histoires personnelles.  Sans jamais être indigeste ou verser dans la caricature, ce roman dense mais fluide  est fouillé avec des pointes d'humour et d'ironie.  Et tout au long de ces pages, on ressent l'empathie de l'auteure et une impression d'authenticité très forte.

Jane Smiley a su mêler l'intime, le quotidien et les préoccupations de ses personnages qui nous ressemblent ou qui nous semblent familiers pour les ancrer dans l'histoire américaine.  C'est terriblement réussi et si par moments certains aspects politiques ont été un brin trop détaillés pour moi, ce point n'enlève rien au talent de conteuse de Jane Smiley.
Je n'ai pas boudé mon plaisir avec des émotions bien présentes et un intérêt qui n'a pas faibli. Un plaisir de lecture ! 

Pour celles et ceux qui ont peur de se perdre, on ne panique pas car ce dernier tome est agrémenté d'un arbre généalogique complet.

Il comprenait à présent que  qu'un des problème venait des "illions" - lorsqu'on commençait à compter en "illions", l'esprit avait du mal à se retrouver. Quand cet article dans le Post était-il paru  - Riley avait dû le stocker dans son cerveau - , expliquant que la guerre en Irak avait coûté trois billions? C'était l'exemple parfait du problème des "illions", Richie s'était concentré sur les trois, oubliant les billions. Trois, ce n'était pas grand-chose. Ils auraient dû écrire : 3 000 000 000 00. Là, il aurait pris les choses au sérieux.

Sur le blog : Nos premiers jours. Pas de chronique pour Nos révolutions que j'avais dévoré  durant ma pause blogesque.
Le billet de Keisha  qui l'a lu en VO ( chapeau bas )

lundi 13 mai 2019

Armel Job - Une drôle de fille

Éditeur : Robert Laffont - Date de parution : Février 2019 - 276 pages 

Fin des années 50. Le couple Borj tient une boulangerie dans un petit village de Belgique. Un commerce de famille fondé par les parents de Ruben. Gilda devenue son épouse y avait effectué son apprentissage de serveuse. Ils mènent une vie tranquille avec leurs deux enfants jusqu'au jour où la directrice de l’Oeuvre nationale des orphelins de guerre se présente chez eux.  Elle leur demande de prendre en apprentissage une orpheline prénommée Josée. Bien que réticents au départ, ils acceptent.

Josée est âgée de seize ans comme leur fille Astrid et elle pourra délester Gilda de certaines tâches. La jeune fille a perdu a mère durant un bombardement et depuis, elle présente quelques petites séquelles. Rien de bien méchant car selon la directrice,  sa marraine, elle est en bonne santé.
Le décor est planté et très vite, on est piqué de curiosité. Josée est touchante par sa candeur. Une fille un brin naïve, trop gentille et serviable.  Et c'est vrai qu'elle rend bien service. La preuve, Gilda a désormais du temps pour elle. Mais un événement anodin, en apparence, va provoquer bien des remous et révéler des failles profondes. Rumeur, jalousie vont faire surface provoquant l'érosion des apparences. Les personnalités se révèlent, le poids des non-dits craquèlent le vernis dans cette petite ville provinciale aux lendemains de la guerre.

Bien troussé avec un sens de la formulation réjouissant et des personnages bien campés,  les pages de ce roman se tournent toute seules. Armel Job ausculte l'âme humaine avec finesse et restitue une ambiance de façon très convaincante.
Sans prêcher dans un excès de rebondissements, cette lecture maintient une tension jusqu'à la dernière page. C'est efficace et bien tourné ! 

Le billet de Kathel, d'autres liens chez Anne.

Pour vivre sereinement, nous avons besoin d'illusions, au premier rang  desquelles figure l'assurance que nous sommes entourés de l'estime discrète de nos contemporains. Si un incident la met en péril, nous nous convainquons aussitôt qu'il suffit d'un démenti et que tout rentrera dans l'ordre.

mercredi 8 mai 2019

Sharlene Teo - Ponti

Editeur : Buchet-Chastel - Date de parution : Avril 2019 - Traduit de l'anglais (Singapour) par Mathilde Bach - 310 pages 

2003,  Singapour . A  seize ans,  Szu  mal dans sa peu et complexée vit avec sa mère Amisa ancienne star éphémère de films d'horreur et sa tante. Même si elle voue une admiration envers sa mère, cette dernière se confine dans ses souvenirs. Solitaire, Szu se lie d'une amitié très forte et possessive avec Circé.

Voilà un roman choral très dépaysant par le contexte qui nous immerge à Singapour. Il alterne la voix des trois personnages à des époques différentes : le parcours d'Amisa et sa  jeunesse, l'année charnière de 2003 racontée par Szu et une projection en 2020 où l'auteure donne la parole à  Circé. Devenues adultes, les deux amies n'ont plus de contact depuis bien longtemps mais  elle vont être amenées à se revoir.
L'auteure explore avec réalisme  et sans aucune mièvrerie les schémas familiaux défaillants, la maternité, le rejet et la construction identitaire. Avec ces trois personnages féminins bousculés par la vie,  ce sont autant de détails et  de sensations relatés avec subtilité qui mettent en lumière la fragilité des personnages, leur complexité et les points de bascule.

Alors oui ce roman est loin d'être douillet mais les touches de légèreté et d'humour apportées par le prisme de l'adolescence sont souvent drôles ou  percutantes.  Si ce roman est très intéressant  par sa finesse et par l'exploration des relations, la construction un peu inégale et déroutante à mes yeux (pourquoi diable avoir choisi 2020? ) m'a empêchée d'être au diapason sur toute la longueur.
Une lecture dépaysante dont l'écriture accroche et se remarque (à noter l'excellente traduction).

Ce sont toujours les voix qui s'effacent en premier. Juste avant lex expressions. Les tournures de phrases. Ce qui était de l'humour, ce qui était de la sagesse ? On ne choisit pas ce qu'on retient et ce qu'on oublie. Avec le temps, des contre-vérités idiotes finissent même par passer pour certaines et signifiantes.

Les billets plus enthousiastes de CathCuné

lundi 6 mai 2019

Charles Daubas - Cherbourg

Éditeur : Gallimard - Date de parution : Avril 2019 - 184 pages

Il est impossible de ne pas être saisi par l'atmosphère dégagée par les premières pages de ce roman. Depuis la mer, on dirait tout juste une ville. Un rivage étendu de maisons blanches qui écarte les bras pour tenter d'attraper ce qu'il peut de l'océan. Le corps atrophié, à peine ancré à la terre, Cherbourg convoite l’horizon et la mer de ses deux membres immenses, de type de pierre élancées au milieu des flots.
Quand une explosion se produit durant l'été 2012 sur un bout de digue, une cape de silence est déployée. Il faut dire que  les chantiers de l'Arsenal abritent  le démantèlement de certains de sous-marins et qu'un peu plus loin, les drôles d'usines de La Hague traitent des déchets radioactifs.

Mais un adolescent affirme que son copain Paul a disparu lorsque la digue a été avalée par la mer. Pourquoi la mère de Paul ne veut-elle pas porter plainte ? D'où viennent les blocs de béton soudainement émergés?
Très vite déchargée de l'enquête pour cause de secret défense, Frédérique inspectrice de police ne veut pas lâcher le morceau. Officieusement, elle continue ses investigations et tente d'y voir un peu plus clair.

L'ambiance quasi hypnotique, les descriptions si justes et le suspense m'ont harponnée et ce malgré quelques maladresses (notamment dans les dialogues et avec une histoire secondaire mal bricolée).
Amenant des des réflexions sur les activités liées au nucléaire, Charles Daubas insuffle à merveille la vie à cette rade, un personnage à part entière et énigmatique qui dévoile en partie son âme.
Apre et singulier, ce premier roman est prenant et le dénouement en surprendra plus d'un.

Dans ce quotidien trop étriqué pour elle, la rade s'assoupit en attendant que son heure revienne. Depuis elle se berce  en écoutant la musique sourde et engourdissante que font ensemble toutes les guerres, les batailles et les rêves de gloire qui en tapissent le fond.

vendredi 3 mai 2019

Tove Jansson - Fair-play

Éditeur : La Peuplade - Date de parution : Février 2019 - Traduit du suédois par Agneta Ségol - 141 pages 

Habitantes sur une île finlandaise  au large d’Helsinki, Joanna et Mari partagent le grenier aménagé  en atelier de leurs appartements  Toutes les deux sont deux créatrices liées par un amour complice ponctué de promenades, de soirées cinématographiques, d'échanges débordants de vivacité et de tendresse.

Bien qu'âgées, elle ont su préserver un regard curieux tout comme leurs parenthèses de solitude. Toujours promptes à débattre sur différents sujets, l'une et l'autre chérissent leur indépendance et leur liberté. A travers dix-sept chapitres permettant de les découvrir dans leur quotidien, ce sont autant de situations où l' humour espiègle et la lucidité éclairent leurs réflexions.
C'est frais et ça fourmille de petits bonheurs simples, de  compréhension mutuelle et de cette confiance dans l'autre.
Après avoir tourné les dernières pages qui sont d'une belle intensité, le sentiment de bienveillance porté par cet amour perdure.

Sous des aspects faussement légers, ce roman est bien plus profond qu'il n'y paraît.  Il faut juste  se laisser porter par l'écriture de Tove Jansson, accompagner Joanna et Mari, deux femmes attachantes et touchantes, pour recevoir ce qu'elles nous transmettent.  

- On s'en fout des ambitions, dit Mari. Moi, je te parle de l'envie. De ne pas pouvoir s'empêcher de faire une chose.
- S'empêcher de faire quoi ?
- Tu le sais très bien.

Merci à Cath qui m'avait fait découvrir cette auteure avec Le livre d'un été.

mercredi 1 mai 2019

Vita Sackville-West - L'héritier / Une histoire d'amour

Éditeur : Autrement - Date de parution : Mars 2019 - Traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Jean Pavans - 185 pages

A la mort de sa tante Phillidia, Peregrine Chase hérite du domaine de Blackboys. Le timide jeune homme qui occupe un emploi modeste à Londres n'a guère d'attirance pour la campagne anglaise. Cerise sur le gâteau, sa tante a accumulé les dettes. Le notaire chargé de la succession  Mr. Nutley ne lui donne qu'un seul qu'un seul conseil:  tout vendre rapidement lors d' une mise aux enchères.

Si la propriété requiert de nombreux travaux,  le jardin est luxuriant car Miss Phillidia s'en occupait avec amour et dévotion. Venu à Blackboys, Peregrine est mal à l'aise et le notaire s'en délecte.  Le jeune homme se contente de  sa vie routinière et insatisfaisante sur beaucoup de points. Néanmoins,  il veut découvrir le domaine dont il hérite.  Touché par la beauté simple et pure de la nature qu'il découvre, une métamorphose s'opère. L'homme timoré qu'il était devient confiant, audacieux et il envisage sa vie sous un autre jour alors que la vente approche.

Avec finesse, Vita Sackville-West sonde la nature humaine tout comme elle décrit à merveille la fascination magnétique de la nature et la transformation de son personnage. Entre poésie et ironie, ce roman élégant au charme suranné est absolument délicieux.
Seul petit bémol, j'ai trouvé la  fin un peu vite expédiée mais comme l'écriture de Vita Sackville-West m'a charmée,  je compte bien lire d'autres romans de cette auteure.

Il se retourna pour regarder la maison. Un homme au cœur plus léger et au tempérament plus optimiste se fût réjoui de ces vacances forcées, mais Chase n’était ni insouciant ni optimiste. Il considérait la vie avec un sérieux pesant et, plutôt irritable et plein de ressentiment envers cette stérile randonnée, il ruminait les risques probables, et mêmes certains, d'inefficacité de la part de ses subordonnés à Wolverhampton, car il y avait en lui une vieille fille qui ne pouvait supporter l'idée que d'autres personnes intervinssent dans ses affaires. Il se faisait du souci, dans son petit esprit anémique qui était trop limité pour être méprisant, et trop timoré pour être vraiment violent.