103 ans, c'est à cet âge lors du 1er juillet de l'année dernière qu'Eve Cixous la mère de l'auteure est morte. A l'heure où la mort des personnes âgées se déroule loin des domiciles familiaux, sa fille l'a voulue chez elle. Etre deux quand la mort commence à rôder, se féliciter de petites victoires, dire encore et toujours tout son amour à son mère, assister à la dégradation du corps, devenir la mère et Eve l'enfant, réconforter mais également "souffrir de cette fin sans fin".
Des journées qu'Hélène Cixous a noté comme ses conversations avec Eve qui est alitée. Les petites promenades ont cédé au fil des mois à quelques pas puis au lit et enfin au lit médicalisé. Sans détour, Hélène Cixous nous parle du corps asséché, des mots qui se mélangent dans la bouche de sa mère et ce dans plusieurs langues. Mais il y a également des scènes drôles ou d'autre encore où l'auteure fait preuve d'ironie ( en parlant du lit médicalisé : "on ouvre la cage en baissant les barreaux pour administrer les soins ou les repas. On referme"). On sourit mais on est surtout ému de partager cet espace temps non chronologique avant et après la mort de sa mère. Un espace où "elle a emménagé dans un sommeil profond, capitonné" entre deux rives. Eve qui fut sage-femme de son métier et qui donna la vie. Née en Allemagne à un mauvais moment de l'Histoire et qui aura dû fuir durant la guerre. On remonte le temps pour suivre son parcours jalonné de noms de villes et de pays. Mais il y a aussi la peur, le "aidemoua" qu'elle demande. Comment y répondre ?
Cet amour si fort entre une mère et une fille crève les yeux comme la complicité qui les unit. Elles se comprennent, se complètent.
Il faut prendre son temps pour lire ce roman à l’écriture vive qui malaxe les mots, s'en empare pour défier la mort mais aussi sait rendre avec justesse les émotions. Jamais on ne se sent en position de voyeur, jamais on ne ressent de l'apitoiement.
Le pathos n’a pas sa place. Au contraire, le récit est émaillé de références à la mythologie grecque, à certains écrivains. Il fait écho à nos propres peurs face à la mort.
Je suis consciente de parler très mal de ce livre qui est un hymne à la vie, aux mères. Une lecture très bouleversante qui nous fait pénétrer dans cette brèche où vie et mort se côtoient, se combattent mais où l'amour est le plus fort.
Finalement, c'était une belle nuit.
E.- Qu'est-ce qu'on peut faire, quand on est si vieux? Je ne suis plus rien.
H.- La nuit tu fais beaucoup de bruit.Beaucoup pipi.
E.- J'ai pas d'autre chose à faire. ( Un temps.) Dommage.
Dommage, ai-je pensé. Nous nous sommes battues cote à côte. Dans une autre pièce, le jour nous aurait trouvées allongées dan les bras l'une de l'autre, pensai-je.
Maintenant ma mère craint ma nuit. On voit rien. C'est pas très clair. Voilà que nous nous figurons tous les deux qu'"Elle" viendra la nuit.
"Tu me laisses pas tomber ! dit ma mère. Tu me laisses pas seule!" Maintenant j'ai aussi peur de la nuit que du jour. Je la laisse calmement endormie à 23 heures, je dors à une allure folle, à 5 heures je parcours le petit couloir, étroit conduit peuplé de spectre et d'illusions, je murmure "maman", que dis-je! "maman" c'est moi, si ma mère vit encore. C'est seulement si j'avais perdu mon vieil enfant que maman ce serait celle que j'appelle à mon secours pour me déterrer de cette enterrement vivante.
12 commentaires:
Je sais qu'Hélène Cixous est un bon écrivain, mais je n'ai pas envie de lire sur ce thème là.
J'hésite. Le thème m'intéresse mais j'ai peur que cela touche une corde trop sensible chez moi.
@ Aifelle : je peux comprendre, ce livre n'est pas forcément pour tout le monde
@ Ariane : j'ai eu les yeux remplis de poissons d'eau...
Je ne lirai pas ce livre pour deux choses :
Je fait partie de ce qu'ils appellent le 3ème âge
Pas de bonnes relations avec ma propre mère (94 ans)
grand auteur , mais je laisse tomber ce livre là, pour des raisons personnelles .
pas sûr d'être capable de lire sur ce thème.
@ Zazy @ Luocine : j'avais des raisons personnelles également pour ne pas lire ce livre mais je suis contente de l'avoir lu !
@ Gambadou : une lecture qui ouvre des horizons quand même et notamment grâce à l'écriture d'Helène Cixous !
Un livre qui a l'air très riche.
@ Alex : oui, il l'est !!!
Un beau livre, très dense et à l'écriture flamboyante, comme toujours chez Cixous...
@ Anonyme: j'ai découvert Hélène Cixoux avec ce titre et son écriture est superbe et dense.
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