Parler de toi, mon père, c’est remonter un fleuve en pirogue. A l’heure de ces premières lignes lancées sur le papier, je cherche le lieu où tu pourrais être en 1932. Ce sera le début. Il en faut un, puisque ces pages à venir, maintes fois repoussées, timidement viennent enfin à moi.
Ce livre débute par ces lignes. Et à leur lecture, j’ai eu cette conviction intime que j’allais accéder à un bonheur rare et intense. Comment parler de ce livre qui continue de m’habiter ? Comment trouver les mots justes comme Ahmed Kalouaz est parvenu à le faire ?
A partir de photos et de souvenirs, Ahmed Kalouaz nous raconte la vie de son père. Né en 1917 en Algérie, son enfance a été marquée par la dureté de la vie : un père mort à la guerre, une mère qui l’a abandonné. Une enfance exploitée et passée à travailler pour pouvoir manger. La seconde Guerre mondiale lui fera porter la tenue des tirailleurs pour notre mère patrie. En 1952, il quitte l’Algérie pour venir s’installer en France. Le pays a besoin d’hommes et de bras. Il fait venir sa famille mais les événements le rattrapent et les Algériens sont montrés du doigt. Puis les années 1970 où le travail se fait rare alors qu’il y a la famille nombreuse à élever.
Au début de l’exode, le mot France voulait dire de l’argent et de la nourriture. Ce sont au fil des ans des enfants, beaucoup d’enfants. Avec ces naissances, le mal du pays se transforme. Parce nous prenons place naturellement ici, votre pays de cocagne se dérobe sous vos pieds, s’effiloche.
Court récit mais d’une intensité poignante qui prend aux tripes et à la gorge. L’auteur n’enjolive pas ou ne noircit pas le tableau. Dans cet hommage vibrant et intelligent à son père, Ahmed Kalouaz va plus loin que de poser les jalons d’une vie. Tout en pudeur, les meurtrissures apparaissent. Difficultés de deux générations à trouver leurs places alors que les désillusions sont nombreuses. L’auteur met en garde contre le fanatisme religieux, un refuge pour de nombreux jeunes qui ont perdu l’espoir. Ce livre est d’une telle intensité que j’ai eu les larmes aux yeux.
Un coup de cœur sincère pour ce livre qui rend hommage à des hommes bien souvent oubliés.
Pendant que nous allions à l’école, tu demeurais dans la classe des dominés, tout ce qui était digne d’être montré ne pouvait qu’être le fruit du travail de tes mains.
Et une nouvelle : Ahmed Kalouaz publiera en novembre prochain le deuxième volet de ce livre consacré à sa mère.