mercredi 23 octobre 2019

Guillaume Lavenant - Protocole gouvernante

Éditeur : Rivages - Date de parution : Août 2019 - 176 pages 

Dans une banlieue pavillonnaire cossue, un couple très pris par son travail  recherche une personne de confiance. Une jeune femme est engagée comme gouvernante. Entendez par là qu'elle doit s'occuper de la plus jeune des deux enfants Eléna et également donner un coup de main à la gestion de la maison.

Nous découvrons en même temps que la jeune femme le protocole qu'elle doit suivre au pied de la lettre et établi par un mystérieux Lewis. On comprend très vite que son embauche a été prévue , elle est le maillon d'un plan et rien n'a été laissé au hasard. Le récit entièrement  à la deuxième personne du pluriel et toujours au futur confère une ambiance enveloppante, captivante mêlant le respect feutré du vouvoiement et l'ombre d'une organisation secrète bien mystérieuse.

Sans en dire de trop, Guillaume Lavenant nous titille et nous harponne dans ce roman atypique et assez indéfinissable qui tient à la fois du huis-clos, d'une dystopie avec une donne dose de suspense comme dans un thriller. Plus on avance dans la lecture et  plus on est tiraillé  par de nombreuses questions ( et est bien malin celui ou celle qui devinera la fin).

Ce roman subjugue par sa narration impeccable, ce qui est son point fort, et suscite un malaise grandissant distillé habilement.  Mais avec un dénouement qui ne répond pas à toutes les interrogations du lecteur, cette fin peut gâcher le plaisir de lecture ou le diminuer.
Un livre qui sort des sentiers battus et qui m'a complètement intriguée (mission réussie pour l'auteur).

De manière générale, ne vous attendez jamais à quoi que ce soit. Ce à quoi vous devez vous attendre, vous le trouverez décrit dans ces lignes. Pour le reste, n'anticipez rien.

Une lecture repérée chez Keisha

vendredi 18 octobre 2019

Juli Zeh - Nouvel An

Éditeur : Actes Sud - Traduit de l'allemand par Rose Labourie - Date de parution : Septembre 2019 - 192 pages

Henning a organisé les vacances de Noël pour son épouse et leurs deux jeunes enfants sur l’île de Lanzarote. Le jour du nouvel an, il part seul à vélo. Malgré le vent et le terrain accidenté, il continue sa course et c’est l’occasion pour lui de tenter de faire le point. Son couple bat de l’aile et Henning est empêtré dans son quotidien. En proie à des crises d’angoisse dont il ne connaît pas l’origine, il doute de lui, de l’amour de son épouse et de son rôle de père. Épuisé et assoiffé, il atteint un col avec la curieuse sensation de connaître déjà ce lieu.

Beaucoup de questions sont en suspense : pourquoi Henning souffre-t-il de crises de panique ? comment se fait-il qu’en n’ayant jamais mis les pieds sur cette île il ressente une sensation étrange ? Juli Zeh détaille la psychologie d’Henning et radiographie le couple tout comme le noyau familial. C’est très bien vu avec des petits détails qui font mouche. Les explications se dessinent lentement, émergeantes de quelques jours vécus par Henning quand il était enfant. L’auteure nous immerge dans les souvenirs d’Henning et nous fait revivre avec beaucoup de réalisme cette période à l’origine d’un traumatisme enfoui au plus profond de sa mémoire d’enfant.  Il faut attendre les toutes dernières pages pour que toute la lumière se fasse entre les souvenirs tronqués et la culpabilité ressentie par Henning.

Avec une écriture concise, Juli Zeh s’attache à la psychologie de ses personnages, à leurs zones d’ombre refoulées et aux blessures invisibles. Mais dommage car  la fin m'a déconcertée.

Avec les enfants, les vacances sont une parenthèse où la vie est encore plus épuisante que d'habitude. On n'a pas une minute à soi, et on consacre toute son énergie à ériger une forteresse contre le chaos, l'ennui et la mauvaise humeur.

Le billet de Kathel

mercredi 16 octobre 2019

Thomas Gunzig - Feel Good


Éditeur : Au diable Vauvert - Date de parution : Août 2019 - 400 pages 

Après une enfance sans manquer d'argent mais sans en avoir de trop, Alice se démène pour joindre les deux bouts avec son salaire de vendeuse dans un magasin de chaussures. Elle en a marre de devoir toujours compter compter et calculer, d'être toujours "trop juste". Comble de malchance pour elle, le magasin met la clé sous la porte. Comment faire pour payer de quoi à manger à son fils, comment régler son loyer ? Elle pense avoir trouvé la solution à ses problèmes d'argent, ne reste plus qu'à l'exécuter .

Tom lui galère en étant qu'écrivain. Ses livres ne se vendent pas ou trop peu, sa femme vient vient de le quitter. Il continue de croire qu'un jour son génie littéraire éclatera au grand jour et lui permettra de couleur des jours heureux et paisibles. Si le plan d'Alice fonctionne au départ rapidement, elle se retrouve embarquée dans une situation qui la dépasse et la met sur la route de Tom.

Thomas Gunzig égratigne avec cynisme le monde de l'édition et tout ce qui gravite autour.  Mais ce livre  est surtout un roman social très révélateur d'une précarité, des injustices et des inégalités sans être  plombant.  On sourit et on tourne les pages avec envie et entrain ! Relevé, drôle et légèrement barré, ce roman est surprenant. Il joue sur les codes du feel good, dévoile pour notre plus grand plaisir les coulisses du monde littéraire actuel et met le doigt sur la souffrance bien réelle de ses personnages. C'est parfaitement réussi !

Être pauvre dans un monde de riches, c'est encore pire que d'être pauvre dans un monde de pauvres.

Les billets d'Alex, AntigoneCuné , GambadouHistoires d'en lire  Nadège, Séverine et Sylire toutes absolument conquises.

lundi 7 octobre 2019

Valentine Goby - Murène

Éditeur : Actes Sud - Date de parution : Aout 2019 - 384 pages

Hiver 1956, A vingt-deux ans, François Sandre a la fougue de la jeunesse et l'avenir pour lui.Victime d'un accident, les médecins ne sont guère optimistes à son sujet. Grièvement brûlé, il doit sa survie à une amputation des deux bras.

Je pourrais juste vous dire que cette histoire est tout simplement magnifique et que l'écriture de Valentine Goby n' a jamais été aussi somptueuse. Mais ce livre est beaucoup plus pour moi. Il ne m'a pas quittée pendant plusieurs jours et j'ai eu ce sentiment qu'il m'accompagnait partout. François a peuplé mes nuits, il a été avec moi à chaque instant. Ce que son corps lacunaire lui imposait et  ce dont il le priverait à jamais, les embûches, son quotidien et ses questions m'ont habitée intensément.

Malgré son invalidité, François veut retrouver une autonomie et Organisation sportive des mutilés lui permet de se redécouvrir dans des bassins d'eau chlorée.  Il apprend à nager. Les muscles endoloris par l'effort, il apprivoise sa respiration et découvre des sensations autres car l'eau a ce pouvoir de brouiller les stigmates et les handicaps.

Valentine Goby nous immerge dans l'histoire d'une métamorphose et et retrace la naissance de l'handisport. J'ai vécu une histoire d'amour avec ce roman, j'ai eu le coeur broyé et malaxé, des poissons d'eau dans les yeux et surtout un respect immense pour François et ses compagnons d'infortune. Des personnes qui se hissent pour la vie, se dépassent, franchissent de grands obstacles tout comme la souffrance et le regard des autres.

Tout en étant extrêmement bien documenté, ce récit évite tout pathos car Valentine Goby fait preuve d'une finesse intelligente et éblouissante par son style, par sa capacité à rendre l'indicible et les ressentis.
Cette lecture lumineuse m'a nourrie et enrichie, symbiose parfaite d'une histoire et d'une écriture.

La sensation du ghetto s’estompe. La honte le quitte. Il se concentre sur la nage, aveugle aux moignons qui l’entourent, il n’a d’autre pensée dans le bassin que l’exécution d’un mouvement fluide. Il pense à la murène de l’aquarium, porte Dorée, non à la laideur de sa gueule, le corps reclus dans les anfractuosités de la roche, le bec à peine pointé vers dehors, mais à sa pavane suave. 

De nombreux billets sur Babelio.

Lu de cet auteure : Banquises -   Des corps en silence - Kinderzimmer - Qui touche à mon corps je le tue - Un paquebot dans les arbres

vendredi 4 octobre 2019

Pascal Dessaint - L'horizon qui nous manque

Éditeur : Rivages - Date de parution : Septembre 2019 - 250 pages  

Après le démantèlement de la jungle de Calais, Lucille  ex-institutrice investie auprès des migrants a tout plaqué. Elle trouve refuge chez Anatole, chasseur solitaire passionné par les oiseaux qu'il sculpte sans grand succès à qui elle loue une caravane. Un jour débarque Loïk, un ancien détenu impulsif  et pas très causant sur son passé tourmenté. Entre Gravelines et Calais, ces trois personnages cohabitent sur un terrain à l'écart de tout.

Pascal Dessaint s'attache à dépendre le quotidien  de ces trois personnages cabossés par la vie et à ces liens qui se créent entre eux. J'ai retrouvé les décors et la géographie du roman  Le chemin s'arrêtera là avec l'iode, les embruns qui vous fouettent le visage,  les  dunes et la nature. Même géographie  donc mais une atmosphère un peu différente et moins noire. Et pour moi, il y a un peu de Marie-Sabine Roger Sabine et de Michel Quint dans ce nouveau roman de Pascal Dessaint.

L'écriture concise capte les  nuances et décrit à merveille la nature environnante.  Avec des dialogues souvent savoureux émaillés de répliques de Jean Gabin, des extraits de chanson de Jean-Patrick Capdevielle, Pascal Dessaint dresse des  portraits qui m'ont touchée.  Les zones d'ombre et les cassures qui se dessinent contrastent avec la pudeur à fleur  et la solidarité dont tous les trois  font preuve. Ces personnages attachants, fragilisés sont  baignés d'une humanité qui fait chaud au coeur malgré leurs erreurs et leurs faiblesses.
Un roman social sombre mais teinté d'une nostalgie bienveillante. 

Quand un gars récidive, c’est pas qu’il est plus con qu’un autre. C’est seulement qu’il est con plus souvent. Nuance.

Le billet de Cathulu