mercredi 23 janvier 2019

Thierry Beinstingel - Il se pourrait qu'un jour je disparaisse sans trace

Editeur :Fayard - Date de parution : Janvier 2019 - 288 pages beaucoup, beaucoup aimées !

Ils sont trois : une professeure d’Allemand au lycée, une jeune fille ayant mis en pause ses études et un homme au chômage. La professeure subit ses cours, n’a plus d’entrain à enseigner. Elle et sa fille sont deux étrangères vivant sous le même toit, chacune enfermée dans ses préoccupations. Et puis un jour un élève l’insulte, elle franchit la ligne rouge. Mise en arrêt de travail, elle commence à donner des cours de français à des adultes étrangers dans un centre qui accueille des migrants, collecte et revend des meubles, des vêtements. Malgré les difficultés rencontrées dans son activité de bénévole, elle ne baisse pas les bras bien au contraire.
La jeune fille, elle, a trouvé un petit boulot : s’occuper d’un garçon autiste. Un job rémunéré en cash par la mère du garçon qu’elle ne voit jamais dans le petit appartement insalubre de le tour qui va bientôt être démolie. Elle pourrait alerter les services sociaux de la situation ou s'en tenir strictement aux consignes : préparer un repas au garçon, rester un peu avec lui et  s'en aller. Mais elle s’attache à lui et essaie malgré son mutisme de créer un lien, si fragile, soit-il avec lui.
L’homme lui se voit proposer un travail pour cinq mois payés 20 000 Euros sans aucun frais. Pas de loyer, pas de nourriture pour être agent d’entretien sur une station de pompage à l’étranger. Il accepte, se voit déjà revenir triomphant avec l’argent. Sauf que la situation sur place est bien loin de ce qu’on lui a vendu. Il est seul, ne dispose pas d’électricité ou d’eau courante sans aucun repère du temps qui passe, "il doit affronter la nature, développer sa réflexion et la créativité qui sont la marque spécifique des humains".

Avec ces personnages sans lien apparent, isolés, bousculés et déstabilisés dans leurs repères, Thierry Beinstingel nous confronte à la réalité de ceux qui n’ont plus rien mais aussi de ceux qui semblent s'effacer de leur vie.  Sans se faire donneur de leçons ou d’user de bons sentiments, il modifie le regard du lecteur et l’amène à reconsidérer ou à percevoir différemment une situation et surtout à se démettre de jugements hâtifs.

Non seulement,  il y a l'histoire qui happe le lecteur et la construction intrigante de ce roman renforce ce sentiment d'immersion (un livre lu, vous l'aurez compris, en apnée totale). J'aime l'humanité de cet auteur, j'aime comment il s'empare de sujets de société pour nous interpeller, j'aime son écriture fine et sa précision des mots.
Une lecture forte, riche en émotions et en réflexions.

Chacun court après sa vie élabore son petit confort comme Robinson sur la gravure : une table pour asseoir sa posture, un buffet pour le peu qu'on possède sur terre, un perroquet en miroir pour être toujours d'accord avec soi-même. Et comme Robinson, on craint depuis toujours que débarque un Vendredi pour bousculer nos habitudes. Le migrant d'aujourd'hui joue ce rôle. L'humanité entière reste à rassembler.

La perspective d'une intégration par l'alphabétisation est une flatterie démagogique, ici, personne n'est dupe.

Lu de cet auteur :  Ils désertent - Retour aux mots sauvages

17 commentaires:

Kathel a dit…

J'avais beaucoup aimé les deux autres romans que tu cites (mais pas celui sur le FN, Faux nègres)... Je tenterai celui-ci...

Anonyme a dit…

Je sais qu'il a déjà écrit des livres intéressants. Cela bouscule, non?

mimi a dit…

je suis de moins en moins attirée par les "romans sociaux" J'ai l'impression qu'il y en a de plus en plus et le côté "bourrage de crâne" que je ressens finit par me dégouter des choses d'actualité et donc de m'en éloigner le plus possible.

Aifelle a dit…

J'avais beaucoup aimé "Retour aux mots sauvages", un peu moins "ils désertent", mais je suis toute prête à relire l'auteur.

cathulu a dit…

Je copie sur Aifelle, comme souvent ! :)

Nicolemotspourmots a dit…

Je suis encore très marquée par ma lecture d'"Ils désertent" et j'ai aimé retrouver le regard et la plume de Thierry Beinstingel dans celui-ci, vraiment très juste.

zazy a dit…

Et bien, je vais noter celui-ci également !

Gambadou a dit…

Pas sûre qu'il me plaise, mais pourquoi pas ?

Jérôme a dit…

Voila qui pourrait tout à fait me plaire !

Alex Mot-à-Mots a dit…

Un écrit qui offre un autre point de vue, c'est toujours intéressant.

Clara et les mots a dit…

@ Kathel : je n'ai pas lu FN mais je crois me souvenir que les avis étaient partagés.

@ Anonyme :oui mais c'est toujours très juste ! et il ne fait pas dans la surenchère.

@Mimi : avec cet auteur, on n'est pas dans la surenchère comme je disais plus haut.

@ Aifelle :Cath : il devrait vous plaire alors!

@ Nicole : Ils désertent avait été une lecture saisissante et qui m'a marquée également. Ça te dit de créer un fan-club:)?

@ Zazy : super !

@ Gambabou : j'ai aimé on égard et comment il amène le lecteur à d'autres points de vue . Une lecture enrichissante pour moi !

@ Alex : oui, tout à fait !

Clara et les mots a dit…

@ Jérôme : fichtre, alors là c'est Cool !

céline a dit…

J'aime beaucoup le titre !

Clara et les mots a dit…

@ Célne : ce titre sublime est extrait de Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier. Et dans ce roman, Thierry Beisntingel revient beaucoup sur la solitude et il y a d'autres allusions en référence à ce livre qui prennent tous leur sens avec ces 3 personnages.

Melanie B a dit…

Je ne crois pas avoir déjà entendu parler de cet auteur (ou bien je suis passée à côté). A découvrir, donc !

Lucie a dit…

Je découvre avec ton billet l'existence de ce roman. Tu me donnes envie. Merci !

Clara et les mots a dit…

@ Mélanie B : pourtant, on a parlé des précédents livres sur les blogs et dans la presse.

@ Lucie : cet auteur fouille ses sujets et c'est appréciable !