Éditeur : Viviane Hamy - Date de parution : Janvier 2014 - 182 pages dures, bouleversantes, écrites sur le fil du rasoir !
Charlotte âgée de dix-sept ans va comparaître devant le juge pour avoir tué son père. Elle a commis cet acte pour se libérer de sa prison.
Une belle maison, un père qui a un bon travail et qui sait manier les mots, une mère qui est une fée du logis et mijote de bons plats. La façade parfaite que bon nombre de personnes peuvent envier. Mais derrière cette porte, derrière cette fausse ambiance et ce simulacre de la famille heureuse, il y a l’enfer que vit Charlotte depuis ses sept ans. Son père lui a repeint sa jolie chambre de petite fille où les nouveaux jouets et livres abondent. Malgré son jeune âge, elle a compris que son père bat sa mère qui encaisse sans broncher.
Alors qu’une copine est venue admirer sa toute nouvelle chambre, Charlotte ravale sa salive en entendant le bruit de la porte d’entrée qui s’ouvre. Son père est rentré et une fois de plus, il lève la main sur sa mère. Pour avoir mis ses mains sur ses hanches et affiché une mine renfrognée, son père la punit. Elle va dormir dans la cave, pas une nuit, non, mais toutes les nuits. A côté des sacs de pommes de terre, il a mis un lit et un bureau. Voilà sa nouvelle chambre. Préméditation flagrante de son père qui avait pris ses précautions avant que sa fille ne raconte à quiconque ce qui se passe chez eux. A l’école, Charlotte est mise à l’écart ce qui l’arrange.
Elle vit sous les menaces de ce père manipulateur, narcissique qui ira jusqu’à l’enchaîner dans son lit quand un jour elle voudra dormir dans sa chambre. Elle nous raconte comment ses grands-parents n’ont rien vu quand ils venaient , la "fille chérie" découvrant sous l’insistance perverse de son père « mais montre ta chambre » une vraie chambre d’ado où elle ne dort pas. Son isolement, ses notes trop basses vont déclencher un contrôle mais personne ne devinera ce que dissimule son armure de silence car Charlotte encaisse beaucoup, trop. Sa mère n’a jamais essayé de protéger la chair de sa chair en cassant ce carcan. Son attitude d’épouse soumise créée chez sa fille un abime. Tout avouer ? Se taire encore ? Torture supplémentaire de l’esprit avec toujours cette peur, cet espoir que tout ça cesse un jour. Sa seule échappatoire est la lecture qui permet de s'évader de sa geôle.
Quelques heures avant de passer devant le juge, Charlotte consigne le tout dans un cahier qu’elle va remettre au juge pour qu’il la lise. D’une volonté inflexible, déterminée à ce qu’on ne lui vole plus sa vie, elle la victime dont la société n'a pas su déceler la détresse.
Sans larmoyant et avec une incroyable justesse, la distance et la volonté de Charlotte nous sautent au visage. L’écriture de Céline Lapertot est sur le fil du rasoir et il le fallait car la maltraitance et les oripeaux dont elle se pare, de l’enfance et de l’adolescence saccagées sont des thèmes peu faciles. Ce livre est dur et les mots adressés au juge en aparté sont comme des gifles… Oui , dur et douloureux, mais si criant de cette vérité qui existe bel et bien. J’ai terminé ce livre avec l’impression d’avoir reçu un uppercut et cette envie de crier.
"L'indicible, l’innommable."
Voilà ce que je vous écris monsieur le juge.
"Connaissez-vous cette peur si instinctive qu'elle en capture les mots?"
Je suis une victime. Une victime détestée par d'autres victimes qui ont eu , elles, le courage de parler. Une victime gênante pour les bien-pensants qui s'imaginent qu'ils auraient mieux fait que moi.
Moi je lui aurais fait du chantage.
Moi j'aurais tout dit à mes profs.
Moi je l'aurais tué depuis longtemps déjà.
Moi j'aurais profité des grands-parents pour avoir une nouvelle vie.
Tant de gens qui maîtrisent à la perfection l'art "du" et "si". Tant de gens qui savent ce que doit être une victime.
Le billet de Séverine
22 commentaires:
Ils sont terribles ces récits d'enfants souffrant en silence, on a souvent du mal à comprendre pourquoi ils ne se révoltent pas (plus tôt). Mais l'important, c'est que le récit n'en fasse pas trop, pour que ça sonne juste. Paradoxalement, alors qu'il y a excès de souffrance, le ton doit rester sobre, à mon avis...
@ Sandrine : J'ai rajoute un extrait justement car on croit que la révolte est facile. Céline Lapertot a su trouver ce ton, cette sobriété nécessaire !
Encore un roman très fort sur un thème si douloureux et pourtant éternel. Les enfants maltraités sont-ils mieux défendus aujourd'hui? Les lois semblent s'être améliorées mais les faits restent terribles. Certains faits-divers dépassent la fiction!
Quel livre poignant ! Je le note
Je ne suis pas certaine d'être assez solide...
Pourquoi pas, si l'écriture est à la hauteur. Aller jusqu'au meurtre parce que les adultes sont trop souvent sourds et aveugles, le parti-pris est puissant d'emblée.
Se sentir.... Clara, toi et Severine, vos billets, vos avis... ça cogne terriblement. Merci. Je crois que ce livre, vous me donnez envie de le lire.
très beau billet...mais il me fait un peu peur, ce livre...
Un livre éprouvant, et celui-ci, je vais le lire !
Rien que le sujet déjà me fait pleurer alors il vaut mieux que le ton ne soit pas larmoyant...
oh là là! que de souffrance lorsqu'on est proche d'un pervers . Tu sais si c'est un roman ou une autobiographie?
Luocine
@ Mango : oui sont mieux défendus mais encore faut-il que l'enfant dans cette situation alerte de personnes. Les enquêtes sont plus, je pense, menées en profondeur... (personnel mieux formé justement face à ces cas où la manipulation engendre un conditionnement ) .
@ Sophie : oui!
@ Irrégulière : oui, je sais...
@ Aifelle : la violence s'accroit psychologique ( je n'ai pas raconté toute l'histoire), ce meurtre devenait sa porte de secours dans ce contexte.
@ Sabine : j'espère qu'il sera lu par de nombreuses personnes!
@ Eva : merci Eva. Il n'y a jamais de moments "favorables" pour de tels livres mais une lecture nécessaire" selon moi.
@ Maryline : tu aimeras !
@ Asphodèle: ni de pathos mais cette distance quasi clinique qui permet de comprendre cet enfer...
@Luocine : il s'agit d'un roman.
bon, il a l'air vraiment bien et fort et très très dur...wow, ce qu'il y a de pire dans la nature humaine est dans le personnage du père de ce livre non ? Pas pour moi, en tous les cas, pas toute de suite je pense.
Wouaf ! quel récit
C'est tentant mais j'ai peur d'être trop bouleversée.
J'allais dire "encore un roman sur ce thème", mais il est bon que l'on en parle.
Fille ainée lit beaucoup sur ce sujet là pour ces étude, plus des essais que des romans. Elle me parle sans cesse du dernier qu'elle a lu, l'auteur dénonce la loi française qui protège très peu et très mal les enfants. Je retiens ce titre !
Il a l'air dur, mais si tu dis qu'il y a une certaine sobriété ....
Je le note
Ce roman se dévore parce qu'il est très bien écrit et surtout parce qu'on ne peut pas lacher l'histoire quand on l'a commencée. Le plus dur, pour moi, n'a pas été le récit de Charlotte, la narratrice. Le plus dur a été de me mettre à la place de celui à qui le récit s'adresse : un juge. Je me suis demandé, tout au long de ma lecture, quelle serait la réponse la plus juste à apporter au crime de Charlotte contre son bourreau. Je n'ai pas la réponse, alors j'attends que l'auteure me l'apporte : à quand la suite de cette histoire ? ... Vite !
BOn bon c'est noté, mais à réserver aux périodes de sa vie où on est prêt à affronter ce genre de lecture... pas en ce moment, en tout cas pour moi !!!
@ Galéa : une lecture dont on ne sort pas indemne...
@ Zazy @Antigone @ Gambadou :Céline Lapertot évite de nombreux écueils et ce livre interpelle, bouscule !
@ L'or rouge : la loi n'a pas été revue pour éviter que des enfants soient des victimes ? J'en suis bouche bée...
@ anonyme : je crois que l'auteure a voulu que chacun se mette à la place du juge d'où cette fin...
@Liliba : il est à lire !
Je suis contente que tu l'aies aimé aussi. Et comme tu le dis ce livre fait son chemin.
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