jeudi 5 août 2010

Sylvie Germain - La Pleurante des rues de Prague


Editeur : Gallimard - Collection : Collection Folio- Date de parution : 1994- 128 page sublimes...

Elle est entrée dans le livre. Elle est entrée dans les pages du livre comme un vagabond pénètre dans une maison vide, dans un jardin à l'abandon. Elle est entrée, soudain. Mais cela faisait des années déjà qu'elle rôdait autour du livre. Elle frôlait le livre qui cependant n'existait pas encore, elle en feuilletait les pages non écrites et certains jours, même, elle a fait bruire imperceptiblement ces pages blanches en attente de mots.
Le goût de l'encre se levait sur ses pas.
A la lecture de ces premières lignes, j’ai su que j’allais aimer ce livre. La narratrice nous dépeint les apparitions de cette femme.

La Pleurante est l’image évanescente d’une femme sans nom, ni âge, ni visage. Corps immense dissimulés sous des vêtements sans forme et dont la claudication se voit mais ne s’entend pas. Elle marche sans bruit ne laissant aucune trace de son passage :
Cette femme ne fait aucun bruit en marchant. Ses pas sont silencieux , mais son corps, lui, est chuchotant. Un chuchotement de vent tremble dans les plis de sa robe, un discret chuchotis de l‘encre y frémit ou bien est ce des larmes .

Car son corps tout entier charrie des pleurs :
Son corps était un lieu de confluence d’innombrables souffles, larmes et chuchotements échappés d’autres corps. Qui donc pleurait ainsi en elle ?.

On ne la voit qu’à Prague dont elle est la mémoire depuis des siècles :

Elle est ainsi la géante au pied boiteux, la Pleurant des rues de Prague, elle porte dans les plis de ses hardes couleur de terre et de muraille des noms, des visages et des voix par milliers et par milliers.(…)Elle est la peau du temps.

Elle porte la douleur des vivants et des morts, les plaintes et les souffrances de vies. Vision fugitive emplie des cris d’horreur des victimes de la seconde guerre mondiale, elle porte la misère, les injustices. Mémoire des hommes, la narratrice revoit son père à travers elle, mémoire des gens humbles et pauvres :

Elle est la mémoire mendiante, la mémoire souffrante, mais qui jamais ne renonce, ne trahit son passé, n'abandonne son peuple. Elle est la mémoire qui marche, qui marche, glanant et ramassant tous les déchets jetés par la mémoire belle, sélective et hautaine. Elle recueille les vies infimes, les destins minuscules des gens de rien.

Je ne sais pas comment parler de ce livre tellement il m’a touchée … Un très bel hommage à Prague, à son histoire, à la mémoire des Hommes et à l’écriture. Une fois de plus, j’ai été envoûtée, subjuguée par la plume de Sylvie Germain et j’ai terminé ma lecture la gorge serrée d’émotions…

On ressent ce livre. Beauté des mots dont la puissance est portée tout en grâce en un texte sublime.

Tout reste à dire, tout reste à faire. A récrire. Ou peut-être, plutôt, tout reste à lire, car ce sont les autres, les vivants et les morts, qui constituent déjà le livre, tout livre.
Tout reste à lire, à travers les larmes, de ses yeux. A travers ce prisme de pitié. Pitié qui est aussi, surtout, fierté pour les autres, et exigence de dignité.


Un coup de cœur dont je parle maladroitement…

18 commentaires:

Paolina a dit…

Pas si maladroitement car je suis très touchée!

lucie a dit…

c'est le problème des livres coups de coeur on a toujours l'impression que le billet écrit pour les célébrer n'est pas à la hauteur...

Delphine a dit…

Encore un livre de Sylvie Germain à lire ! Je n'ai lu que Magnus, mais il semble que tant d'autres sont à découvrir. Je note celui ci.

Aifelle a dit…

Je l'ai lu à sa sortie et j'avais beaucoup aimé, c'était le premier de Sylvie Germain que je découvrais. Je te signale qu'elle passe sur France Culture tous les jours à 13 h 30 la semaine prochaine, dans le cadre d'un voyage en transsibérien.

zorane a dit…

Je n'avais pas été emballée par L'inarperçu mais je tenterais bien celui-là

noann a dit…

J'aime beaucoup Sylvie Germain

J'avais lu deux livres d'elles, qui m'avaient séduite par son écriture et sa profondeur

Celui-ci je ne connaissais pas, mais vous m'évaez donné envie de le découvrir merci

Noann

Anne Sophie a dit…

joli billet qui donne envie de découvrir ce livre :)

mazel a dit…

tentatrice... tu en parles vraiment bien,
bises

Karine:) a dit…

Je suis touchée aussi! Comme je veux aller à Prague, je le note... en plus, j'ai aimé Magnus de la même auteure...

Clara et les mots a dit…

@ Mirontaine : ce livre est sublime... l'écriture, les thèmes!

@ Lucie : exactement!

@ Delphine : celui ci est à lire comme "jours de colère"

@ Aifelle : je continue à lire cette auteure. Et pour le moment, pas de déception... On m'a conseillé ses premiers livres.
Et merci pour l'info !

@ Noann : il s'agit d'une auteure que j'admire! Ses livres sont forts et dégagent une magnificence dans l'écriture. Merci de ta visite!

@ Anne Sophie : je suis encore sous l'emprise de cette lecture...

@ Zorane : lis celui-ci pour te faire un autre avis...

@ Mazel : il y a des lecture si fortes et si belles qu'elles sont inclassables...

@ Karine :) : tu aimeras celui-ci!

Pickwick a dit…

Je retrouve dans les extraits la plume à laquelle je n'ai pas été très sensible avec Jours de colère (d'ailleurs je mets mon billet en ligne la semaine prochaine surement !)

Cécile a dit…

J'ai le droit de dire sans te fâcher que Magnus ne m'a laissé aucun souvenir ? Mais je retenterai l'auteur, un jour ...

Clara et les mots a dit…

@ Cécile : ah oui, je suis très fâchéee et en colère...

Cécile a dit…

Aïe !!!!! Tant pis pour moi ;-))))


Bises, Clara !

BelleSahi a dit…

J'aime l'écriture de Sylvie Germain. Je n'ai pas lu celui-là et ton post n'est pas maladroit puisqu'il donne envie de lire de roman.

Clara et les mots a dit…

@ BelleSahi : pour moi c'est le plus beau de ses livres ( même si je suis loin de les voir tous lus)

liliba a dit…

Un Sylvie Germain que je ne connais pas ? Mais ça ne va pas du tout, ça, je ne suis plus du tout à jour dans ma LAL !!!

mireille a dit…

Clara,je ne peux que répéter,moi aussi,j'avais été envoutée par la Pleurante. De la poésie pure