Le poème Paroles de Jacques Prévert parle de Brest et des bombardements qui y ont lieu durant la seconde Guerre Mondiale. Gwen nous invite à choisir un lieu et à y raconter ce qui se passe. Seule consigne, notre texte doit se dérouler entre 19 juin 1940 et le 18 septembre 1945.
Ce poème de Prévert, on le connaissait. Trop bien même. J’ai beau avoir 96 ans, j’ai encore toute ma tête ! Parce qu’une des voisines plus loin dans le couloir, celle-là elle perd la boule. Je me souviens d’une date, le 23 août 1944. Ce jour là, je suis devenue veuve et mes enfants orphelins. En ce temps là, on habitait à Guipavas à Toulgoät. Vous voyez l’ancienne route de Brest à Guipavas, là où il y a un lotissement avec à l’entrée un grand sapin ? Notre ferme était là comme celle des Jaouen. Depuis, tout a été vendu et racheté pour construire, vous pensez bien mais à l’époque, Brest n’était pas étendu comme aujourd’hui et pour y aller, c’était en charrette ou alors à pied en se levant de bonne heure. En août 1944, Toulgoät était sur la première ligne de front Allemand et les Allemands campaient un peu partout, même à la ferme ! Yves, mon fils à l’époque avait quatre ans et ma fille Paule deux ans. J’étais enceinte de Françoise. Je me rappelle du jour où j'ai accouché d’Yves, les bombardements sur Brest avaient déjà commencé. On a perdu une vache tuée par une bombe.
La ferme de Toulgoät appartenait à mes beaux-parents donc ils surveillaient les petits pendant qu’on était aux champs ou autour des bêtes. Je n’étais pas tranquille de voir tous ces Allemands près de chez nous. On les évitait et eux-aussi. Il y avait dans le groupe un gamin, un jeune qui devait avoir dix-sept ans. Celui-là, il me faisait pitié… si jeune. Le 14 août, on a dû évacuer la ferme sur l’ordre des Allemands. Comme la route vers Guipavas était minée, on s’est arrêté chez les Bihan. Il n’y avait que le père qui était là. Pendant quelques jours, on s’est serré à la dure mais on était tous habitués. En ce temps là, les gens s’aidaient. Et puis est arrivé le 23 août. Je me doutais bien que mon mari faisait partie d'un réseau de la résistance avec son frère. Jamais il ne m’en a parlé mais je comprenais bien à ses absences qu’il y avait quelque chose. Un groupe d’Allemands s’est présenté et directement ils ont fouillé les sabots de mon mari. Il m’a regardé... je n’oublierai jamais ce moment. Dans la paille d’un des sabots, il y avait un papier caché. Tout a été très vite, les Allemands criaient, les hommes ont été poussé près de l’étable. Des mitraillettes dans le dos. Yves pleurait, la petite Paule cachait son visage dans mon tablier. Des renforts Allemands sont arrivés rapidement. Mon mari, , son frère et Louis Jaouën ont été emmenés par les Allemands. On ne pouvait rien faire. Vous me demandez quelle heure il était ? Oh, je ne sais plus, sûrement dans l’après-midi. Le soir, je suis partie aux nouvelles. Personne ne savait rien.
Attendez, je cherche mon mouchoir. Nous, les vieux, on a souvent les yeux qui coulent. On n’a jamais retrouvé le corps de mon mari comme ceux des six autres personnes arrêtées ce jour là. C’est ça le plus dur. Oh oui, j’ai passé du temps dans les champs à cherchez des traces mais rien. Ma fille Françoise est née avant terme à cause de toute cette histoire. Bien sûr, que lorsque la guerre a été déclarée, mon mari a été mobilisé. Mais à cause de ses problèmes de santé, il faisait de l’hypertension, il a été hospitalisé puis comme on disait « mis en congé » pour trois mois.
Voilà, vous m’avez demandé ce qui s’est passé le 23 août 1944, je vous ai répondu maintenant j’aimerai bien me reposer.
Ce texte est dédié à la grand-mère de mon mari qui aurait eu 96 ans. Son mari été arrêté le 23 août 1944 suite probablement à une dénonciation . Lui et son frère faisaient partie du réseau « Guipavas » de résistance ainsi que d’autres personnes. L’arrestation a été publiée dès le lendemain dans la presse de Landerneau. On n’a jamais su où ils ont été fusillés. Certaines personnes disent avoir aperçu des hommes encadrés par des Allemands au vieux St Marc à Brest dans la soirée. Il y a eu et il y a encore des questions.
Je me suis inspirée librement des faits tels qu'elle les racontait… Seule la date est inchangée, les noms de personnes et de Toulgoät sont purement fictifs. Par respect pour les personnes qui ont vécu ce drame et leurs familles.
11 commentaires:
Très beau texte Clara et c'est bien d'avoir eu des personnes qui ont transmis cette histoire, moi je ne sais rien de cette époque, enfin rien de dramatique, il faut dire qu'un de mes grand-père est mort avant qu'elle n'éclate ! Et l'autre était en Algérie...Le silence a prédominé ! Bravo car ce n'est pas facile ces vieux souvenirs...
C’est un très joli texte, un très bel hommage...
Très joli texte
C'est étrange... mon texte est aussi inspiré de l'histoire du grand-père de mon mari. Lui aussi victime des Allemands, c'était un "Malgré nous", enrôlé de force, comme beaucoup d'Alsaciens... Mais lui, il n'a jamais rien raconté. Même quand il est rentré.
Quel superbe texte, les émotions y sont transcrites avec une extraordinaire pudeur... bravo!
Très émouvant.A cause de mon âge,cette période est sensible.
@ Asphodèle : Brest est marquée à jamais par cette guerre. Et ma belle-mère n'a aucun souvenir de son père...
@ Saxaoul : elle le méritait , ele et tant d'autres.
@ Alain : merci!
@ Amélie : j'ai le cas dans ma famille de certains frères de mon grand-père qui n'ont jamais rien dit à leur retour d'Allemagne.
@ Littetureetchocolat : merci! je n'ai pas eu hélas le temps nécessaire de le peaufiner et d'étayer un peu plus
@ Mireille : oui, je comprends très bien!
Je suis émue. Vraiment un très bel hommage.
Je pense à ma grand-mère, du coup.
Magnifique, bravo ! le 23 août est un jour important pour moi. Une date qui compte...celle de mon mariage ;-)
@ Leiloona :merci beaucoup !
@ Theoma : merci M'dame ! le 23 août est une date de bonheur pour toi !
Brrr, magnifique ! j'en ai des frissons partout...
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