mardi 31 mai 2016

Miossec - Mammifères

Le dixième album de mon chouchou Christophe Miossec est sorti le 27 mai dernier ( acheté le jour même) et j'ai pris le temps de l'écouter moult fois avant de vous en parler.


Chaque album de Christophe Miossec a une histoire, Mammifères n'y déroge pas.

 "Ce projet est né au mois de mai 2015 avec la rencontre de Mirabelle, Johann et Léandre. Nous avons formé un "petit ensemble" avec l’idée de pouvoir jouer n’importe où, dans des petits lieux, avec ce désir de vouloir faire du bien, le temps d’un concert. Radical a monté une tournée qui nous a emmenés dans d’anciennes boîtes de nuits, un jardin de cathédrale, devant un musée maritime, dans une coopérative, dans un vignoble, une cour d’école, un musée, une guinguette, sous des chapiteaux, une grange. C’est de là que vient "Mammifères""

Une musique où l'accordéon, le violon s'accordent à  merveille à des rythmes tsiganes. Et c'est beau !
C'est rock ou plus doux et ça vous imprègne jusqu'à l'os.

Christophe Miossec est un chanteur engagé qui parle du social, de ce qui se passe. Homme blessé par la perte d'un ami puis par les attentats terroristes du Bataclan, il a mis des mots pour en parler.  Ce qui donne des chansons  comme La vie vole, Après le bonheur et L'innocence.
Après la sublime chanson Maman de l'album L'étreinte, ici il signe une chanson Papa qui est à pleurer.

Mammifères est un album sublime et touchant !!

Et je remercie toutes celles  qui m'ont signalée les interviews (télé, radio, presse) de Miossec.

* Message pour Christophe Miossec (s'il passe par là ) : on vous attend à Brest dans la salle intimiste du Vauban. Et merci pour la dédicace sur Ici basIci-Même.


Extrait de la chanson Papa




lundi 30 mai 2016

Marie-Hélène Lafon - Histoires


Éditeur : Buchet-Chastel - Date de parution : Octobre 2015 - 314 pages magnifiques !

Vingt nouvelles où l’on retrouve des gens de la campagne pas forcément des gens de la ferme, des villages, la ruralité, des gens du Cantal et ce « pays » avec sa rigueur hivernale mais également sa beauté. Des couples mariés, des personnes seules, des jeunes, des familles : les relations sont décrites avec le mot juste, calibré comme toujours chez Marie-Hélène Lafon. Des vies dures où l’on travaille sans rechigner, où l’on n’a pas le temps de s’apitoyer sur soi, les non-dits également. Apreté des vies où viennent se glisser quelquefois des rêveries, des souvenirs mais aussi quelquefois de la compassion. Le quotidien est raconté avec une richesse de la langue.
Le corps également a son importance. Comme dans le première nouvelle Liturgie qui raconte la toilette du père et de ses filles qui à tour de de rôle lui lavent le dos avec un gant. Pas de dialogues tout est dans les gestes, les regards. Ou encore dans un pensionnat, une religieuse surveille depuis des années les douches des adolescentes, "L’hygiène de la chair n'est rien quand le Verbe est soudé, sali, piétiné". Dans cette nouvelle L’hygiène, les deux dernières pages se lisent presque dans un souffle sur un rythme scandé par les mots de la prière.

Des nouvelles m’ont vrillée le cœur : le suicide de Roland " Peu importe qu'il ait ou non connu l'ardeur des corps, à la sortie d'un bal, sur un chantier, dans une ferme isolée, ou dans son atelier ; peu importe puisqu’il reste de lui qu'une trace de solitude, lisse et infime, à la surface de nos mémoires. ", l’histoire d’Alphonse le simple d’esprit.
D’autres derrière une certaine innocence en apparence comme La communiante révèlent une forme de cruauté. Jeanne l'institutrice, amante d'un prêtre, est d’une beauté à double tranchant.
Une ponctuation qui quelquefois se fait rare pour donner une densité supplémentaire. Et quand l’ironie s’invite, elle précède la noirceur.

La dernière nouvelle Histoires serait à citer entièrement. Marie-Hélène Lafon revient sur son enfance avec l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Mais aussi son rapport à l’écriture : " Il n'est pas plus facile, n'est plus difficile, je le crois aujourd'hui, décrire des nouvelles que des romans ; c'est seulement une autre affaire, en terme de distance et de souffle, d’élan et de tension. (..) Il y a moins de matière, de pâte textuelle à malaxer, à pétrir, à travailler sur un chantier de nouvelles à établi du roman, mais la question de la tension du récit s’y pose en des termes cuisants et cruciaux. En trois pages en dix ou trente, il faut, il faudrait tout donner à voir, à voir et à entendre, à entendre et à attendre, à deviner, humer, sentir, flairer, supposer, espérer, redouter.. Il faut, il faudrait tout ramasser, tout, et tout cracher ; il faut que ça fasse monde, ni plus ni moins qu‘un roman de 1322 pages, que les corps y soient, que la douleur y soit, la couleur, et le temps qui passe, ou ne passe pas, et la joie, et les saisons, et les gestes, le travail, les silences, les cris, la mort, l'amour, et la jubilation d'être, et tous les vertiges, et les arbres, le ciel, le vent. Il faudrait. »"

Un recueil magnifique et l’écriture de Marie-Hélène Lafon est de l’orfèvrerie !

Le billet d'EvaKeisha et Sabine ont lu Album qui comprend également ces nouvelles.

Sur ce blog : Chantiers - Joseph - L'annonce - Les pays  - Traversée

samedi 28 mai 2016

Guomundur Andri Thorsson - La valse de Valeyri

Éditeur: Gallimard - Traduit superbement de l'islandais par Eric Boury - Date de parution : Mai 2016 - 192 pages qui m'ont touchée-coulée.

A Valeyri petit port de pêche d'Islande, la brume tombe doucement en cette fin d’après-midi. Les seize habitants se connaissent tous, ou du moins ils le pensent. En cette journée  du 24 juin, Kata rejoint en vélo la salle où elle va diriger la chorale. C’est ce moment qui sert de point de départ à ces histoires enchevêtrées où l’auteur nous dépeint ces instantanés de vies. Mais pas que. Car l’histoire de chacun est liée à celle des autres. De l’ancien pêcheur au curé qui joue tout ce qu'il possède au poker, du poète au commerçant brouillé avec sa sœur, d’une femme qui s’interroge sur son mon mari, tous ont une histoire présente, passée et quelquefois probable pour l’avenir. Car avec talent et sans que cela choque le lecteur, Guomundur Andri Thorsson introduit des possibilités.
Les récits se déploient avec grâce et poésie. Et la brume est elle-même une voix "Je ne suis qu'une conscience. J'arrive de la mer, je longe la langue de terre, bientôt, j'aurais disparu avec la brume. Je suis la brise d'une fin d'après-midi quand je viens rendre visite aux gens vers quatre heures et demie, puis une heure plus tard, le vent m'emporte vers ce chez-moi, lequel est dans le passé, le révolu". Et au fil des pages, ces vies s'emboîtent révélant la vérité loin des suppositions et des non-dits.
Il y a du Jon Kalman Stefansson dans cet univers où l'on retrouve des questions sur le sens de la vie, sur nos existences et sur les difficultés économiques d'un pays balayé par la crise.

C’est immensément beau et ces portraits dépeints nous révèlent des fissures, des souffrances, des amours impossibles, des rancœurs, des espoirs mais sans jamais verser dans le pessimisme. Les personnages, leurs questionnements ou leurs états d’âme m’ont touchée-coulée.
La superbe traduction d'Eric Boury s’accorde à merveille au rythme et une douce mélancolie nous enveloppe sans nous alourdir.
Un livre hérisson et beaucoup de passages à relire au choix pour la beauté, pour les propos qui sèment des graines de réflexion.  

Il lui arrivait de se dire: Tout cela n'est pas la vie. Ce n'est que l'existence. Nous lions trop intimement notre bonheur à notre réussite, nous lions trop intimement notre réussite à notre confort - et nous lions trop notre confort à notre consommation. 

Il médite sur lui-même et sur ce village tandis que son bateau virevolte en s'engageant dans le chenal - il médite sur la place qu'il occupe au sein du monde. Non seulement la mer vous procure votre subsistance et la compagnie des oiseaux – mais elle vous apporte aussi l'énergie et nourrit votre cerveau. Elle vous offre un silence qui n'est pas qu'un silence, mais une résonance. Vous apporte un calme qui n'est pas immobilité, mais mouvement. Une solitude qui est identité. 

Un village ne saurait se résumer aux vagues, aux professions de ce qui l'habitent, aux hoquets d'un bateau à moteur ou aux chien qui se couchent, les pattes allongées au soleil. Il ne se résume pas à l'odeur de la mer, du mazout, du guano, de la vie et de la mort - à tout le poisson qu'on y pêche et aux noms étrangers de ses maisons. Il est également un récit qui se déploie en silence dans les rues et conserve l'image initiale des lieux qui peut un peu prennent forme et se modifie au fil des ans et des siècles. 

Certaines histoires ne sont jamais dites. Profondément ensevelies quelque part, elles influent sur l'atmosphère du village, le parent d'une couleur invisible, et forment un murmure inaudible au creux du vent.

jeudi 26 mai 2016

Franck Bouysse - Plateau

Éditeur : Manufacture de livres - Date de parution : Janvier 2016 - 304 pages et un avis mitigé.

Plateau, un hameau de Corrèze aves ses quelques habitants. Virgile et Judith des paysans à l’orée des quatre-vingt ans qui ont élevé Georges le neveu de Vigile. Orphelin depuis l’âge de cinq ans, il préfère dormir dans une caravane que dans l’ancienne maison de ses parents. Il travaille à la ferme alors qu’il a toujours voulu voyager. Virgile a des sérieux problèmes de vue mais il les garde pour lui, il veille sur Judith atteinte d'Alzheimer. Depuis six ans, Karl un ancien cheminot est venu s’installer au Plateau sans être de la région. Peu bavard sur son passé aimant la boxe et très mystique. Avec Virgile, ils sont devenus amis et chassent ensemble. Cory la nièce de Judith battue par « l’homme-torture » vient se réfugier au Plateau. Et enfin une autre personne armée d’un fusil surveille ce petit monde en se cachant dans les bois alentours.

On retrouve ici les ingrédients de Grossir le ciel : un suspense, une ambiance , des taiseux, le monde rural, un hameau isolé, la nature. Mais cette fois-ci au fil des pages, j’ai trouvé que ce livre perdait en intensité. L’écriture sonne moins juste, paraît plus travaillée (certaines métaphores m’ont laissée perplexe) et il y a des longueurs inutiles. Et un point m’a vraiment gênée : comment Cory peut-elle nouer si rapidement avec George une relation au vu de qu’elle a subi?
Beaucoup de thèmes sont abordés dans ce roman : la maladie, le secrets et les non-dits, la souffrance physique et morale, la quête de la rédemption et la transmission.

Un roman noir strié de zones d’ombres comme certaines âmes tourmentées de ce livre. Et malgré ce que j’ai énuméré avant, il m’a quand même remuée car le dénouement est une claque.

Les humains, c'est un autre gibier qu'il n'est pas forcément utile de tuer. Détruire peut suffire. Humilier, aussi. 

Les billets  d'Emma, Miscellanées  (d'autres billets?)

mercredi 25 mai 2016

Margaret Drabble - Une journée dans la vie d'une femme souriante

Éditeur : Le Livre de Poche - Traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Claire Desserey - Date de parution : Mars 2016 - 349 pages et treize nouvelles épatantes !

Ces nouvelles écrites entre 1966 et 2000 par Margaret Drabble sont un petit bijou ! Avec finesse, elle nous dépeint des femmes du quotidien. Adolescente, épouse, mère, veuve : elles traversent le temps . Des nouvelles comme des instantanés de l’existence, de situations. Femmes aimantes mais souvent mal aimées, comme dans "La guerre en cadeau" où une mère porte à son fils un amour absolu. Les hommes (maris, amants) ne sont pas tendres avec elles et pourtant, malgré tout, elles composent de leur mieux. Et Margaret Drabble avec un sens aigu de l’observation mais aussi de l’humour parvient à nous couper le souffle, à nous remplir les yeux  de poissons d'eau, ou à nous serrer le  cœur  tant ces nouvelles sont de qualité exceptionnelle et si justes! Que ce soit un voyage de noces, une actrice qui tombe sous le charme d’un manoir, une professeure en pèlerinage sur les traces de son poète favori, une femme qui retrouve son ancien amant dans un café, un voyage en train : toutes ces femmes sont finement décrites avec leurs états d’âme, leurs envies et leurs regrets. La nouvelle "Une journée dans la vie d'une femme souriante" n’a pas pris une ride.
Des nouvelles absolument épatantes ! 

Elle eut à nouveau une pensée pour ses enfants; elle avait tellement été persuadée qu'elle serait un jour assise dans une pièce comme celle-ci, avec d'autres parents, et qu'elle écouterait quelqu'un faire des discours ennuyeux et stupides et distribuer des prix à ses trois enfants. Elle avait tellement espéré de la vie. Elle s'était attendue à les voir grandir, à voir leurs jambes s'allonger, à connaître leur visage d'adulte, leurs enfants. Il était impossible qu'un accident comme la mort puisse les séparer d'elle. Et pourtant, ce sont des choses qui arrivent, tous les jours.

Le billet de Cathulu

Lu de cette autrice : Un bébé d'or pur

mardi 24 mai 2016

Les 40 ans de Dialogues : un très bel anniversaire

Il était une fois un frère et une soeur qui avaient envie d’ouvrir une librairie à Brest. Quarante plus tard, la petite librairie d’hier est aujourd’hui la 3ème librairie indépendante de France. Et hier, Dialogues a tenu à inviter ses clients et de nombreux auteurs à fêter cet événement.

J’ai assisté à un débat passionnant sur la librairie de demain où Hervé Hamon, Michel Serres, Charles Kermarec (cofondateur de la librairie), Caroline (libraire) ont évoqué plusieurs sujets : l’avenir des libraires indépendantes, le numérique, la littérature… Et durant lequel les lecteurs pouvaient intervenir (et c’est ce que j’ai fait).

Ensuite place au cocktail où j’ai pu discuter avec plein de monde.

Je ne suis pas repartie les mains vides car Dialogues a édité un très beau livre où des auteurs (Philippe Claudel, Eric Fottorino, Fatou Diome, Hervé Bellec et bien d'autres) des libraires et quelques lecteurs se sont prêtés au jeu de se définir et de donner leurs 40 livres. Et je suis très touchée ( et flattée aussi) car Dialogues m’a demandée de participer à cet ouvrage qui regroupe 57 listes en tout.


C’était une soirée unique, mémorable, merci à Dialogues de tout coeur (et à Charles Kermarec, Marion, Caroline, Arnaud, Julien, Delphine, Karine, Mathilde, Annaïk, Laure-Anne, Laurence, Adeline, Martine, Françoise,  Mickaël du rayon BD qui garde espoir de me voir un jour dans son rayon,  Gaël ainsi que toutes les autres personnes de Dialogues que je connais de vue)!

On remet ça dans 10 ans? 

Merci à Nicolas et à Caroline pour ces photos prises hier soir.

Vous trouverez ma liste des 40 dans les commentaires de ce billet.









Eddie Joyce - Les petites consolations

Éditeur : Rivages - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Madeleine Nasalik - Date de parution : Mai 2016 - 476 pages addictives ! 

Les Amandola une famille italo-américaine est marquée par le 11 septembre 2001. Bobby un des trois fils pompier a été porté disparu. Dix ans plus tard, sa veuve Tina mère de deux enfants s’autorise à aimer quelqu’un d’autre. Comment vont réagir Gail et Michel les parents de Bobby et ses deux frères ?

Eddie Joyce nous fait entrer dans l’intimité de chacun des membres de la famille : comment ils ont vécu le deuil et comment ils vivent à présent. Gail entretient en permanence le souvenir de son fils cadet. Chaque jour, elle passe dans son ancienne chambre. Michael ancien pompier se culpabilise d’avoir donné envie à son fils de suivre sa trace. Et s'ils forment un couple solide, ils ont connu des tempêtes bien avant la mort de Bobby.
Tina ne sait pas comment annoncer sa relation toute récente. Elle appréhende et craint la réaction de chacun. Comme celle d’être heureuse à nouveau ou de ne pas y réussir. Car elle et Bobby se connaissaient depuis le lycée. Peter le frère aîné de Bobby consacre tout son temps à son travail d'avocat, il assiste à l'effondrement de son mariage et de sa carrière. Ses parents ne sont pas au courant car entre lui et sa mère, la communication a toujours été difficile. Dès le lycée Franky lui s’est très vite attiré des ennuis . L’alcool, la drogue et la mort de son frère lui a fait perdre tous ses repère car il  le vénérait. En nous retraçant l'histoire des parents de Gail de souche irlandaise et ceux de Michael des italiens venus s’installer aux Etats-Unis, on remonte d'une génération.
Et l'on découvre ce qu’ils aspiraient pour leurs enfants, leurs espoirs et leurs désillusions.

Un premier roman complètement addictif qui nous plonge au cœur de cette famille ou la psychologie de chacun des personnages est détaillée, creusée tout comme les relations sans aucun pathos mais avec une réelle empathie et de l'humour.
J’ai juste un bémol  : certains passages sont moins réussis avec quelques petites longueurs.
Mais j'ai vibré,  j'ai aimé chacun d'eux avec leurs qualités et défauts et en particulier Gail et Tina. Roman également sur les origines où tout est très juste !

Mais cela ne se passe pas ainsi. La douleur présente plusieurs dimensions, une certaine densité. Plusieurs visages, plusieurs facettes. Elle vous heurte chaque jour sous un angle différent. Elle mérite notre respect, à bien des égards. On doit porter le deuil de tout : des défauts comme des qualités, des mauvais moments comme des bons. Il faut retourner le moindre caillou et accueillir à bras ouverts les souffrances qui s'y tapissent. C'est à cela que servaient les histoires qui parlaient de Bobby. Ensemble, Tina et n'ont négligé aucun caillou.

- Tu es italien par le sang. Moi, par la géographie. 
 Elle regarde la colère de son fils s'effriter. Il trempe un morceau de toast dans le jaune de son oeuf. 
- Italienne par la géographie ? Elle est pas mal, celle-là. Ça fait combien de temps que tu la gardais au chaud ? 
 - Quelques années, j'attendais le bon moment. 
 - Bien joué. 
 Il rit, elle sourit. Elle boit son café. Elle devrait jeter l'éponge, ne pas gâcher cette bonne ambiance, finir sur cette note. Mais l'intransigeance de Peter l'exaspère. Sa vie toute entière est une façon de dire qu'il la rejette, qu'il rejette les siens, qu'il rejette la façon dont il a été élevé. Elle est perdue.

samedi 21 mai 2016

Jean-Luc Seigle - Excusez-moi pour la poussière

Editeur : Flammarion - Date de parution : Janvier 2016 - 88 pages et un régal !

Cette pièce de théâtre écrite par Jean-Luc Seigle (du théâtre ? Oui et j’avoue n’en avoir pas lu depuis le temps du collège/lycée) met en scène Dorothy Parker. Et Jean-Luc Seigle se glisse dans sa peau avec brio ! En huit tableaux allant de 1950 à 1962, Dorothy Parker sous la plume de l’auteur revit et c’est un pur plaisir. Dans sa chambre de l'hôtel Volney, le plus souvent un verre de whisky à la main, au téléphone soit son ex-mari ( qu’elle épousera une seconde fois et dont elle divorcera encore) soit avec une de ses amies ou encore avec Charly le concierge de l’immeuble, j’ai retrouvé son humour caustique, grinçant, acéré que j’avais découvert avec Hymnes à la haine puis dans Mauvaise journée demain.

Car Dorothy Parker dit  ce qu’elle pense. Des femmes d'intérieur au monde d'Hollywood, de son incapacité à écrire à un roman en passant par  la société américaine, elle n’épargne personne. Mais cette pièce permet également d'apprendre des éléments de la vie de Dorothy Parker que j’ignorais. Par exemple, ayant  pris la défense de deux personnes, elle sera victime du maccarthysme et taxée d’être communiste, et bien d'autres choses.

Jean-Luc Seigle rend un bel hommage à cette nouvelliste et scénariste. Une femme engagée , fine observatrice à la personnalité incroyable mais également fragile. Un régal !
Cette pièce été jouée au théâtre Le Lucernaire de janvier à mars 2016.

Ca prend juste du temps d'être méchant. Je dis juste la vérité, toute la vérité, et il arrive quelque fois que la vérité soit méchante.

Et dire que ce qui m'attend c'est une vraie vie de femme ...d'intérieur. Pourquoi nous les femmes finissons toujours par croire qu'une maison, un bout de jardin, une machine à laver, un frigo, un mari, un enfant et un chien c'est la panacée? 

Écrire un roman sur les acteurs et Hollywood ? Tu n'y penses pas, Misty. Il n'y a que les gens apparemment ordinaire qui sont des sujets intéressants.

Lu de Jean-Luc Seigle :   Je vous écris dans le noir - En vieillissant les hommes pleurent

Le billet de l'Irrégulière
Merci Delphine (Dialogues) !

vendredi 20 mai 2016

Tracy Chevalier - A l'orée du verger

Éditeur : Quai Voltaire - Traduit de l'anglais par Anouk Neuhoff - Date de parution : Mai 2016 - 320 pages.

1838, Etats-unis. La famille Goodenough s’installe dans l’Ohio après voir quitté le Connecticut. Back Swamp leur offre des terres marécageuses difficilement cultivables. Le père James a emporté avec lui des graines de pommes originaires d’Angleterre. Il décide de les planter pour obtenir ces fruits à la saveur sucrée et ensuite de les greffer sur d'autres pommiers. Sadie son épouse ne jure que par les pomme acides celles qui permettent d’obtenir de l’eau-de-vie. Depuis que la fièvre a emporté cinq sur de leurs enfants, elle boit de plus en plus. Une femme dure, sans coeur même avec ses enfants toujours en vie. Robert le cadet aide son père et comme lui a l’amour des arbres.

Une tragédie oblige  Robert à partir. Il décide de tenter sa chance vers l’Ouest et après avoir occupé différents métiers,  il rencontre un botaniste anglais en Californie. Ce dernier prélève des graines de séquoias géants et des jeunes plants destinés aux jardins anglais d’hommes fortunés. Robert travaille désormais pour le botaniste. Nous sommes alors 1956 et n’ayant jamais reçu de réponse à ses lettres, il pense que toute sa famille est décédée. Mais Martha toujours vivante a traversé l’Amérique et le retrouve.

Tant j’avais vibré d’émotions à la lecture d'Une jeune fille à la perle et de Prodigieuses créatures, tant je suis restée assez indifférente à ce roman. Après un début assez lent, mon intérêt s’est réveillé avec Robert. Mais malheureusement je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages. Les émotions ont été absentes et peu à peu, je me suis détachée de l’histoire. Un autre point : la présentation de l’éditeur laisse penser que nous allons découvrir le trajet de Martha pour rejoindre Robert. Ce qui n’est pas le cas car elle le relate à son frère de façon assez brève.
En conclusion, je suis complètement passée à côté de ce roman incluant des faits historiques réels ( et pourtant j'aurais voulu aimer ce livre).

Les billets de Gwénaëlle, Keisha,Séverine

jeudi 19 mai 2016

Don Carpenter - Un dernier verre au bar sans nom

Éditeur : Cambourakis - Edité par Jonatan Lethem - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy - Date de parution : Mars 2016 - 382 pages  addictives et brillantes !

Avant de vous parler du  contenu de ce roman, je veux d'abord vous raconter son histoire. Ce roman écrit par Don Carpenter a été découvert bien après le décès de l'auteur.  Bien qu’il soit inachevé, Jonathan Lethem admirateur passionné s’y est attelé car "la voix était là, l’architecture solide, les intentions astucieuses de Carpenter abouties. Savoir que le livre était bien là, que Carpenter l’avait mené à son terme, qu'il soit publié ou non, rendait le monde plus vaste, pas énormément, mais de manière décisive." Et comme il le dit dans la postface, il a principalement "élagué ». "Et en tout, ce livre ne doit pas contenir plus cinq ou de huit pages" de sa main.

Fin des années 50. Portland. Charlie ancien combattant de la guerre de Corée a débuté un "grand " livre sur la guerre. A la fac, il rencontre Jaime âgée de dix-neuf ans dont le père est journaliste mais aussi alcoolique. Elle tombe amoureuse de Charlie que les professeurs jugent brillants. Elle aussi a l’ambition de devenir écrivain. Cette fille de la classe moyenne voit son monde s’écrouler à la mort (peu glorieuse) de son père. Dick a une une de ses nouvelle publiée dans Playboy alors que Stan petit cambrioleur se met à écrire en prison. Jaime enceinte, Charlie et elle partent en Oregon où il a décroché un boulot d’enseignant à la fac.

Ils sont tous amis et rêvent de dérocher le sésame de l’écrivain. De Portland à San Francisco en passant par Hollywood, entre fêtes, alcool, gueules de bois, désillusions, espoirs et compromis, c’est une immersion globale. Se frayer un chemin, se faite publier, écrire pour le cinéma, renoncer à ses ambitions  : dans cette Amérique post "Beat Generation" chacun d'entre eux tente de réaliser son rêve.
Avec réalisme et sans concession, Don Carpenter dépeint ces parcours sur plus d'une dizaine d'années qui se séparent, se croisent, se retrouvent où l’amitié et l’amour sont égratignés. Des personnages habités par l'écriture, attachants, humains avec des failles.
C‘est bluffant et ce roman est complètement addictif. Que ça soit l‘atmosphère d’un bar ou les états d’âme des personnages, tout est parfaitement réussi !
Un livre brillant servi par une excellente traduction !

On ne peut pas consacrer dix ans de sa vie à écrire un roman sans y laisser une grande part de soi. Chaque livre est comme un enfant, et pas que d'un point du vue métaphorique, car dans votre cœur, les malheurs de votre enfant vous font terriblement souffrir.

Le problème quand on a appris ses manières dans les romans de gare, c'est qu'ils vous fournissent les mauvaises lignes de dialogue. Stan était persuadé d'avoir besoin d'une bonne réplique. Parce que dans ces circonstances, dire la vérité ne marcherait pas. "Alors voilà, euh, je suis écrivain, je remporte un joli succès, et je suis venu à Hollywood pour travailler dans le cinéma." C'est ça, ducon. Comme les dix derniers mecs qui ont débité cette phrase. 

Le chemin fut parsemé d'échecs, bien sûr, mais très vite, il prit l'habitude de mémoriser des chapitres entiers. Il ne savait pas comment cela fonctionnait mais ça fonctionnait. Ce n'était pas dans le plus dur, non. La construction des scènes non plus. Il voulait que les choses soient aussi cinématographiques que possible parce que cela facilitait la mémorisation, si bien qu'il avait monté chaque scène autour d'un élément concret, une chaussure, une vitre, n'importe quoi pour ne pas perdre de vue la scène. Il opéra de la même manière avec les personnages. Chacun d'eux possédait une caractéristique visible pour que Stan se souvienne de qui il ou elle était, cheveux qui rebiquent par derrière, un fumeur de cigares, un autre qui tire sur son oreille gauche quand il est nerveux. Stan avait tout emprunté à des gens qu'il avait connu. La mémorisation n'était qu'une affaire de ruse, se dit-il.


Lu de cet auteur : La promo 49 -  Sale temps pour les braves

mardi 17 mai 2016

Virginie Carton - La veillée

Éditeur : Stock - Date de parution : Mars 2016 - 219 pages justes et touchantes. 

Victor le père de Sébastien vient de mourir. Habitant en Italie avec femme et enfants, il arrive trop tard. Il appelle Marie sa fidèle amie depuis l’enfance. Le corps de Victor repose dans la maison familiale. La nuit arrive au coeur de l’hiver. La mère de Sébastien va dormir chez une de se filles mais laisser le corps de Victor seul la dérange. Sébastien accompagné de Marie va veiller le corps même si « la mort c’est tellement intime ». L’un comme l’autre ne savent pas exactement que faire. Il puis il y a la mort. Mais cette nuit là va leur permettre de parler de bien des choses : la perte du parent et comment on la vit en tant qu’enfant devenu adulte (à quarante ans) et de découvrir un pan de la vie de Victor qu’il n’avait jamais évoqué. Sébastien et Marie, c’est une longue histoire d’amitié qui a survécu à la distance et aux aléas de la vie. Et cette veillée funèbre sera encline aux confidences mais réveillera également un rêve enfoui.

Jamais plombant, avec de l’humour et beaucoup de sensibilité, Virginie Carton fait mouche.
Un roman qui sonne juste sur les relations parents-enfants, sur la mort, sur l’amitié et sur les vies que l’on se construit. Ce livre m’a vraiment touchée et chacun y puisera forcément quelque chose. 

Ce que je voulais juste te dire, c’est que je crois que personne ne peut rien savoir du bonheur des autres.

Les billets de Cathulu, Nadège

dimanche 15 mai 2016

Fabienne Betting - Bons baisers de Mesménie

Éditeur : Autrement - Date de parution : Mai 2016 - 394 pages pleines de punch ! 

Tandis que sa compagne Sandrine est secrétaire médicale, Thomas après avoir suivi des études de lettres à la Sorbonne  végète dans son emploi au MacDo. Alors que Sandrine le pousse dans ses recherches d’emplo, il est sans motivation réelle pour trouver autre chose . Tout change quand il lit une annonce où on l’on cherche un traducteur pour « le mesmène vers le français ». La Mesménie ( "petit territoire nordique, pustule marécageuse dans la mer balte" dixit Frédérick Gersal journaliste à Télématin) est sa marotte bien qu’il n’y ait jamais mis pieds mais il a appris cette langue lors de ses études (et était tombé également éperdument de sa professeur).
Il répond à l'annonce, décroche le job, se lance dans une traduction approximative du roman (ses connaissances ne sont plus ce qu’elles étaient) et quitte son boulot. Chose incroyable : le roman fait un tabac en France et Thomas est indiqué comme auteur et traducteur du livre. S’en suivent un succès controversé, un voyage en Mesménie et bien d'autres surprises.

Fabienne Betting nous décrit la traduction du roman et c’est un pur plaisir !  Malgré toutes ses bonnes intentions "avoir le sens de la nuance, de la cadence, trouver les subtilités qui permettent de rendre dans sa langue les particularités de la langue d’origine", Thomas massacre le roman originel. La suite est sans temps mort (sauf une petite baisse qui est vite oubliée et c’est reparti).
C'est frais, dynamique, on sourit et on rigole. Cerise sur le gâteau : l’observation de Thomas est très, très bien rendue comme celle des autres personnages.
S'il comporte quelques petits défauts, ce serait vraiment dommage de passer à coté de ce premier roman sur la traduction et sur le monde de l'édition ! 

Les billets tentateurs de Cathulu, Cuné

vendredi 13 mai 2016

Jonathan Franzen - Purity

Editeur : Editions de l'Olivier - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis - Date de parution : Mai 2016 - 744 pages qu'on ne voit pas défiler.

Elevée par une mère hippie et ultra-possessive, avec un prêt bancaire non négligeable (130 000 dollars)  à rembourser pour ses études, Purity Tyler appelée communément Pip travaille dans un call center. Assez solitaire,  elle loge dans une espèce de squat. Pip ne connaît pas l’identité de son père et sur ce point sa mère ne veut rien lui dire sous prétexte de la protéger. Pourtant, il pourrait peut-être l’aider financièrement. Au squat, elle rencontre Annagret en charge de recruter des stagiaires pour la société Sunlight Project (une sorte de WikiLeaks) basée en Bolivie dirigée par le charismatique et puissant Andraas Wolf. Connu, détesté ou admiré, il ne laisse personne indifférent car il divulgue sur Internet des informations cachées à la manière de pavés dans la mare grâce à des hackers. Même si elle manque de confiance en elle, Pip décroche un stage rémunéré chez Sunlight Project.  Et elle se dit que peut-être qu’Andreas Wolf lui rendra service et retrouvera son père.

Puis,  Jonthan Franzen nous fait remonter le temps et nous immerge dans la RDA où Andreas Wolf a vécu avant de venir s’installer en Amérique. Si désormais il veut que tout soit transparent, l’ère de la vérité, il a un secret bien embarrassant. On retrouve ensuite Pip à Denver où elle travaille pour le journaliste d’investigation Tom Aberant. Il est en couple (d’une certaine façon) avec Leila, journaliste également et tous deux traversent une crise (ils sont doués dans l’art de l’auto-culpabilisation).

A la manière d’un puzzle qui se met en place, on découvre les relations qui existent entre eux tous. Les mensonges, la manipulation, le rôle des mères dans l’éducation des enfants, la corruption, Internet, l'information et bien d’autres thèmes thèmes alimentent ce roman foisonnant, dense et sans temps mort. Pip est attachante, elle a du caractère et réagit souvent au quart de tour. De l'humour, de la dérision également et on ne voit pas les pages défiler car la construction est diablement efficace. Un roman qui a tout bon ? Presque car quelques pages (en trop)  auraient pu être évitées sur des histoires secondaires.
J'ai été ferrée sur toute la ligne par ce roman efficace et intelligent !

Le père d'Andreas était le deuxième plus jeune membre du Parti jamais nommé au comité central, et l'exercer la fonction la plus créative de la République. En tant que premier économiste de l'État, il avait pour mission de manipuler les chiffres avec systématisme, de démontrer des augmentation de productivité là où il n'y en avait pas, d'équilibrer un budget qui chaque année s'éloignait un peu plus de la réalité, d'ajuster les taux de change officiel pour maximiser l'impact budgétaire de telle ou telle devise forte que la République parvenait à carotter ou à extorquer, de gonfler les quelques succès de l'économie et de trouver des excuses optimistes à ses nombreux échecs. Les hauts dirigeants du Parti pouvaient faire semblant de ne rien comprendre à ses chiffres ou les considérer avec cynisme, tandis que lui-même devait croire à l'histoire qu'ils racontaient. Cela demandait de la conviction politique, de l'autopersuasion, voire, et c'était peut-être le principal, de l'auto-apitoiement.

Andreas avait le don - peut-être le plus grand qu’il possédait - de découvrir des niches dans les régimes totalitaires. La Stasi avait été le meilleur ami qu’il ait jamais eu - jusqu’à ce qu’il rencontre Internet.

Les lanceurs d'alerte ne font que balancer des informations. Il faut un journaliste pour vérifier, condenser et contextualiser ces informations. Nous n'avons peut-être pas toujours les meilleurs intentions du monde, mais au moins, nous nous investissons un peu dans la civilisation. Nous sommes des adultes qui nous efforçons de communiquer avec d'autres adultes. Les lanceurs d'alerte ressemblent plus à des sauvages. (..) Filtrer n'est pas tromper : c'est être civilisé.


Le billet de Gwénaëlle (qui l'a lu en VO)
Lu de cet auteur : Freedom

jeudi 12 mai 2016

Emmanuel Régniez - Notre Château

Editeur : Le Tripode - Date de parution : Janvier 2016 - 141 pages

Octave et Véra vivent reclus dans leur maison familiale depuis le décès de leurs parents. Depuis 20 ans, ils mènent cette vie à l’écart du monde « nous ne fréquentons personne, ne parlons à personne et vivons tous les deux, rien que tous les deux dans Notre Château ». Ils dorment ensemble, Octave le narrateur parle d’eux comme un couple. Et puis il y a les souvenirs des parents aimants, des souvenirs heureux.
Tous les jeudis, Octave se rend chez le libraire car le frère et la sœur sont des lecteurs insatiables. Mais ce jeudi à 31 mars à 14h32, il voit Véra « dans le bus n°39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines, en passant par l’Hôtel de ville ». Or Vera ne prend jamais le bus et ne va jamais en ville. Elle lui dit que non, elle n’était pas dans ce bus et lui répond qu’il se trompe. D’ailleurs ce n’est pas ce bus qui dessert la Cité des 3 Fontaines là où ils habitaient avant. Il y a bien longtemps avec leurs parents et avant l’accident mortel.
Et à partir de ce jeudi 31 mars tout se dérègle avec d’autres incidents comme une cigarette trouvée allumée dans un cendrier alors qu’aucun des deux ne fume.

L’auteur crée une atmosphère dérangeante et magnétique. Mais très, très vite les répétitions qui servent à créer cette ambiance m’ont lassée tout comme l’histoire (même si j'ai deviné le fin mot de l’histoire, des questions restent sans réponse). De plus, je n’ai pas spécialement adhéré à  l'écriture de l’auteur malgré un beau passage concernant le rapport aux livres.

Après avoir lu un avis élogieux sur ce livre puis un autre,  je suis d’autant plus frustrée d’être passée à côté de cette lecture qui visiblement n’était pour moi. Dommage.

Les avis de Charlotte, Framboise, Nicole

mardi 10 mai 2016

Laura Barnett - Quoi qu'il arrive

Editeur : Les escales - Traduit de l'anglais par Stéphane Roque- Date de parution : Avril 2016 - 457 pages et une jolie réussite !

1958, Eva dix-neuf ans et étudiante de Cambridge a un petit ami David dont le nom commence à circuler dans le monde du théâtre. Alors qu’elle rend à vélo en cours, elle est obligée de s’arrêter. Jim étudiant en droit mais passionné de peinture vient l’aider. A partir de ce moment là, Laura Barnett nous offre trois versions possibles de l’histoire  de la vie d’Eva (d’ailleurs, est-ce un clou rouillé ou alors un chien qui ont obligé Eva à s’arrêter). La suite du récit alterne sur les années qui vont suivre jusqu’en 2014 les différentes versions où chaque choix, chaque décision aura des conséquences dans sa vie de couple et dans son travail. Et certains événements se produiront forcément dans chacune des trois versions.
Un livre où l’art, la création artistique et la place des femmes ont la part belle car Eva a l'ambition d'écrire. Ce premier roman à la construction originale est parfaitement maîtrisé.

Une lecture qui nous interroge sur nos choix et leurs conséquences avec comme  de ne pas regarder en arrière les occasions manquées.
Pour un premier roman,  avec des personnages profondément humains et creusés, Laura Barnett  fait preuve d’audace et j’aime ça ! Une jolie réussite !

Cathulu et l'Irrégulière ont également aimé , Sylire est moins enthousiaste.

dimanche 8 mai 2016

Laurent Bénégui - Naissance d'un père

Éditeur : Julliard - Date de parution : Février 2016 - 225 pages à lire ! 

Romain va devenir père pour la première fois. Sa compagne Louise est enceinte de 8 mois et demi et pourtant il ne s’imagine dans ce rôle. Pire, il ne ressent rien pour cet enfant : "Comment peut-on aimer une femme à ce point et pas l'enfant qu'elle porte? Souffrir si rapidement de son absence mais se sentir étranger à la vie qui s'est logée en elle?".

Ca avait mal débuté entre ce roman et moi. Je m’explique : une tempête se déroule et Romain, chauffeur de taxi, à bord de sa voiture subit et voit des catastrophes qui s’enchaînent. L'ensemble est digne d’un film d’action et n'en finit plus. Bref, j'ai reposé ce livre mais grâce au billet de Philisine ( lequel renvoie à plein d'autres liens) j'ai eu envie de lui donner une seconde chance et j'ai bien fait.
Donc, les éléments naturel sont déchaînés et c’est à ce moment que la petite Alessia décide de venir au monde. Louise est à la clinique où tout est un peu sens dessus dessous et Romain parvient à la rejoindre. Une autre femme va donner naissance elle-aussi pour la quatrième fois mais son mari n’est pas là.
Très vite, on en apprend plus sur Romain et Louise et je n'en parlerai pas car ce serait déflorer une partie de l'histoire.

Est-on père par le sang, par les sentiments, par le nom que l'on transmet ? Les réponses viendront au fil des pages avec des émotions, des sourires, des doutes, des questionnements,  des passages très beaux et d’autres qui font vraiment mal ("Ce n'est pas facile de faire le tri dans sa douleur"). Si dans ce roman, l’auteur explore le thème de la paternité (dans tous le sens du terme avec ce que ça implique mais également sur le plan émotionnel), ce que vit la mère n’est pas oublié.

Malgré un début peu prometteur et quelques petites maladresses, ce livre m’a plus que touchée et je le conseille ! 

vendredi 6 mai 2016

Anne Collongues - Ce qui nous sépare

Éditeur: Actes Sud - Date de parution : Mars 2016 - 176 pages et un premier roman à découvrir ! 

"C'est toujours un mystère, la vie des autres" et peut-être encore plus dans un wagon de RER. Un soir de février, ils sont plusieurs à monter dans ce wagon à Paris direction la banlieue. Encore un ou deux arrêts et ils sont sept.
Ils ne se connaissent pas, vont s'asseoir le temps du trajet face à face ou côte à côte. Chacun peut laisser son imaginaire "construire" l'autre d'après son apparence ou son visage ( "le fauteuil rend spectateur") . Certains se prêtent à ce jeu, Marie dans son manteau rouge essoufflée après avoir couru pour ne pas rater le RER et s'endort.
Regarder à travers la vitre et c'est paysage triste et gris mais quelquefois ce dernier fait place aux pensées intérieures : à la journée qui vient de de se passer ou à ce qui les attend ensuite. Personne ne se parle, juste des regards à la dérobée et chacun est perdu ou plutôt plongé dans ses propres pensées. Ils sont ensemble dans ce wagon mais seuls.

Le temps du trajet, Anne Collongues compose leurs vies et on les découvre petit à petit via leurs pensées intérieures.
Marie, Laura, Alain, Cigarette, Chérif, Liad, Franck tous ont un passé bien attendu. Et des attentes mais aussi des désillusions, des regrets et pour certains des espoirs. Durant ce transport et de façon introspective, certains prendront des décisions avec des impacts sur le futur, d'autres regarderont leur vies telles qu'elles sont et y introduiront le "et si".
Des voyageurs anonymes comme tant d'autres avec tout ce qui les séparent et la solitude malgré la présence des autres.

Avec finesse, Anne Collongues les rend uniques avec pudeur et bienveillance et on s'attache à chacun d'eux. Et quand le RER arrive à destination, on n'a qu'un seul regret celui de les quitter.
Un premier roman à la mélancolie douce (sans être pesante ou gluante) où l'on se retrouve par ricochets dans ces vies. Car ce qui nous sépare est ce qui nous unit tous autant que nous sommes. 

" Des déceptions, il y en a toujours, personne ne vit sans espoir même inconscient"

Les billets de Charlotte, Nicole G., Saxaoul

mercredi 4 mai 2016

Marie-Sabine Roger - Dans les prairies étoilées

Editeur : Le Rouergue - Date de parution : Mai 2016 - 302 pages et un livre-hérisson !

Heureux en amour depuis quinze ans, Merlin et Prune un couple de quinquagénaires cèdent au charme d’une maison en campagne avec quelques travaux à faire. Merlin est auteur à succès d’une série BD Wild Oregon (« C’est une utopie maussade, ou une dystopie joyeuse , selon que l’on voit le verre à moitié vide ou plein ( « half full or half empty », pour mes dix lecteurs anglophones). Un univers totalement déjanté, entre le western traditionnel et la fantasy la plus pure, dans lequel mon justicier, Jim Oregon, poursuit inlassablement les méchants de tous bords, dans des histoires au cours desquelles le burlesque se mêle au polar noir, sur fonds de science-fiction un poil écologique ») . Il est également aquarelliste pour La Grande encyclopédie des Oiseaux d’Europe et du fait un peu spécialiste de ces animaux.
Tout va pour le mieux mais Laurent le grand ami de Merlin décède. Une amitié vieille de vingt ans qui lui a permis de rencontrer Prune et surtout Merlin s’est inspiré de Laurent pour son personnage principal de sa BD  Jim Oregon. « Je venais de perdre à la fois mon ami le plus proche, le principal héros de mon univers, et mon fan de toujours. Le deuil pèserait lourd. Et je ne l’acceptais pas ».

Comment poursuivre Wild Oregon alors que Laurent n’est plus là ? Et quand Merlin découvre les deux dernières volontés de Laurent tout se complique sérieusement pour lui. Via son crayon, ll faudrait lui faire rencontrer le grand amour et ne pas le gâcher ( comme il a pu le faire durant son vivant) puis que Jim tire sa révérence. Ce qui reviendrait à terminer sa BD. Tiraillé, Merlin est perdu entre rendre ses lecteurs orphelins et l'envie de poursuivre les aventures de Jim.

Avec ce nouveau roman, Marie-Sabine Roger nous entraîne dans le monde de la BD, celui de l’artiste et de la création  "Les artistes sont poreux, ils n'ont pas de limite, leur imagination déborde sans arrêt. Leur univers transpire, puis se matérialise, devient réalité, se met à exister d'une existence propre. Il leur survit parfois. Parfois même, longtemps". 
Et elle a écrit un double roman : celui de la réalité de Merlin et celui du monde où il évolue avec ses personnages papiers qui prennent vie comme par magie. Et c'est diablement réussi !
Une fois de plus Marie-Sabine Roger fait mouche sur toute la ligne avec sa bienveillance,  son humanité , son humour et sa sensibilité avec des personnages comme l’oncle Albert et ses quatre-vingt-quatorze printemps ("Pour bien comprendre l’oncle Albert,  il faut savoir parler Pléiade couramment"), la délicate et fantaisiste Prune, Lolie et Genaro  qui sont "des intégristes de la démocratie".

Une lecture d'une seule traite entre émotions et  sourires où j'ai eu le cœur serré par les très justes réflexions sur l'auteur  et par les passages criants de vérité sur les ressentis du lecteur mais également ceux sur l'amitié.
A ne pas rater !

Nous poursuivons aussi nos existences entre vides et manques, jetant des ponts fragiles entre tous nos abymes, avançant à l'aveugle vers les jours à venir. On peut croire que le temps passe. Mais c'est nous qui passons, pour ne plus revenir. 

Quand on s’aime, se taire est une connivence. 

Ce sont les femmes qui nous façonnent. Toutes les femmes. Toutes. Je ne te parle pas seulement de nos mères. 

Les lecteurs... mettez une apostrophe, on entend l"électeur". Ce n'est pas un simple jeu de langue, une pirouette. On est lu parce qu'on est élu. C'est le lecteur qui fait l'auteur. Et pas l'inverse. Mes lecteurs ont des droits. Je ne m'appartiens plus en exclusivité, depuis que je suis rangé dans leur bibliothèque. Je suis devenu leur auteur. Je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, ou si peu, mais eux, ils me connaissent. (...) Que vont-ils penser de moi, si j'arrête la série, j'ai une responsabilité envers eux. Ils ont adopté Jim, et par fidélité, ils s'obligent à le suivre. Je ne sais plus si je m'appartiens, si je peux les laisser tomber. 

Il y a les hommes d’un seul amour, je suis l’auteur d’un seul héros. 

Dans une bonne BD fidèle aux lois du genre, il faut une morale qui fasse rêver les gens. Le brave est éternel. La vérité triomphe. Les truands sont châtiés, les traites confondus, les voleurs démasqués, les criminels punis. Tout l'inverse de la vraie vie.

Je la connais, cette angoisse du lecteur, lorsque le point final approche. Cette tristesse, ce refus lorsqu'il ne reste plus que quelques pages, à peine. Lorsqu'on sait qu'on saura, bientôt. Plus de suspense, plus de surprises, ni aucune raison d'espérer autre chose. La pièce jouée jusqu'au tout dernier mot de la dernière rime. La frustration ultime, si la fin de nous convient pas. Et cette sensation tellement particulière, ce doux plaisir mélancolique à refermer le livre si, par bonheur, on l'a aimé.

Sur ce blog, d'autres livres de Marie-Sabine Roger : Bon rétablissement - Et tu te soumettras à la loi de ton père - Il ne fait jamais noir en ville -La tête en friche - Le ciel est immense - Le quatrième soupirail - Les encombrants - Trente-six chandellesUn simple viol -Vivement l'avenir

lundi 2 mai 2016

Alessandro Baricco - La Jeune Epouse

Éditeur : Gallimard - Traduit de l'italien par Vincent Raynaud - 223 pages sans alchimie (hélas).

Alors que tout le monde avait oublié sa venue, la fiancée du Fils de la Famille arrive d'Argentine à ses dix-huit ans alors que ce dernier est absent. Le Père a jugé bon en effet qu'il voyage et prenne part aux affaires de la Famille. En attendant son retour, elle est priée de s'installer car elle est après tout la future Epouse du Fils. Dans cette famille où toute notion d'objectivité semble ne pas exister, Père, Mère et Fille et l'Oncle se lèvent tard, prennent des petits déjeuners où l'abondance est de mise et qui s'étirent jusque dans l'après-midi. Souvent d'autres personnes  sont invitées et discutent avec eux de sujets divers. Personne ne se presse jamais puis chacun se retire dans ses appartements pour sa toilette et s'occupe de quelques activités jusqu'à l'heure du coucher vécue avec la crainte de ne pas se réveiller le lendemain. La Jeune épouse découvre sa future famille : l'Oncle atteint de narcolepsie, le Père souffrant d'une « inexactitude au cœur " qui pourrait lui être fatal. Il est formellement interdit de lire et les livres sont bannis ("tout est déjà dans la vie, si l'on prend la peine de l'écouter, et les livres nous distraient inutilement de cette tâche, à laquelle tous se consacrent avec une sollicitude telle, dans cette maison, qu'un homme plongé dans la lecture ne manquerait d'apparaître en ces lieux comme un déserteur"), c’est ce qu’apprend la jeune fille par le fidèle Modesto dévoué à la famille. Le temps passe et quand elle pose la question de savoir quand le Fils reviendra, des objets aussi insolites que variés commencent à arriver d’Angleterre signe de son retour sous peu selon la Famille.

Avec une écriture (et une traduction) superbe, Alessandro Baricco nous immerge dans cette famille d'aristocrates comme suspendue hors du temps. Au départ, il est au difficile de savoir quand se déroule cette histoire, seule la date de naissance de la Mère donnée nous permet de la situer au XXe siècle. La Fille initie la Jeune Epouse à se donner du plaisir tout seule puis la Mère dont la beauté est saisissante à l'art de se faire désirer. Le Père la conduira par la suite avec lui dans un bordel où elle apprendra l'histoire de la Famille.
Un roman où l'érotisme se déploie à chaque page avec grâce, sensualité et élégance. Mais Alessandro Baricco ne s’en tient pas là, il s’immisce dans le récit et introduit des réflexions sur le rôle de l’écrivain (tout en modifiant la narration et le changement d’époque).

Malgré toute le talent et l'écriture  d’Alexandro Baricco qui m’avait fait pleurer de bonheur à la lecture de Mr Gwyn, cette alchimie ne s’est pas produite avec ce roman (dont la fin m’a laissée dubitative).

Les billets et avis divers de Jérôme, Marie, NicoleNoukette.

Lu également de cet auteur : Soie