dimanche 7 octobre 2012

Intérimaire de passage

Aujourd’hui, chez Gwen on détourne les pubs. Rien que ça ! Sur les 15 slogans ci-dessous, notre mission d’agent 007 est d’en utiliser au moins 10 dans un texte. Mission acceptée et effectuée…
  
Faire du ciel le plus bel endroit de la Terre. (Air France) 
A l’origine, il y a toujours Francine. (Farine Francine) 
Vous êtes vivant, alors vivez! (Cœur de lion) 
Vous ne viendrez plus chez nous par hasard. (Total) 
Grandir, pour quoi faire? (Renault Modus)
C’est tellement mieux d’être une fille. (Barbie) 
Think different/Pensez différemment. (Apple)
A fond la forme. (Décathlon) 
Nous vous devons plus que la lumière. (EDF)
 Faites pousser vos idées! (Jardiland) 
Ça pique pas, ça arrache! (Pimousse) 
Je suis pas jolie, je suis pire. (Kenzo)
Quand y’en a marre, y’a Malabar (...)
La vie est une question de priorités (Magnum) 
La vie n’est pas en noir et blanc, elle est en or ( Dior)

Mon travail consiste à faire du ciel le plus bel endroit de la terre. Et à chaque vol, je prononce cette phrase magique à destination des clients. Doucement, mais pas trop non plus, avec chaleur comme on me l’a appris. Je dois m’occuper des passagers, devancer leurs questions et leur dire que tout se passera bien. D’ailleurs, il n’y a  jamais eu de raté ou d’accident. C’est impossible.
Je suis la meilleure pour repérer les anxieux. Ne croyez pas à une vantardise de ma part mais enfant, j’avais peur en avion alors je les comprends. Avant le décollage, ma mère me donnait un malabar, me disait de fermer les yeux et de compter jusqu’à cinquante. Elle posait sa main sur la mienne et moi je me répétais quand y’en a marre, y’a malabar. Quelquefois je regarde par le hublot. A travers les couches de nuage, j’essaie de distinguer les gens. Je vois une famille où le garçon shoote de toutes ses forces dans un ballon en criant « à fond la forme », son père rit et sa mère caresse les cheveux de sa fille. Au dessin idyllique, j’ajoute une belle maison, un chien et un ciel bleu. Ils sont heureux sans le savoir. Même si la fille s’esquive rapidement devant ce geste trop maternel en se disant je suis pas jolie, je suis pire : une vraie mocheté. Pour le moment, elle n’est pas encore sortie avec un garçon. Toutes les filles de sa classe ont déjà eu un p'tit copain sauf elle. Son père, lui, pense à sa carrière, la vie est une question de priorités. Sa femme peut se plaindre qu’il rentre tard, qu’il est souvent absent mais il n’a pas le choix. De toute manière, à l’origine, il y a toujours Francine. C’est elle qui toujours tout choisi pour eux deux, pour les enfants comme si son avis à lui était sans importance. Justement sa femme pense à la revue "Faites pousser vos idées" qu’elle feuilletait hier soir. Entre deux articles sur la décoration intérieure et des astuces pour embellir son jardin, un docteur parlait d’une nouvelle méthode pour soigner la déprime. Le "Pensez différemment" aiderait les patients à réduire leur consommation d’anxiolytiques. Depuis quelques mois, une fois les enfants partis au lycée et son mari au travail, Francine broie du noir. Pourtant, elle est en bonne santé et mène une vie aisée. Tout a commencé quand elle a surpris son fils et un copain qui s’embrassaient. Elle se souvient du choc, de l’étau qui lui a serré la poitrine. Depuis sa vie semble s’éparpiller. Son fils pense à demain soir. Un copain à lui organise une fête en comité réduit. Ce gars lui vend de la bonne came pour planer. Cette fois, il a un plan d’enfer pour sortir sans pépin. Il a substitué quelques cachets à sa mère, elle en a tellement qu’elle ne pourra pas se rendre compte qu’il en manque. Avant le dîner, il se proposera de mettre le couvert, posera la carafe d’eau dans laquelle il aura pris soin de diluer quelques médicaments. Lui et sa sœur ont remarqué que leur mère était dans un état comateux du matin au soir et qu’elle pleurait facilement pour un rien. Seul leur père semble être aveugle. Pour le moment, le fils s’amuse à jouer son rôle comme dans une pièce de théâtre. Il pense sûrement à une comédie mais je sais qu’ils sont enregistrés pour le vol de demain. J’ai envie de leur dire vous êtes vivant, alors vivez, profitez ! Le fils ne sait pas qu’il est le metteur en scène d’une tragédie. Ma mère disait que la vie n’est pas noir et blanc, elle est en or. Et je croyais qu’elle avait raison. Le jour de mes dix-sept ans, mes parents m’avaient offert un collier en or fin. Il ne me quittait jamais. Quatre mois plus tard, il a virevolté dans les airs quand la voiture est sortie de la route. Ensuite, je me suis retrouvée à bord de cet avion. Mes parents refusent toujours qu’on débranche la machine. L’ensemble du personnel a le même statut que moi. Nous sommes des intérimaires de passage. Ah tiens, un client me fait signe, il semble très nerveux. Embarquer pour la mort n’est pas si facile.

5 commentaires:

Gwenaelle a dit…

Un film avec Vincent Lindon et Hélène Vincent qui aborde ce thème vient de sortir, tu l'as vu? Bon, en tout cas, même si c'est noir, c'est toujours aussi efficace et le lecteur se prend une grande claque!

Clara et les mots a dit…

@ Gwen : non je ne l'ai pas vu! Côté ciné, j'ai la paresse de faire des billets sur les derniers films vus... ( et dont tout le monde a parlé en plus!). Noir mon texte? non, je renoue juste avec les chutes!

Asphodèle a dit…

Quel texte !!! Effectivement la chute est glaçante mais c'est si bien écrit !!! Tu devrais renouer plus souvent !!! :)

Véronique (alias la Pyrénéenne) a dit…

Bravo ... tu as tiré le meilleur parti de ces contraintes pour faire un texte millimétré efficace et brillant !

Clara et les mots a dit…

@ Asphodèle: oh... tu me fais rougir ,va!

@ Véronique : brillant, non... mais merci!