Éditeur : Le Rouergue - Date de parution : Mars 2014 - 206 pages profondes pour un hymne merveilleux !
Un jour d'été dans un petit village près du Cap Fréhel en Bretagne, une famille enterre Julius. Un homme arrivé un beau matin lors de la marée d'équinoxe par voie de mer tout de blanc vêtu et à la peau d'ébène. Sous un soleil de plomb, le cercueil où repose Julius est transporté dans un petit cimetière qui surplombe la falaise. Julius n'était pas un membre de la famille mais désormais il va reposer avec les leurs. Julius est porté en terre alors qu'eux portent la culpabilité de sa mort : la grand-mère Léonie dont les yeux voient la vie en noir en blanc, sa fille Marie qui tient une galerie d'art et son mari Alban médecin, Lola leur fille aînée adolescente surnommée la simplette et Brian, leur fils un solitaire qui aime passer du temps dans la nature. Derrière le mot accident qu'ils emploient à mot couvert se cache le pourquoi de la mort de Julius.
Chacun se remémore sa rencontre avec Julius et les semaines qu'il a passées en sa compagnie. Marie lui a proposé naturellement de rester chez eux car elle possède deux chambres pour les artistes en résidence. Julius accueilli dans la maison familiale et qui chaque matin "
le corps aimanté vers la mer" disait à voix haute son Chant du monde "
une incantation sous la forme d'un inventaire génésique". Alors que la radio diffusait ses tristes nouvelles d'un monde de violence, il remerciait celui qu'il appelait Père. A travers chacune des cinq personnes de la famille, l'histoire de Julius nous est contée. Julius venu jusqu'à eux car "
dépourvus de violence et d'amertume. Des hommes tels qu'ils furent conçus à l'aube des temps(..). Des hommes dont la grande main est encore capable de poser une attelle à l'oiseau blessé, de construire un pont au-dessus des torrents, de tracer une route au milieu d'une forêt, sans en chasser les tribus et les bêtes alentour. Je cherche des hommes qui croient encore aux miracles.(...) Car je suis venu déciller vos yeux à la lumière du monde. Et qu'est qu'une histoire? me demanderez-vous à la suite. La narration d'un miracle. "
Julius accompagne Alban lors de ses visites à ses patients, écoute Brian lui raconter comment chaque vie aussi minuscule soit-elle sur terre a son importance. Il aime passer du temps avec Léonie la grand-mère pour qui la vie n'a pas été toujours rose et qui a perdu la foi après le décès de son mari. Marie s'est découverte un amour pour une femme, Alban le sait et l'accepte. Marie se partage entre sa famille et sa maîtresse. Et Lola s'éprend de Julius.
Enfin, il y a ce que Julius va partager avec eux, ce qu'il y a de plus beau et de plus grand : l'amour. Car Julius va "faire l'amour" avec chacun et sous cette expression se déploie ce que Julius leur apporte individuellement une forme de bonheur extatique. Mais les zones d'ombre de l'être humain éclaboussent toujours la lumière et la bonté.
Cette parabole à la lisère du conte est racontée en cinq scènes qui rappellent forcément la vie du Christ, (les cinq mouvements d’une tragédie classique). Et l'on pourrait croire que Julius est un fils de Dieu. Non, Fabienne Juhel n'a pas écrit un livre chrétien qui fait l'apologie de la religion. Elle nous propose une version moderne, en harmonie avec notre société de la venue d'un Elu sur Terre. Sans oublier l'humour, la poésie qu'elle manie avec brio, l'importance de la Terre et de notre mère Nature personnage omniprésent dans ce roman.
Une réflexion sur la vie, sur nos paradoxes dans lesquels nous sommes façonnés (et forcément à travers les personnages, on se reconnait par des fragments plus ou moins importants).
Une lecture qui sème des graines, qui nous apporte matière nourricière : le plus merveilleux cadeau qu'un livre puisse nous apporter.
Les grincheux et imbéciles seront choquées par cette audace mais n'est-ce pas le rôle de l'écrivain de bousculer et de nous permettre une ouverture d'esprit ?
Les autres se délecteront de ce livre dont le final offre un clin d'oeil merveilleux, pertinent et malicieux. Miracle ou mirage?
Nul besoin d'avoir passé son enfance à gambader dans des dunes entre les bruyères ou de s'être assis à l'ombre d'un calvaire en granit après une promenade en vélo pour apprécier cette lecture. Il suffit juste d'ouvrir son coeur et son esprit.
Il s'agit du livre le plus profond écrit par cette auteure, un roman porté par une écriture à son apogée ! Un livre devenu hérisson (mais je suis certaine que vous vous en doutiez ! )
En extrait, les premières lignes de la première page :
"
Je m'appelle Julius, né pour vous servir. Je suis arrivé ce matin par voie de mer avec la grande marée d'équinoxe. Mon voyage vous semblera d'un autre siècle, lointain ou à venir. J'aurai couvert une distance pour laquelle il n'existe pas d'unité de mesure, un espace-temps qui ne se calcule pas même en années-lumière. Aucun armateur connu de vos contrées ne fabrique cette coque qui m'amène jusqu'à vos rivages et dont il ne reste rien, ou presque, à l'heure où je m'achemine jusqu'à vous. Le destin pourvoira aux soins de mon retour, sous la forme qu'il lui siéra de me donner, goutte d'eau ou matière en fusion, nuage ou flamme, et à l'heure qu'il aura décidé. Car j'aurai pris soin d'effacer auparavant mes traces. D'effacer les signes extérieurs de mon passage parmi vous. D'allumer un feu. Un brasier nourri de bois flottés et de goémons secs, afin de brouiller les pistes. On ne m'a pas autorisé à vous livrer le secret de fabrication de mon esquif. Et pourtant, nul autre vivant n'aurait pu accomplir ce voyage à ma place. Vous dire quels ouvriers l'ont confectionnée et de quels matériaux mon embarcation se compose n'ajouterait que de la confusion et de l'embarras. Seules les sternes et les mouettes pourraient en saisir les subtilités, elles qui en connaissent intimement la forme et l'usage. Elles, dont les plumes partagent l'imperméabilité du carénage. Puisque dans le fracas de leurs piaulements, elles ont autrefois scandé les manoeuvres d'accostage de ces frêles esquifs, barrés par des moines, aux heures creuses où les hommes de peine dorment encore. Tenez-vous pour l'instant à cela, je vous prie. À cette première Vérité : je m'appelle Julius. D'autres déclarations suivront. En leur temps, je vous demande un peu de patience. Car, à qui sait attendre, le temps ouvre ses portes. (...)L'Élu naît pour servir, souffrir et mourir. Et mon mystère reste entier."
Et un passage au hasard des pages :
Est-ce que Dieu est responsable de toute la misère du monde? Après tout, il nous a donnés les clés du jardin, un beau cadeau en vérité, et c'était à nous;, les Hommes, de nous débrouiller ensuite pour ne faire un potager, un verger et une volière qui pourvoiraient à nos besoins.
- Les Homme sont orgueilleux, dit tout à coup Julius.
Sa déclaration fait écho à ma pensée. Alors pourquoi incriminer Dieu ? Parce que comme beaucoup d'hommes, et malgré mon âge qui devrait me faire avancer en sagesse, je suis de très mauvaise foi.
Lu de cette auteure adorée :
A l'angle du renard -
Les bois dormants -
Les hommes sirènes -
Les oubliés de la lande.