dimanche 31 août 2014

Thierry Beinstingel - Ils désertent

Éditeur : Le Livre de Poche - Date de parution : Août 2014 - 188 pages beaucoup aimées!

Elle vient de décrocher un poste de responsable dans une entreprise spécialisée dans le papier-peint. Nommée à la tête de l'équipe de ventes, elle a pu quitter son boulot de vendeuse dans un magasin de sport. Son diplôme de commerce n'aura pas été vain : un salaire confortable et surtout elle est la première de sa famille à acheter un appartement. Sa première mission est de virer celui que l'on appelle l'ancêtre, le plus ancien des vendeurs. Lui passe son temps sur les routes, ses nuits dans les chambres d'hôtels et aime la Correspondance de Rimbaud. Pourtant, il réalise les chiffres fixés mais il ne s'inscrit pas la nouvelle ligne commerciale de l'entreprise.

Un roman où l'auteur alterne les deux vies, il s'adresse à l'ancêtre en le vouvoyant et à la jeune femme par un tutoiement. Et si les deux personnages évoluent dans des univers austères (les zones commerciales, l'appartement quasi désert et isolé de la jeune femme, l'entreprise), et bien justement, ces cadres permettent de mieux les cerner. On les visualise, la routine de l'ancêtre et ses heures passées au volant nous collent à la peau tout comme la pression exercée sur la jeune femme. Vivent-ils ce qu'ils désirent vraiment?
Si Thierry Beinstingel excelle dans la description de ce monde du travail déshumanisé où seuls la rentabilité et le profit comptent, il insuffle de l'espoir et une humanité qui sont comme des ballons d'oxygène !
Un peu  moins saisissant que Retour aux mot sauvages, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un très bon livre !

Au débarquement, vous étiez remonté dans votre voiture, lui dans son camion, il avait eu ce dernier geste, en passant devant vous, bras levé à la portière, accompagné d'un coup de klaxon. Rien de plus, mais combien cette image depuis vous aide à tenir (savoir qu'il est quelque part sur la route quand vous y êtes aussi) pour tout ce qui n'est jamais pris en compte, vies mobiles, fugitives, fugace, fuyantes, instables, mouvantes, émouvantes.

Le billet d'Antigone qui renvoie à d'autres billets

vendredi 29 août 2014

Valérie Zenatti - Jacob, Jacob

Éditeur : Éditions de l'Olivier - Date de parution : Août 2014 - 166 pages poignantes...

Jacob est un jeune Juif de Constantine où il vit avec ses parents, son frère, sa belle sœur et leurs trois enfants. Agé d'à peine 19 ans en ce mois de juin 1944, il part combattre pour la France. Pourtant, il avait renvoyé en 1941 de l'école car cette même France "avait décidé que les juifs d'Algérie étaient de nouveau des indigènes".

Avec son régiment, il débarque en Provence "la vraie, la métropole rêvée dont il connaît par coeur la géographie administrative, les rois, les chansons".  Et dans sa famille où l'homme décide, où les femmes obéissent selon des règles anciennes, Rachel la mère de Jacob écoute son cœur. Se rendant de caserne en caserne pour demander à travers une langue faite de mots français et arabe où est son fils, puis écoutant la radio pour suivre cette guerre lointaine.
Pendant ce tempe, Jacob se bat. En quelques mois, ce jeune homme qui aimait la poésie est plongé dans les affres de la guerre où la mort et la solidarité se côtoient.
Même si on pressent une fin douloureuse, Valérie Zenatti poursuit dans le temps avec la famille de Jacob. Avec des événements qui feront basculer l'histoire mais aussi des moments d'émotion intense comme si Jacob vivait toujours...
Un roman poignant porté par une écriture superbe et sensible !

On a fait de lui un soldat, le mot contient une autre façon de bouger, s'habiller, manger et dormir, utiliser son corps et ses forces, et bientôt, il voudra dire tuer ou être tué.

Les billets d'Eva, Laure

Lu de cette auteure  : Les âmes soeurs

jeudi 28 août 2014

Marie-Hélène Lafon - Joseph

Éditeur : Buchet-Chastel - Date de parution : Aout 2014 - 140 pages refermées avec le cœur pincé.. 

A presque soixante ans, Joseph est ouvrier agricole dans une ferme du Cantal. Sa région qu'il n'a jamais quittée. Depuis toujours, il travaille dans les fermes des autres et loge chez ses patrons. Un amoureux des bêtes et des chiffres, un travailleur pour qui les jours fériés, les heures supplémentaires n'existent pas. Joseph pourrait presque passer inaperçu. Sa vie tient dans une valise, il respecte le patron et son épouse et se tient à sa place même s'il devine que quand le fils reprendra la ferme familiale, son travail disparaîtra.

Joseph marque un tournant dans la vie du monde paysan. Car même ci ce roman se déroule à notre époque, Joseph semble être le dernier (ou un des derniers) ouvrier agricole (autrefois appelé journalier) à loger chez ses patrons. La vie de Joseph se dévoile au fil des pages : l'enfance et l'école où son prénom ancien lui valait des moqueries, le père alcoolique, son frère qui n'a jamais voulu rester au pays. Et maintenant qui est marié et père de famille à la tête de son propre commerce, sa mère qui l'a suivi pour aider sa belle-fille. L'amour que fait mal et vous fait chuter.
On retrouve dans ce nouveau roman l'attachement au monde agricole, sa mutation progressive (désormais, il vaut mieux que l'épouse travaille à l'extérieur pour qu'il y ait un revenu fixe) car il y le monde actuel auquel il faut s'adapter. Même si Joseph est dépassé par toutes ces chaînes de télé, par toutes les réglementations. Et au détour d'une phrase, il y a ces expressions, ce langage du monde rural liée à une autre époque mais qui demeurent.

Dans la lignée de L'annonce et Les pays, Marie-Hélène Lafon nous offre le  portait  d'un homme, d'un mode de vie et du monde paysan. Le tout avec une grande pudeur, respect et justesse. 
J'ai eu le cœur pincé car ce livre m'a rappelée mes origines...

Il n'avait pas toujours eu le choix, il avait dû, certaines fois travailler dans des conditions qui lui tordaient le ventre mais il n'était jamais rester longtemps dans ces fermes. Il avait appris à se méfier des gens que les bêtes craignaient, les brutaux et les sournois, surtout les sournois qui cognent sur les animaux par-derrière et leur font des grimaces devant les patrons. 


mercredi 27 août 2014

François Roux - Le bonheur national brut

Éditeur : Albin Michel - Date de parution : Août 2014 - 679 pages qui ne se lâchent pas ! 

Mai 1981 :  l'élection de François Mitterrand est pour certains une douche froide et pour d'autres synonyme de renouveau et d'espoir. Pour Paul, Rodolphe, Tanguy et Benoît, il ne reste que quelques jours avant le bac. Contrairement à ses amis, Benoît ne veut pas quitter sa petite ville de Bretagne et poursuivre des études. Seule la photographie compte à ses yeux. Rodolphe est déjà attiré par la politique et prend un malin plaisir à défendre ses convictions contraires à celles de son père ouvrier. Tanguy, aussi brillant que Rodolphe, a du s'impliquer dans la conserverie familiale très tôt et rêve d'intégrer une prestigieuse école. Enfin Paul, issu d'une famille bourgeoise, se cherche alors qu'il aimerait assumer son homosexualité.

Le bonheur national brut déroule la vie de ces quatre amis au lycée sur presque trente ans. Après le bac chacun suit sa voie. Paul se retrouve à Paris dans une prépa pour intégrer la fac de médecine selon les volontés de son père. Enfin loin de ses parents, il passe son temps dans les fêtes et au cinéma. Ambitieux de briller sur la scène nationale, Rodolphe s'investit dans la politique tandis que Tanguy travaille d'arrache-pied à ses études. Benoît lui est plongé dans le monde du travail. Parviendront-ils à réaliser leurs rêves tout en gardant intact leurs idéaux et leurs valeurs ?

Le bonheur national brut est un roman captivant et sans temps mort ! A travers ces quatre personnages, il s'agit de toute une génération qui est brossée. Une génération confrontée à  l'envolée de la crise et du chômage, aux désillusions.
François Roux ne s'en tient pas aux destins de Paul, Rodolphe, Tanguy et Benoît, il ponctue son livre de faits politiques, économiques qui ont marqué nos esprits et qui  par leurs répercussions, façonnent des vies directement ou non.
Une fresque sociale dont on tourne les pages avec plaisir  avec des personnages attachants en quête de bonheur personnel, familial et professionnel. Un roman rythmé avec de l'humour, de la tendresse et surtout cette justesse incroyable ! Rien à redire !

Nous sommes bien sur les fossoyeurs des Trente Glorieuses, les enfants de la crise, du chômage, de la surconsommation, de la mondialisation, de la croissance molle, de l'argent roi soudain devenu argent fou, mais nous sommes, avons tout les enfants du doute et de l'incertitude. Depuis trente ans, nous naviguons à vue, perplexes, indécis, vers un but que ce monde, lui-même déboussolé, nous a clairement désigné en le survendant : être heureux malgré tout et -son corollaire- réussir sa vie. C'est en tout cas ce que l'on n'a cessé de nous refourguer, partout et en tout lieu : le concept du bonheur. Le bonheur comme un indice de notre succès ou un curseur établissant la limite de notre prospérité, le bonheur comme une marchandise, un vulgaire bien matériel que l'on pourrait se procurer à force de volonté, d'argent ou d'efforts, la jouissance des biens apparaissant comme très largement supérieure à la patience à l'ardeur pour les obtenir, et même à la sagesse suprême de ne rien vouloir obtenir du tout. N'avons-nous pas tous pensé que nous serions heureux le jour où nos rêves d'enfants seraient enfin accomplis?

lundi 25 août 2014

Alice Ferney - Le règne du vivant

Éditeur : Actes Sud - Date de parution : Août 2014 - 206 pages engagées !

D'abord intrigué par le capitaine Wallace et pour tenter de le comprendre, Gérald Asmussen jeune journaliste norvégien embarque avec lui et son équipe pour une campagne. Magnus Wallace est un activiste écologiste, un homme qui n'a pas peur de dire ce qu'il pense et qui agit. Fondateur de Gaïa, il sillonne les mers à traquer ceux qui chassent la baleine dans les zones protégées. Il n'hésite pas à braver les lois. Héros pour certains, terroriste pour d'autres, son engagement pour la planète est entier.

A bord du bateau, le journaliste filme la campagne et enregistre les témoignages de l'équipe. Tous sont convaincus de l'urgence à ce que que l'opinion publique prenne conscience de la situation. Et en tant que lecteur, on se retrouve à bord de l'Arrowhead sur les océans. On vit l'attente, on ressent la détermination des équipages qui n'ont pas le même but : celui des militants de Gaïa et celui des braconniers des mers, ces bateaux suréquipés ou qui se dissimulent derrière des soi-disant "recherches scientifiques".
Du massacre des baleines aux courses contre les chasseurs, du ballet grandiose de ces mammifères marins au cercle économique, des conférences publiques bien orchestrées de Wallace, ce capitaine qui possède l'aura et la légende des héros à l'écologie, des victoires aux défaites, cet hymne à l'océan et au règne animal soulève des questions fondamentales.
J'ai eu envie de hurler face aux gouvernements qui ferment les yeux sur cette pêche illégale,  j'ai eu le cœur fendu de larmes ( les scènes de mort des baleines sont douloureusement dures). Et si j'ai été gagnée par un sentiment d'impuissance face aux multinationales qui règnent grâce à l'argent, la beauté des océans et de ses habitants que l'on doit protéger saute aux yeux.
Un livre engagé qui ne peut laisser personne indifférent ! 

 J'ai pisté ses destructeurs. J'ai traversé les sanctuaires et poursuivi les braconniers. J'ai vu la violence de l'homme industriel se jeter sur la richesse des mers, ses mains de fer mettre à mort les plus gros, les plus rapides, les plus formidables prédateurs. J'ai vu les grands chaluts ramasser en aveugle une faune inconnue. J'ai su de quoi les humains sont capables. J'ai redouté ce qu'ils font quand ils se savent invisibles, en haute mer, sur la banquise, dans le face-à-face sans mot avec les bêtes à leur merci. J'ai combattu l'horreur : les tueries, les mutilations, les dépeçages, l'entassement des cadavres. J'ai vu mourir noyées dans leur sang des baleines qui criaient comme des femmes. On nous disait qu'elles n'avaient ni âme ni langage. Leur conscience d'elles-mêmes traversait l'onde et vrillait mes oreilles. Ces proies inoffensives et tendres, je ne doutais pas qu'elles eussent une intériorité. Je connus leur valeur et leur fragilité. Nous leur devions une protection. Loin sur l'eau, dans les immensités sans côtes ni havres, à écouter la voix du vent, à regarder le lent gonflement des vagues, ou bien la mer couchée que la tempête met debout, je me suis senti à la fois insignifiant et responsable. Quel usage faisions-nous du monde ? La question s'est levée comme une vague qui m'a submergé.

Lu de cette auteure : Grâce et dénuement

samedi 23 août 2014

Joyce Maynard - L'homme de la montagne

Editeur : Philippe Rey - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain - 318 qui oscillent entre roman, polar, et roman d'apprentissage

Eté 1979, près de San Francisco. Rachel treize ans et sa sœur Patty onze ans ont comme occupation  un immense terrain de jeux : la montagne.  Leur mère passe son temps enfermée dans sa chambre à lire et à fumer alors que leur père est peu présent. Leurs  parents sont séparés et elles jouissent d'une grande liberté. Toutes le deux considèrent leur père comme une idole et à leurs yeux il est le meilleur inspecteur de police. Mais une jeune fille est découverte étranglée dans la forêt. Elle ne sera que la première d'une longue série.

Malgré le manque d'argent, les deux sœurs semblent s'accommoder de cette vie même si elles aimeraient voir plus leur père. Avec cette affaire de l'Etrangleur, il est sur le qui-vive et il leur fait promettre de ne plus s'aventurer dans la montagne. Mais Rachel la meneuse des deux est décidée à suivre de son côté son enquête pour aider son père. Les médias ne parlent que de l'Etrangleur et la popularité de leur père, un homme séduisant et charmant, agit indirectement sur Rachel. Les filles en vue veulent être son amie et Rachel délaisse Patty. Sauf que l'affaire s'enlise. De nouveaux meurtres sont perpétrés et la police stagne. Rachel se retrouve prise en étau entre ses sentiments pour son père, ses amies et sa culpabilité envers sa sœur .

Même si j'ai trouvé un schéma assez répétitif sur quelques pages, Joyce Maynard parvient à créer une ambiance particulière et palpable !
Entre roman, polar et roman d'apprentissage, elle analyse avec psychologie et sensibilité les liens fraternels et familiaux, les ambiguïtés et les contradictions de l'adolescence. Et elle donne une direction inattendue à l'histoire car  la narratrice n'est autre que Rachel trente ans plus tard.

Le billet de Kathel

Lu de cette auteure : Baby love - Et devant moi, le monde - Les filles de l'ouragan - Long week-end - Une adolescence américaine




vendredi 22 août 2014

Laurence Tardieu - Une vie à soi

Éditeur : Flammarion - Date de parution : Août 2014 - 187 pages  d'émotions !

"J'ai découvert Diane Arbus un dimanche d'automne 2011. (...) Depuis des mois, je me sentais enserrée dans un effroi et une souffrance intenses que je ne parvenais à dire à personne. J'essayais de me retenir à tout ce qui tenait, mais rien ne tenait, plus rien ne tenait. Tout s'effritait sous mes doigts."
Un dimanche d'automne 2001, Laurence Tardieu qui depuis la parution la confusion des peines n'arrive plus à retrouver le chemin de l'écriture se rend par hasard à l'exposition consacrée à la photographe américaine Diane Arbus. Bouleversée par ses photos, elle veut tout savoir sur l'artiste et découvre des points communs entre leurs deux vies. Ce sont deux histoires en parallèle qui se répondent et la vie de Diane Arbus trouve une résonance chez l'auteure. Comme dans un miroir, ses propres souvenirs remontent et jaillissent. "Plus je découvrais qui elle avait été, plus des pans entiers de ma vie revenaient à moi, comme les images d'un film oublié qu'elle me faisait revoir. Qu'elle me faisait revivre."

La même enfance et "la même docilité, la même expression apeurée. La même sensation d'être là, et de ne pas y être",  le même milieu social privilégié et bourgeois mais aussi la même solitude. Cette quête permet à  Laurence Tardieu de se "rassembler, Diane Arbus a été un harnais pour Laurence Tardieu auquel elle s'est accrochée.

On plonge dans la sincérité de Laurence Tardieu, dans sa sensibilité mais aussi dans sa douleur et ce sont  des rafales d'émotions qui nous transpercent !  Sans mettre le lecteur en position de voyeur et sans pathos, mais avec une pudeur si belle et une écriture lancinante, lumineuse et délicate, on assiste à sa renaissance et à celle d'une vie bien à elle.
Un livre qui m' a touchée-coulée et qui a trouvé écho en ma personne. Car chacun peut être amené à faire une rencontre fortuite qui lui donnera la force de se relever ou d'apercevoir enfin une lumière.

Une lecture tandem avec Cathulu.
Les billets de Leiloona, Mirontaine

Lu de cette auteure : L'écriture et la vie - La confusion des peines - Puisque rien ne dure

Une  lecture qui s'inscrit dans le cadre du challenge organisé comme chaque année par Hérisson

mercredi 20 août 2014

Marie-Sabine Roger - Trente-six chandelles

Éditeur : Le Rouergue - Date de parution : Août 2014 - 278 pages de sourires et d'humanité !

Dans la famille Decime, les hommes meurent tous le jour de leur trente-sixième anniversaire. Un héritage en forme de malchance que Mortimer attend ce 15 février. Il a quitté son emploi, a donné ses affaires, mis fin au bail de son appartement et allongé sur son lit en costume noir (acheté pour l'occasion), il fixe l'heure. A onze heures (l'heure à laquelle il est né), il ne sera plus de ce monde. Avec une telle enclume au-dessus de la tête, il n'a jamais eu de projets. Ayant toujours à l'esprit le jour où la grande faucheuse se présentera, cet habitué à attendre la fatalité n'a jamais voulu profiter de la vie. Sauf que les minutes s'égrènent et que Mortimer est toujours bien vivant. Seul petit petit souci,  il n'avait jamais pensé échapper à cette malédiction familiale.

Une fois de plus, Marie-Sabine Roger nous offre un roman où les sourires, l'émotion et l'humanité fusent ! Une auteure avec une écriture bien à elle où se mêlent tendresse et humour, des formulations qui font mouche. Et toujours des personnages attachants qui n'ont pas connu des vies toute droites mais qui possèdent une vraie et belle humanité. Entre le couple formé par le sérieux Nassardine et Paquita débordante de fantaisie, Jasmine qui croque la vie à pleines dents et les aïeux de Mortimer, il s'agit d'une belle leçon de vie ancrée entre la  réalité et ses frontières. Et même si j'ai deviné  la fin, j'ai été surprise par les rebondissements inattendus.

Une lecture qui fait beaucoup de bien mais qui nous interroge aussi ce que l'on fait de notre vie, sur le poids de l'hérédité (et son cercle dont on peut être prisonnier).
Voilà de quoi se booster le moral, de chasser les nuages et d'accéder à une belle palette d'émotions ! Sensibilité, humour et humanité : la recette de Marie-Sabine Roger fonctionne à merveille une fois encore !

Avec le recul, j'ai réalisé que mon père était un dépressif qui avait très mal vécu la perspective de son décès prématuré. Sa mort lui avait pourri la vie, en somme.

Le billet de Dasola

Lu de cette auteure (que j'affectionne particulièrement) : Bon rétablissement - Et tu te soumettras à la loi de ton père - Il ne fait jamais noir en ville -La tête en friche - Le ciel est immense - Le quatrième soupirail - Les encombrants - Un simple viol - Vivement l'avenir

lundi 18 août 2014

Javier Cercas - A la vitesse de la lumière

Éditeur : Livre de poche - Traduit de l'espagnol par Elisabeth Beyer et Aleksandar Grujicic - Date de parution : 2010 (première parution : 2006) - 281 pages à lire !

Jamais je ne pensais avoir entre mains  un livre qui parle entre autres de la guerre de Vietnam,de la transformation qui s’est opérée chez certains soldats alors qu’ils combattaient et se prenaient pour Dieu en ayant cette possibilité de donner la mort, et surtout sur le sens et le pouvoir de littérature. Pourtant ce roman prenant et riche en émotions traite de ces thèmes par une écriture ô combien remarquable et par l’histoire de deux hommes.

Le narrateur, un étudiant espagnol,  a pour ambition de devenir écrivain. Par le plus grand des hasards, on lui propose un poste à l’université d’Urbana. Ainsi, il pourra enseigner sa langue et écrire. Et c’est dans le cadre de son travail qu’il rencontre Rodney Falk. Cet ancien combattant du Vietnam enseigne lui aussi l’espagnol. Peu bavard, Rodney Falk est solitaire, pourtant lui et le narrateur vont devenir amis. Mais Rodney disparaît sans prévenir son ami et sans avoir donné de raison à la faculté. Retourné en Espagne, le narrateur découvre la gloire liée à la publication de ses livres. Marié et père d’un enfant, il s’abandonne à une vie de vices .  Il faudra un drame personnel pour qu’il cherche  à voir de retour son ancien ami.

Alors qu’il était pacifiste, Rodney Falk s’est engagé. Il a côtoyé l’abominable, il s’est vu devenir un homme qui tue sans éprouver de remords. Pire, il y a pris du plaisir. Revenu au pays, il n’a plus trouvé la paix ( "En apparence, Rodney était certes revenu du Vietnam, mais c'était en réalité comme s'il s'y trouvait encore, ou comme s'il avait ramené le Vietnam chez lui"). Le narrateur lui a perdu sa famille, sa dignité à cause de l’ivresse du succès ( "j'aurais au moins dû prévoir que personne n'est vacciné contre le succès et que c'est qu'au moment de l'affronter qu'on comprend que c'est non seulement un malentendu  et la joyeuse insolence d'un jour, mais que ce malentendu et cette insolence sont humiliants; j'aurais aussi dû prévoir  qu'il était impossible de survivre avec dignité au succès, parce qu'il détruit tel un ivrogne la demeure de l'âme et qu'il est si beau qu'on découvre, même si on se leurre  avec des protestations d'orgueil et de démonstrations hygiéniques de cynisme, qu'en réalité on n'avait pas fait autre chose que de le chercher, de même qu'on découvre quand on l'a entre les mains et qu'il est trop tard pour le refuser, qu'il ne sert qu' à nous détruire et à détruire tout ce qui nous entoure. J'aurais dû le prévoir, mais je ne l'ai pas prévu. En conséquence , j'ai perdu tout respect pour la réalité; j'ai aussi perdu mon respect pour la littérature, la seule chose qui juqu'alors avait donné un sens ou une illusion à la réalité."). Deux vies qui ont plus d’un point de jonction, deux hommes qui saignent moralement.
En quête de rédemption, l’écriture qu’il a délaissée donnera au narrateur cette obligation morale d’écrire ce qui n’a pas été dit, ce qui ne se raconte pas.

La construction même du livre à la façon d’un puzzle, où la trame serpente entre passé et présent est magnétique tout comme l’écriture de Javier Cercas. Et la littérature, la vie, la mort, et comment ou pourquoi naît l’écriture et son pouvoir à façonner ou à rendre au plus juste la réalité, la culpabilité jaillissent de ce roman et se plantent en plein cœur.
Un livre tout simplement inoubliable…J’ai eu à de nombreuses reprises des poissons d’eau dans les yeux, le souffle coupé et j’ai relu des passages ou des pages entières tant ce livre m’a plus que remuée !

"Je mentirais sur tout, mais uniquement pour mieux dire la vérité.  Je lui ai expliqué : Ce sera un roman apocryphe, comme ma vie clandestine, un roman faux mais plus réel que s'il était vrai."

Les billets de ClaudiaLucia, Cathe, Papillon

jeudi 14 août 2014

Maylis de Kerangal - Naissance d'un pont

Éditeur : Folio - Date de parution : 2012 - 330 pages lues en apnée! 

Quel bonheur de retrouver l'écriture sublime de Maylis de Kerangal découverte dans Réparer les vivants  avec de nouveaux espaces et la petite ville de Coca.
Son maire surnommé le Boa veut qu'elle soit connue tous et accessible enfin désenclavée de ce coin de Californie où elle jouxte la forêt. Et un projet fou par sa mesure, ambitieux par sa technicité : un pont suspendu qui surplombe le fleuve. "Il veut une oeuvre unique. (..) Le Boa se vit Médicis, prince mécène en cape de velours, s'en aima davantage, et loin d'en prendre ombrage, accepta qu'une gloire étrangère vienne prendre appui sur ses terres pour faire monter la sienne".

Un chantier titanesque qui avant de débuter propulse son écho, ses promesses de travail pour des hommes et des femmes. "Câbleurs, ferrailleurs, soudeurs, coffreurs, maçons, goudronneurs, grutiers,(...)" et d'autres professions variées qui suivent dans le flux “rôtisseurs de poulets, dentistes, psychologues, coiffeurs, pizzaiolos, prêteurs sur gages, prostituées, écrivains publics,  (...)” et le chef de chantier Diderot. Homme à qui la rumeur a inventé des passés multiples, homme "pluriel" mais toujours "prêt à tout pour remporter la prime".

Et ce pont va naître, prendre forme, commencer à s'élever dans les airs, modifier et s'inscrire petit à petit dans le paysage de Coca. Un chantier avec des imprévus mais il faut tenir les délais. Les gens qui y travaillent vivent au rythme de l'avancement ou des grèves, se côtoient, se frôlent ou réunissent leurs compétences, leurs solitudes, leurs projets de sabotage. Ce grand ouvrage suscite des oppositions de la part des écologistes alors que le maire ne veut pas céder.

De la construction ce pont et de sa fourmilière humaine, Maylis de Kerangal étend son écriture si singulière dotée d'un souffle puissant, musicale jouant dans des gammes rapides mais jamais pressées. Son écriture sublime, maîtrisée serpente entre les hommes et les machines.
Sur un thème aussi pointu avec son territoire lexical, de tout ce qui gravite autour de l'édifice de ce nouvel axe de transport et à l'ensemble des procédés techniques, sans oublier ses personnages et l'environnement,  on est enveloppé par l'énergie et les sentiments qui s'en dégagent.
Un roman lu en apnée totale qui m'a conquise et ébahie sur toute la ligne !  

mercredi 13 août 2014

Isabelle Condou - Un pays qui n'avait pas de port


Éditeur : Plon - Date de parution : Août 2013 - 306 pages qui bousculent !

Sur un cargo qui sillonne les mers, l'équipage partage sa vie entre les jours de repos et ceux à bord. Des destinations plus ou moins longues, quelquefois des imprévus car les océans gardent toujours une part d'inconnu. Le commandant ou le capitaine est le seul maître à bord. Toutes les décisions et donc les responsabilités lui incombent.
Pour cette traversée, deux passagers sont à bord : une française Joséphine et un retraité hollandais. Les sourires diplomates sont de rigueur mais Marek l'officier mécanicien n'en a cure. Même si la tension entre Bodhan le capitaine et son officier est palpable, que Joséphine aimerait que l'autre touriste soit moins bavard, chacun retrouve ou est confronté à sa solitude dans sa cabine.

Mais après une escale à Haïti, une chaussure est retrouvée à bord. Marek voit rouge et veut qu'on lui lui donne raison sur la présence d'un clandestin. Cette présence et donc cette vie humaine est bien réelle. La décision finale concernant le devenir du jeune homme aura des répercussions humaines et sociales. Kidnappés dans cette situation, bousculés de plein fouet ou affichant un égoïsme,  le capitaine, le chef mécanicien et la passagère seront face à face avec eux-mêmes. Isabelle Condou ausculte l'âme et conscience de ces derniers. Alors que la fin inéluctable se dessine, le mot liberté résonne différemment...

Dès les premières pages, on est à bord de ce cargo en pleine mer. Et l'on ressent pleinement toutes les émotions que l'océan à perte de vue suscite : l'introspection voulue ou non, la sensation d'un d'affranchissement illusoire.
Un roman très fort qui m'a touchée en plein cœur!

Qu'allait-il devenir une fois en France, où la quarantaine est plus longue pour les sans -papiers que pour les animaux ?

Le billet de Leiloona

lundi 11 août 2014

Clélia Anfray - Monsieur Loriot

Éditeur : Gallimard - Date de parution : Février 2014 - 237 pages et une auteure à découvrir ! 

Alors que téléspectateurs français découvrent le nouveau feuilleton américain Santa Barbara, on pourrait penser que monsieur Loriot ce retraité de la SNCF qui aime la science s'en moquerait. Que nenni  car il est fasciné par l'Amérique, ce pays qui est toujours en avance où toutes les nouvelles technologies naissent. Une fois par an, lui et sa femme Yvonne (qui n'a pas son mot à dire) s'y rendent en vacances où le voyage est "calculé au centime près". Le reste du temps, il trie et organise ses fiches (gardées soigneusement au fil des années car on ne jette rien) sur lesquelles il note tout. Il bricole dans son garage, s'époumone si son gigot du dimanche n'est pas accompagné d'haricots verts.
Raymond Loriot est un homme qui a organisé sa vie. Il a malaxé celle de sa femme pour qu'elle soit soumise (d'ailleurs, il l'avait épousé sans amour). Et forcément, il a travaillé dur pour "élever" ses trois filles.
Mais sa descendance n'a pas réussi au sens où il l'entend. Pire, une de ses filles a osé lui présenter un homme noir il y a trois ans. Un clash pour lui ("moi vivant, il n'en sera même pas question") suivi d'une lettre à sa fille Juliette où il a dépassé toutes les limites. Depuis, Juliette ne voit plus ses parents et sa mère parle à mots couverts d'elle à cause des commérages qui pourraient en découler.
Despote, même ses trois petites-filles subissent sa tyrannie. A Châteauroux, il règne en maître sur sa maisonnée, use de calembours quelquefois douteux et s'enflamme contre les socialistes.

L'erreur serait d'imaginer penser que ce roman va tomber dans la succession de les clichés. Car monsieur Loriot disparaît brusquement et à partir de cet événement, l'auteure nous entraîne sur un autre terrain. Le ton piquant change de registre mais il reste toujours alerte. Qui est vraiment Raymond Loriot? A t-il été toujours cet homme si antipathique?

Dans ce qui aurait pu n'être qu'une comédie sur le moeurs de la petite bourgeoisie provinciale dans les années 80 et le portrait d'une famille, Clélia Anfray nous parle d'amour, d'acte de bravoure, du poids et de l'héritage familial, des carcans,  de la folie d'une vie rêvée que l'on aimerait pouvoir s'accorder.
On découvre un Raymond Loriot sans sa carapace, mis à nu et confronté à un réalité inattendue.
Un roman surprenant à plus d'un titre !

Jeanette l'observa encore. Cet homme ruinait tout sur son passage et se desiderata faisaient si bien plier son entourage que chacun à sa manière, par son silence ou sa soumission, lui donnait finalement raison.

L'hypothèse même que l'erreur pût venir de lui ne l'effleurait pas. Monsieur Loriot ne se trompait jamais. Et s'il avait eu à l'admettre, le sol se serait dérobé sous lui, non pas tant parce qu'il aurait commis une erreur - même cela, dans le monde de Loriot, faisait partie des possibles - que parce cette erreur si manifeste, si éloquente, si significative l'aurait fait douter de lui-même et de ses intentions, celles de cacher à tous un projet qu'il trahissait là au grand jour.

samedi 9 août 2014

Tove Jansson - Le livre d'un été

Éditeur : Le Livre de Poche - Traduit du suédois par Jeanne Gauffin - Date de parution : Avril 2014 - 167 pages lumineuses !

Sophie passe les étés chez sa grand-mère sur une île du golfe de Finlande. Au gré du temps et des humeurs de la mer, la grand-mère et Sophie très complices s'enrichissent mutuellement. Les promenades où la vieille femme remet en place avec sa canne les plaques de mousses détachées des roches, les baignades, les parties de pêche ou les déplacements en barque sont autant de moments simples où elle apporte des réponses aux questions de Sophie. Des réponses dotées de ce bon sens pour que Sophie sache écouter l'autre, le respecter tout comme la nature. Contrairement aux personnes qui ont des œillères autour des yeux, elle est un brin espiègle,  fantasque, et fume en cachette de sa petite-fille. Même si quelquefois elles sont toutes les deux en désaccord, cela ne dure jamais longtemps. De cette relation unique baignée d'amour en harmonie avec la nature, chacune revoie ses positions ou ses idées en cas de désaccord. Et Sophie s'en forcément sans s'en rendre compte grandira de ce que sa grand-mère lui transmet.

De ces semaines passées au plus près d'une forêt qui abrite des êtres imaginaires, de la mer qui sur une prière peut devenir tempête, ce livre dégage une réelle luminosité apaisante et lucide.
L'esprit baigné de rêves et d'images de ces paysages, encore enveloppée de la communion avec cette nature et de la personnalité de cette grand-mère que l'on aimerait connaître, il s'agit d'une très belle lecture !

La grand-mère n'était pas toujours très logique. Elle avait beau savoir qu'il ne faut pas se faire de mauvais sang pour les petites îles qui prennent soin d'elles-mêmes, elle s'inquiétait toujours quand arrivait la sécheresse. Le soir, elle trouvait une excuse pour descendre jusqu'au marais où elle avait caché un arrosoir sous les aulnes, et avec une cuillère à café elle écopait jusqu'à la dernière goutte. Elle faisait ensuite le tour de l'île, versait un petit peu d'eau ça et là sur ses plantes préférées, et remettait l'arrosoir dans sa cachette. A l'automne, la grand-mère recueillait des graines sauvages dans des boîtes d'allumettes, et le dernier jour, avant de quitter l'île, elle allait faire un tour et les plantait, mais personne ne savait où.

Une lecture commune avec Cathulu

jeudi 7 août 2014

Agnès Desarthe - Comment j'ai appris à lire

Éditeur : Points - Date de parution : Mai 2014 - 147 pages passionnantes !

Comment peut-on suivre une terminale littéraire et se lancer dans des études d'hypokhâgne sans lire ? A cette question qui paraît totalement incohérente, Agnès Desarthe y répond en retraçant son parcours avec un recul et de vraies réflexions.
Enfant et adolescente, elle a grandi dans une famille où on lit. Mais elle ça ne l'intéresse pas. Ecrire oui mais lire non ! De son rapport à la lecture d'abord rejetée en bloc, des essais de son père pour qu'enfin elle lise par plaisir, elle se livre avec lucidité, humour et auto-dérision.

Et il en faut car la lycéenne arrogante et rebelle laisse place à celle qui tombe dans la lecture avec amour.
Un Amour (avec un grand A) des mots qui jaillit de l'écheveau familial. La découverte de Marguerite Duras puis  celle des livres en version originale qui seront des invitations à se plonger dans un texte, une professeur madame B. pédagogue. C'est un ensemble d'éléments qui s'emboîtent comme des déclics pour arriver au coup de foudre ( "Je deviens chaque phase, chaque mot, la révélation ne cesse d'avoir lieu") mais surtout il y a un cheminement personnel.

Et si vous doutez encore, les parties où elle parle de son travail de traductrice est fabuleux ! J'ai ressenti son humilité et sa rigueur de traductrice qui ne veut pas laisser son empreinte pour que le texte original soit pur... C'est beau.
Un livre tout simplement passionnant qui rend hommage au bonheur de  la lecture ! J'ai vibré, j'ai été captivée !

Un livre devenu hérisson donc difficile de choisir un extrait....
Les billets de Cuné et de Keisha vous mettront  l'eau à la bouche !

Lu de cette auteure : Ce qui est arrivé aux Kempinski -  Dans la nuit bruneUne partie de chasse

mercredi 6 août 2014

Molly Keane - Chasse au trésor

Éditeur : Editions de la Table Ronde - Traduit de l'anglais (Irlande) par Cécile Arnaud - Date  de parution : Mai 2014 - 270 pages plaisantes !

Sir Roderick le maître de Ballyroden vient de rendre l'âme et aux  lendemains de la Seconde Guerre mondiale les temps sont durs en Irlande. Son fils Sir Philip hérite bien entendu du domaine mais surtout, cerise sur le gâteau,  de dettes. Son père n' a eu cesse de vivre au-dessus de ses moyens comme son frère Hercules et sa sœur Consuelo. Tous deux résident à Ballyroden et s'imaginent que la belle vie va continuer. Mais Philip ne voit pas les chose sous cet angle. Lui qui a servi durant la guerre fait preuve de lucidité, trait de caractère dont semblent dépourvus la famille hormis sa cousine Véronica. Afin d'éviter la ruine, Philip décide que Ballyroden accueillera des hôtes payants. Ce portrait de famille ne serait pas complet sans parler de l'adorable tante Anne Rose qui s'imagine voyager à travers le monde entier dans sa chaise à porteurs...

Si toute la famille doit se serrer la ceinture, Hercules et Consuelo ne sont pas d'accord. Les voilà désormais priver de courses de chevaux et de champagne. Eternels capricieux, les domestiques les cajolent toujours comme quand ils étaient enfants.  Et quand les premiers hôtes arrivent, ils décident de saborder l'entreprise de leur neveu. Les hôtes anglais s'imaginent trouver de la bonne nourriture et être accueillis avec chaleur. Ils devront non seulement surmonter la froideur et l'humidité de la maison, l'isolement mais  supporter Hercules et Consuelo.
Avec un humour soit tendre soit plus ironique, Molly Keane dépeint des personnages attachants malgré leurs défauts (j'ai adoré le personnage  de tante Anne Rose totalement charmante et décalée ! ).
L'intrigue du trésor que détiendrait la vieille tante n'est qu'un prétexte à donner vie à des scènes et des situations où des joutes verbales fusent.
Mais sous ses airs faussement légers,  ce roman décrit deux générations qui n'ont pas les mêmes les mêmes rapports à l'argent et aux rangs sociaux.
Même si elle s'essouffle un peu sur la fin,  il s'agit d'une lecture plaisante !  

- Madame Howard, avez-vous déjà entendu parler de banqueroute? 
- Oui, bien sûr, qui n'en a pas entendu parler? C'est une façon d'arrêter de payer les factures.

Le billet de My Lou Book

Lu également de cette auteure : Fragiles serments

mardi 5 août 2014

James Scudamore - La clinique de l'amnésie

Éditeur : Stock - Traduit de l'anglais par Anne Rabinovitch - Date de parution : Mai 2014 - 300 pages et une déception... 

Anti vit en Equateur avec ses parents. Ce fils unique d'origine britannique dont les parents font partie de la bonne société a pour ami Fabian. Orphelin à l'imaginaire foisonnant, aventurier et intrépide, son éducation est entre les mains d'un fantasque oncle Suarez. Les deux garçons passent beaucoup de temps chez Suraez. Anti échappe ainsi à la rigidité de ses parents car Suraez  nourrit leur imaginaire d'histoires abracadabrantes et de mythes. Mais Fabian ne s'est jamais remis de l'accident qui a coûté la vie à ses parents et il croit que sa mère dont le corps n'a jamais été été retrouvé est toujours vivante. Pour aider Fabian, Anti décide de croire à sa version des faits et de lui donner un espoir. Et si sa mère était tout simplement devenue amnésique? Les deux garçon partent à sa recherche.

Ce roman aurait pu me plaire : la vérité adoucie ou transformée par des mensonges pour la rendre plus supportable ou pour essayer de rendre "réel" un désir, l'amitié, la quête d'Anti et Fabian qui à la porte de l'adolescence ont des attitudes opposées. Mais la trame serpente pour  vouloir aborder trop de thèmes et au final effleure souvent. Je me suis souvent sentie égarée en me demandant où l'auteur voulait me conduire. Des longueurs inutiles gâchent à mon goût ce roman et  lui retirent le charme de la découverte de l'Equateur.
Un maillage plus resserré aurait permis que je ne papillonne pas et que mon intérêt reste éveillé. Et c'est d'autant plus dommage car la fin sur la culpabilité et le repentir est très réussie...

vendredi 1 août 2014

Grand Corps Malade - Patients

Éditeur : Points - Date de parution : Mai 2014 - 166 pages et un uppercut...

Le choc n'a duré qu'une seconde mais ses ondes ne laissent personne indifférent,
 « Votre fils ne marchera plus », voilà ce qu'ils ont dit à mes parents.

Alors j'ai découvert de l'intérieur un monde parallèle,
Un monde où les gens te regardent avec gêne ou avec compassion,
Un monde où être autonome devient un objectif irréel,
Un monde qui existait sans que j'y fasse vraiment attention.

Ce monde-là vit à son propre rythme et n'a pas les mêmes préoccupations,
Les soucis ont une autre échelle et un moment banal peut être une très bonne occupation,
Ce monde là respire le même air mais pas tout le temps avec la même facilité,
Il porte un nom qui fait peur ou qui dérange : les handicapés.

On met du temps à accepter ce mot, c'est lui qui finit par s'impose,
La langue française a choisi ce terme, moi j'ai rien d'autre à proposer,
Rappelle-toi juste que c'est pas une insulte, on avance tous sur le même chemin,
Et tout le monde crie bien fort qu'un handicapé est d'abord un être humain.
(..)
Certains savent comme moi qu'y a des regards qu'on oublie pas.

C'est peut-être un monde fait de décence, de silence, de résistance,
Un équilibre fragile, un oiseau dans l'orage,
Une frontière étroite entre souffrance et espérance,
Ouvre un peu les yeux, c'est surtout un monde de courage.

Quand la faiblesse physique devient une force mentale,
Quand c'est le plus vulnérable qui sait où, quand, pourquoi et comment,
Quand l'envie de sourire redevient un instinct vital,
Quand on comprend que l'énergie ne se lit pas seulement dans le mouvement.

Parfois la vie nous teste et met à l'épreuve notre capacité d'adaptation,
Les cinq sens des handicapés sont touchés mais c'est un sixième qui les délivre,
Bien au-delà de la volonté, plus fort que tout, sans restriction,
Ce sixième sens qui apparaît, c'est simplement l'envie de vivre.

Ces parole sont extraites de la chanson Sixième sens  qui figure en avant-propos de ce livre. En les lisant, j'ai été touchée par la justesse et la réalité qui en ressortent. Et ce titre car "Quand tu n'es pas autonome, tu passes plus de temps à attendre qu'à faire les choses. Un bon patient sait patienter."
Un plongeon dans une piscine qui manquait d'eau et Fabien Marsault âgé de vingt ans est hospitalisé en réanimation. Puis vient le temps du centre de rééducation. "Tétraplégique incomplet", il va réussir à reconquérir une mobilité. Un parcours avec fauteuil roulant électrique, des séances de kiné, les aides-soignants et les autres personnes (personnel médical et patients) du centre.

Sans misérabilisme mais avec humour, lucidité et des touches de sensibilité, Grand Corps Malade raconte ces journées, ces mois. L'intimité envolée, la dépendance mais aussi les rires, des situations décrites avec dérision alors qu'elles sont graves, dures. Car l'humour reste la meilleure arme face au handicap. Pour soi et pour sa propre estime...
Un témoignage uppercut qui vous vous en doutez n'a pu que me toucher.

Tout le monde s'habitue. C'est dans la nature humaine. On s'habitue à voir l'inhabituel, on s'habitue à vivre des choses dérangeantes, on s'habitue à voir des gens souffrir, on s'habitue nous-mêmes à la souffrance. On s'habitue à être prisonniers de notre propre corps. On s'habitue, ça nous sauve.

Le billet de Cathulu