vendredi 2 avril 2010

Marie Le Gall - La peine du Menuisier



L’auteure Marie Le Gall nous raconte son enfance dans les années 1950 et 1960. Une enfance partagée dans le Brest d’après-guerre et le « penn-ti », la maison pour les vacances. Marie n’était pas une enfant désirée. Comme on disait elle était un « un accident » survenu trop tard, son père avait déjà 52 ans et sa mère avait 44 ans à sa naissance. Sa sœur, Jeanne, de 19 ans son aînée est différente, une « innocente » car on ne nommait pas l’handicap ou la folie. Son père, qu’elle nomme le Menuisier travaille à l’arsenal. Un homme peu causant, un brin taciturne et distant. Sa mère, comme beaucoup de femmes, a les nerfs fragiles, la grand-mère Mélie qui porte en continu le deuil, vit avec eux. Cette grand-mère est la mémoire de tous ces gens de la famille que Marie n’a pas connu.

Une enfance et une famille où les morts ont leur place. Elle aime se promener au cimetière avec sa grand-mère, et dans la maison on vit avec les morts. Il y la photo de René-Paul, le fils de la grand-mère emporté à cinq ans par la maladie, celle du grand-père. Les adultes de la famille ont l’habitude de parler Breton entre eux, Marie essaie de deviner, de comprendre des mots ici et là. Enfant solitaire ayant peu de distractions, Marie est confrontée et vit avec le silence. Ce silence qui arrive dans les conversations et qui remplace les mots, ou celui qui fait office de réponse. Pourquoi le Menuisier ne lui parle pas ? Est-ce que parce qu’elle ressemble physiquement à sa grand-mère paternelle ?

Arrivée à l’âge adulte, Marie Le Gall aura besoin de savoir ce qui se cache derrière tous ces non-dits, le silence du Menuisier à son égard, et ces regards fuyants car elle en porte en elle l’histoire de sa famille.

Dans mon billet d’hier, je vous disais que ce livre me noyait d’émotions. Que dire aujourd’hui alors que je l’ai terminé ? La fin a retenti, une fin qui délivre et qui me laisse complètement sonnée, aphone…

Je vais faire de la redite mais c’est une lecture très belle, poignante, empreinte de pudeur et d’une sensibilité à fleur de peau.
Marie Le Gall nous confie son histoire sans fioritures avec des mots qui sonnent justes. Est-ce que c’est parce qu’elle nous livre des émotions vécues? Je n’ai pas la réponse…
Bien sur, ce livre est lié à la Bretagne de cette période où l’on ne parlait pas beaucoup et où beaucoup de sujets étaient tabous, protégés et défendus par des silences. Le cantonner à l’histoire d’une région, des mentalités de l’époque serait injuste car il traite de l’échec de cette relation père-fille. Comme Marie Le Gall le dit « j'étais la fille du Menuisier, je le savais. Jeanne, malgré sa folie, était plus normale que moi, côté filiation. Elle le nommait. Pas moi. Nous n'avions pas de mots l'un pour l'autre. Notre lien était un long fil continu que personne ne pouvait voir. Aucun mot ne s'y accrochait comme le font les notes sur une portée. Nous-mêmes en étions ignorants, seulement soupçonneux de sa présence tenace ».

Bien que née en 1971, j’ai connu moi aussi les conversations des adultes en Breton, les silences sur certains points. Comme l’auteure, j’ai éprouvé le besoin de remonter l’histoire de ma famille. Pourquoi ? Parce que je savais qu’il y avait des non-dits. Je possède toutes les photos anciennes, j’ai fait des recherches et désormais je peux mettre bien plus qu’un nom sur chaque visage. Une vie « d’un autre temps », des vies souvent difficiles …

Les temps ont changé, évolué mais une chose demeure, nous portons toujours à notre naissance le sceau de notre ascendance.

Un très gros coup de cœur pour cette lecture magnifique et bouleversante. A lire absolument, il suffit juste de se laisser porter par l’écriture de Marie Le Gall pour ressentir toutes les émotions…

Sylire, Yvon, Aifelle, Leilonna en parlent également.

Dernière chose sur le site de Dialogues, il y a une interview très touchante de Marie Le Gall où elle parle de son livre.

« J’étais née, porteuse de vies ombrageuses qui n’étaient pas la mienne, ignorant que tout était déjà drame autour de moi. J’étais leur soleil fragile ».

7 commentaires:

keisha a dit…

Tu en parles bien... Pas encore lu...
Quand souffle le vent du nord doit te changer...

Clara et les mots a dit…

@ Keisha : Je vais en faire un livre voyageur ...
Après une lecture aussi bouleversante, il me faut une lecture plus "légère"...

Aifelle a dit…

C'est un roman qui imprime une vraie marque sur les lecteurs ! Je te disais hier que je n'étais pas bretonne, mais son récit a quelque chose d'universel. Nous venons toutes d'ancêtres paysans et provinciaux, de générations qui se taisaient et nous en portons l'empreinte. Marie Le Gall a su remarquablement restituer cette histoire.

Clara et les mots a dit…

@ Aifelle : tu as et le mot universel convient tout à fait à ce livre.

Gwenaelle a dit…

J'ai hâte de le commencer! Bon grand week-end!

Clara et les mots a dit…

@ Gwen : si tu veux, je peux te l'expédier. Bon WE à toi aussi, bises !

Emilie a dit…

Je regrette tellement...je suis passée à côté de l'auteur à la foire du livre de Brive et j'ai hésité et je n'ai pas acheté le livre.
L'année prochaine, j'y retourne et je l'achète ;-)