vendredi 2 septembre 2011

Emmanuel Carrère - Limonov

Éditeur : POL - Date de parution : Septembre 2011 - 489 pages

Un soir, alors qu'il se trouvait à Moscou,  Emmanuel Carrère aperçoit un visage connu : Limonov. Il l’avait  rencontré pour la première fois au début des années 1980 à Paris quand Limonov avait accédé à un certain succès avec son  livre Le poète russe préfère les hommes nègres. Il le croyait en prison et voilà comment Emmanuel Carrère s'est intéressé à la vie de Limonov.
Pourquoi écrire sur lui ? Emmanuel Carrère répond  « Limonov, lui, a été voyou en Ukraine; idole de l'"underground" soviétique ; clochard, puis valet de chambre d'un milliardaire à Manhattan; écrivain à la mode à Paris; soldat perdu dans les Balkans; et maintenant, dans l'immense bordel de l'après-communisme, vieux chef charismatique d'un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud: je suspends pour ma part mon jugement. Mais ce que j’ai pensé (…) c’est que sa vie romanesque et dangereuse racontait quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Quelque chose, oui, mais quoi ? Je commence ce livre  pour l’apprendre. »

Emmanuel Carrère en nous racontant la vie de Limonov depuis 1943 nous déroule une autre histoire. Avec talent. La grande Histoire : la mort de Staline, la chute du Communisme, les enjeux géopolitiques, la nouvelle Russie et ses nouveaux riches ( et j'en passe)… Tous ces évènements, Limonov les a connus d’une façon ou d’une autre. Edouard Limonov, de son vrai nom Savenko est né en 1943 en Ukraine. Une enfance à la dure et très tôt, Limonov n’a qu’une envie : devenir un héros.
Poète à ses débuts, le surnom de Limonov lui est attribué ( Limon : citron et de Limonka : grenade). Limonov voit grand et décide de quitter le pays natal pour les Etats-Unis avec sa femme  Elena. Nous sommes en  1975. Le couple réussit à s’introduire dans les cercles privés et prisés. Tous deux espèrent et convoitent la gloire qui ne viendra pas. Elena le quitte et Limonov  devient un clochard puis un valet de chambre au service d’un milliardaire américain. En 1980, il arrive à Paris, écrit dans la revue de Jean-Edern Hallier. Ses livres qui  portent tous sur sa vie connaissent un certain succès mais pas de quoi rouler sur l’or. Puis, Limonov part à Moscou. Il se mêle de la politique, rêve d’idéologie. Le voilà à Sarajavo là où on ne l’attendait pas. Ses idées flirtent avec le fascisme. Puis de retour à Moscou, il crée son propre parti national-bolchevique. Il sera condamné à quinze ans de prison et libéré avant d’avoir purgé entièrement sa peine grâce à ses livres.

Alors oui, celui qui rêvait de devenir un héros est prétentieux, jaloux, profiteur, un brin voyou, provocateur … et la liste est longue ! Mais c’est aussi un homme, un écrivain qui n’a jamais renié ses actes ou ses propos. Fidèle à lui-même, il n’a jamais retourné sa veste pour redorer son image.

Emmanuel Carrère ne juge pas mais intervient avec des anedoctes et en toute honnêteté. Allant jusqu’à dire qu’il a abandonné ce livre pendant plus d’un an à la vue d’un film où l’on voit Limonov « jouer à la guerre » à Sarajevo.

Dans ce livre, Emmanuel Carrère démontre une fois de plus  son talent hors-pair de narrateur. Et, il s’agit d’un livre fourni , brillant, très intéressant  et où aucun détail n’est laissé au hasard ! 


Je ne connaissais de l'histoire des pays de l'Est que ce que j'ai pu apprendre  sur les bancs du lycée et  en suivant par la suite l'actualité mondiale. Pas plus, pas moins. Ce livre m'a beaucoup apportée sans que je sois une férue d'histoire.

A la question, Limonov est-il une sorte de héros ou une misérable crapule ? A chacun de se faire sa propre opinion avec tous les éléments apportés...

Un grand merci au Club de Lecteurs Dialogues Croisés!

 



34 commentaires:

Mélopée a dit…

J'en ai entendu beaucoup de bien. Ta critique enfonce le clou !

Mangolila a dit…

J'aime beaucoup cet auteur (sauf son livre où il retourne en Russie, je ne sais plus le titre) mais celui de l'an dernier m'avait énormément plu
"D'autres vies que la mienne". J'ai bien envie de lire celui-ci aussi après ce que tu en dis.

Les Livres de George a dit…

Je n'ai encore rien lu de Carrère, mais on m'a dit le plus grand bien de "d'autres vies que le mienne", et j'ai très envie de lire ce nouveau roman !

Olivier Bihl a dit…

Voilà le livre que j'attends le plus, je suis heureux d'avoir enfin un avis, enthousiaste, d'une lectrice après tous ses avis très positifs de la presse

Mélo a dit…

Je n'ai jamais lu cet auteur mais j'ai bien envie d'essayer.

Lili Galipette a dit…

Bouh, plus on en parle et moins j'ai envie de le lire...
Je ne connais pas Emmanuel Carrère et ce titre-là ne m'encourage pas à faire sa connaissance...
Une autre fois peut-être !

Aifelle a dit…

Je suis déjà fatiguée d'en entendre parler dans tous les médias qui ne tarissent pas d'éloges, mais je le mets quand même sur ma liste, pour bien plus tard.

Jules a dit…

Un auteur chouchou dont j'attends l'arrivée du livre au Québec avec imaptience!

Theoma a dit…

déjà lu ? mais tu dégaines plus vite que ton ombre !!

Voyelle et Consonne a dit…

Un livre que je ne tarderai pas à lire.

Valérie a dit…

Un grand merci Clara car grâce à toi qui t'es dépêchée de le lire, il va bientôt arriver chez moi!

Papillon a dit…

Ah ! Le voici, ce fameux Limonov dont tout le monde parle ! Je ne suis pas du tout fan d'Emmanuel Carrère, mais là tu me tentes presque... A suivre...

sylire a dit…

Je suis très tentée. J'ai lu presque tous ses romans et c'est un auteur qui ne me laisse jamais indifférente. J'avais particulièrement aimé "d'autres vies que la mienne".

Gambadou a dit…

j'aime bien cet auteur, mais étonnement celui ci ne me tente pas.... jusqu'à ce que certains billets me fassent changer d'avis !

moustafette a dit…

M'étonne pas que ce Limonov ait plu à l'auteur... A lire sans hésitation en ce qui me concerne.

antigone a dit…

Je ne sais pas pourquoi ce livre ne me tente pas et on en parle de trop partout à mon goût, comme d'un chef d'oeuvre...

claudialucia ma librairie a dit…

Voilà un livre qui est salué comme une grande oeuvre. Mais j'avoue que j'ai hésité à le choisir et ne l'ai pas fait fait, ayant peur de succomber à la difficulté historique. Je vois d'après ton billet, qu'il n'en est rien.

keisha a dit…

Bah, je lirais plutôt "D'autres vies que la mienne", pas envie d'histoire russe actuellement!
Mais je vois que tu s à la pointe de la rentrée littéraire française!Continue, tu testes pour nous!

Asphodèle a dit…

Pffiou je n'ai pas le temps de te suivre en ce moment, tu galopes de livre en livre comme un lapin ! J'ai "d'autres vies que la mienne" dans ma PAL, donc j'attendrai pour celui-ci.

Emeraude a dit…

Mon chéri l'a lu, et a aimé mais il me dit que ça ne devrait pas être classé en tant que roman... qu'en penses tu ?

Clara et les mots a dit…

@ Mélopée, Aifelle, Georges: j'aime beaucoup cet auteur pour son talent de narrateur et pour ce qu'il écrit!

@Loubhi49 : je n'avais pas voulu lire aucune critique( presse ou blog) avant. C'est une devise... Pour une fois, je suis d'accord avec les critques des professionels alors!

@ Mélo : il fait partie de mes auteurs chouchous...

@ Lili : pourtant, il a un style! Tu devrais au moins tenter de lire un livre plus ancien...

@ Aifelle : l'année dernière, c'était Purge de Sofi Oksanen qui faisait la une, cette année c'est Limonov! Et on peut établir une comparaison: tous les deux se passent dans le pays de l'Est, tous les deux parlent d'un avant et d'un après...

@ Jules oui !!!!

@ Mélo : j'en ai lu quelques uns : d'autres vies que la mienne, la moustache, classe de neige, l'adversaire... et je n'ai jamais été déçue !

@ Théoma : je l'ai eu en avance...
C'est bien connu qu'à l'Ousst, les femmes dégainent plus vite que leur ombre et que les brestoises qui lisent sont dangereuses... :)

@ Voyelle et Consonne : on apprend sans se rendre compte.. on suit l'Histoire d'un pays et celle d'un homme...

@ Valérie: et déposé hier après- midi chez Dialogues !

@ Papillon : je ne peux le conseiller !

@ Sylire : pareil ! Emmanuel Carrère est un auteur dont je lis presque systématiquement tous ses livres!

@ Gambadou : pourtant, il nous ouvre la porte sur une vision de pays qui ont changé ( et sur beuacoup de points) en quelques décennies... impacts, conséquenecs sur la population : tout y est ! et dans ce chambardement, il y a Limonov, un électron libre, une personnalité hors normes...

@ Moustafette : exactement !

@ Antigone : cf ma réponse à Aifelle. Pour moi, il s'agit d'un très grand livre!!!!

@ Claudia: moi et l'Histoire n'avons jamais été de grandes amies. Ce qui est formidable, on apprend, on re-découvre l'Histoire mais pas vu de notre coin de France, mais par Limonov et/ou par des gens qui ont vécu tous ces changements. Et c'est que ce qui est remarquable!

@ Keisha : je trouve que cette année, il y a vraiment de très bons livres, des sujets variés .. Bref, je m'éclate avec cette rentrée littéraire !!!!

@ Asphodèle : oui, je suis une incorrigible lectrice !

@ Emeraude : dans ma réponse à Gambadou et à Claudia,j'explique une partie de mon point de vue. Il y a la vie de Limonov, cet électron libre à multiples facettes et les chambardement des pays de l'Est depuis la seconde guerre mdondiale. Les deux histoires se desservent. Pour ma part, je pense que la vie romancée de Limonov est comme une couverture pour vraiment nous plonger dans la grande Histoire. Mais vu par ceux qui l'ont vécu.
Roman ou documentaire ? je ne sais pas mais je penche pour un roman documenté.

Kathel a dit…

J'ai beaucoup apprécié "D'autres vies que la mienne" et d'autres romans d'Emmanuel Carrère lus auparavant... un écrivain français qui trouve grâce à mes yeux, ce n'est pas si courant ! Je note celui-ci mais sans urgence.

Yv a dit…

Vraiment pas tenté : on en parle partout en bien, comme de D'autres vies que la mienne que je n'avais pas aimé du tout ! Je passe pour m'intéresser à d'autres.

Géraldine a dit…

Dis donc, tu es vraiment au taquet avec les livres de cette rentrée très riche. Soulagement pour moi, le thème de celui ci ne me tente pas franchement.

Violaine a dit…

En tant que fan inconditionnelle d'Emmanuel Carrère (croisé dans la rue le week-end dernier à Paris, mais je n'ai pas osé aller l'aborder), j'ai acheté ce nouveau livre et j'ai vraiment hâte de le lire (mais le boulot ne manque pas en cette rentrée scolaire). j'espère trouver le temps au plus vite, car tu ne fais que me conforter dans mon envie de le lire !

lasardine a dit…

j'ai beaucoup aimé, que dis je... j'ai adoré, ce que j'ai déjà lu de lui, mais j'avoue que ce titre me fait un peu "peur" malgré ce que tu en dis...

Clara et les mots a dit…

@ Kathel : non??? et bien c'est à retenir:)!

@ Yv : on en parle beaucoup, oui !Après les goûts et les couleurs..

@ Géraldine : il s'agit d'un auteur dont je lis chaque parution donc forcément,j'attendais ce livre!

@ Violaine : tu l'as croisé ? Fichte, je crois que j'aurais été incapable d'aligner 3 mots sans bafouiller!

@ Lasardine : il ne faut pas avoir peur,je t'assure !

Jon a dit…

J'ai également critiqué ce très bon livre:
http://jonathanfrances.wordpress.com/2011/09/12/un-anti-heros-de-notre-temps-limonov-demmanuel-carrere/

Valérie a dit…

Hier, je t'aurais dit que c'est un bon roman. Après les pages lues ce soir et consacrées plus à l'auteur et à ses blessures qu'à Limonov, je le trouve très bon. Qu'en penserai- je demain?

Clara et les mots a dit…

@ Jon : merci pour ton lien !

@ Valérie : totalement conquise ?

Anonyme a dit…

Petite remarque sur le film dans lequel Limonov "joue" à la guerre. Non, à Sarajevo Limonov ne jouait pas à la guerre, il faisait la guerre. Apportant son soutien aux nationalistes serbes qui assiégeaient la ville, en tournée sur le front, il prend le fusil d'un sniper et tire. Il faut dire qu'à l'époque de nombreux ultra nationaliste russes sont venus à Sarajevo pour des "week end sniper", juste pour le plaisir de tirer sur des civils assiégés.... alors non, définitivement, Limonov à Sarajevo ne jouait pas à la guerre.

Clara et les mots a dit…

@ Anonyme : le choix d'écrire" jouer à la guerre " était voulu... Dans le livre, l'auteur explique très bien ce que Limonov faisait come vous l'expliquez. Mais je n'ai pas été convaincue de son engagement...

constance a dit…

un roman que j'ai bien aimé, même si je n'ai pas encore décidé que penser de ce Liminov. je suis par contre certaines d'avoir aimé suivre ses aventures entrecoupées des propos du biographe venant éclairer son rapport à la personne dont il rapporte la vie et le rapport d'une personne à l'histoire qu'il a traversé

Deashelle a dit…

Humanité en perte de tout repère, saluons le retour à la sauvagerie absolue sur notre continent européen !
La vie agitée de l’écrivain russe Limonov sert de trame pour expliquer les dessous de l’histoire Russe, de Staline à nos jours. Contre toute notion de politically correct: Bravo! De sa belle écriture richement documentée Emmanuel Carrère semble s’adresser personnellement au lecteur, mêlant sa vie à celle de son "héros". Expliquant la progression de son « roman » avec délicatesse, arguant régulièrement que "Tout est plus compliqué que cela». On adhère à la démarche.
On ressent par ailleurs une certaine fascination pour le personnage de Limonov qui n'a RIEN de sympathique. Le personnage est en effet odieusement carnassier depuis la plus jeune enfance. Entièrement tourné vers lui-même. Vivant dans une obscure ville d’Ukraine le jeune Edward Limonov, fasciné par l’héroïsme militaire comme un jeune fasciste des heures glorieuses du nazisme, se prend à dénigrer son père qui n’est pas à la hauteur de ses rêves. Circonstance atténuante ou aggravante ? sa mère ne cesse de le rudoyer et de le fustiger par exaltation communiste anti- familiale. Le décor est planté.
Toute sa vie il voudra devenir ce grand héros militaire mais sa myopie l’empêche d’embrasser la carrière. Il en ressort un être frustré, sans une once de bonté, une grenade de cynisme. Le détestable personnage assoiffé de violence et de pouvoir devient d’abord un jeune truand fasciné par le sexe, l’alcool et le meurtre puis aussi poète rebelle pour se hisser vers le pouvoir, au moins celui des mots. Jugé dangereux il se retrouve exilé aux Etats–Unis sans espoir de retour. Il reçoit une allocation d’insertion de l’état américain mais sombre dans les bas-fonds de la société, jalouse et continue à haïr le genre humain au complet, les dissidents Soljenitsyne et Brodsky en particulier. Il fréquente les sans-abris, découvre l’homosexualité pratique les beuveries jusqu’au coma éthylique. Ses écrits depuis toujours sont empreints de pure provocation et de violence.
Confessant des idées grandiloquentes, il arrive à trouver un emploi chez un millionnaire new-yorkais. Réussit à débarquer à Paris. « The place to be » où il effectue un séjour littérairement fructueux. Il est pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour il se hisse sans cesse vers le pouvoir en soutenant les faibles. Puis il se retrouve en URSS et fonde sous la direction d'Alexandre Douguine, le Parti national-bolchévique. Un parti fasciste et communiste, le bel alliage! Seule chose à son honneur il défend systématiquement le petit contre le puissant… mais prône la mort, la violence, la guerre au risque de devenir lui-même terroriste invétéré. Fasciné par les armes et la puissance, il trempe son son Rêve dans les guerres des Balkans tantôt aux côtés du génocidaire Milosevic tantôt aux côtés des musulmans. Tout pour l’action : dérive de ses lectures d’Alexandre Dumas. Déteste son adversaire électoral : rien moins que le président Poutine lui-même.
A la fin du livre on ne peu que plaindre le peuple russe qui a perdu 20 millions d’âmes du temps de Staline mais aussi toutes ses illusions après la chute du mur. Il vit désormais dans le chaos et l’indigence, hors les financiers véreux qui se sont tout approprié. Le livre est d'une immoralité sans rédemption. Poutine, tout aussi avide de pouvoir que le héros du livre a réussi là où Limonov a raté, mais qui peut prédire l’avenir? Entre réalité et fiction, Limonov n’a sûrement pas fini d’en découdre ! Rien ne change… depuis Catilina ! La vérité n’est pas belle à dire, mais il faut la dire. Orwell avait raison sur toute la ligne et a encore raison maintenant. On est sur ce point d'accord avec Emmanuel Carrère.
Le livre, lucide sans doute, brillant aux dires de certains, fait froid dans le dos, du début jusqu'à la fin, sans rémission.