Lui, c'est le nouveau dans l'entreprise. On lui demande de choisir un prénom pour ce métier de téléopérateur. Il a choisi Eric. Répondre au téléphone, déblatérer à ces clients anonymes des questions types. Vendre les nouveaux produits pour atteindre les objectifs. L’ancien électricien est devenu Eric. Il parle toute la journée pour ne dire que des formules, des phrases préconstruites. Des suicides surviennent dans l’entreprise. L’incompréhension, l’incrédulité cèdent place à des questions de fond. Un jour, Eric rappelle un client pour lui donner un renseignement. Il téléphone à un client de son propre gré sans autorisation.
L’écriture singulière de ce livre m’a harponnée. Une écriture qui donne une force, un pouvoir aux mots. Pas de fioriture pour ce livre sur la déshumanisation du monde du travail. Des entreprises où la personne est considérée comme un objet de rendement et perd son identité.
Les mots, Eric en dit à longueur de journées au téléphone. Des mots choisis, pesés par des spécialistes du marketing. Toujours être poli envers le client sans rentrer dans la bulle du personnel ou de l’intime. Garder ses distances avec le client mais sans le lui montrer. L’allécher par un discours et lui vendre le nouveau produit. Dans l’entreprise où Eric travaille, des employés se suicident. Sur d’autres sites ou dans d’autres services. Il y a les réactions de l’extérieur : ce n’est pas possible, on ne se suicide pas à cause de son travail. Eric rappelle un client au téléphone, lui rend service. Une façon de ne pas oublier qui il est, de garder son humanité, d’être lui et pas Eric.
Je me suis glissée dans cette histoire en retenant mon souffle. Le malaise et le mal-être sont palpables. Ils nous prennent à la gorge. Saisissants.
Ce livre a failli être un coup de cœur, je dis bien failli. J’ai une réserve, une seule concernant l’état de santé du client. Fallait-il qu’il soit paralysé ? Pas forcément, à mon sens, et le livre aurait quand même eu autant de puissance.
Une fois de plus, il m’a fallu du temps pour évacuer toutes les émotions.
Pourtant, en juillet, à Marseille, dans la même torpeur estivale, avec la mer scintillante des calanques, le ciel d’airain comme un couvercle brûlant, tout cela n’avait pas suffi à faire taire le drame qui s’était déroulé et les mots implacables de celui qui avait affirmé : Je me suicide à cause de mon travail. A cause de. Origine, fondement, raison, motif. Retour brutal aux mots sauvages.
Un livre lu grâce à Dialogues Croisés.
12 commentaires:
Une manière de parler du monde du travail, de l'humanité, de l'absurdité vraiment intéressante et novatrice. (au fait, pas de texte, hier?)
Je l'ai noté chez Gwen et ton billet renforce mon envie de le lire !
PS: comme Gwen j'attendais ton billet fulgurant pour l'atelier d'écriture de hier !
Je l'ai noté, à la suite de la lecture de "Nous étions des êtres vivants" mais je laisserai passer un peu de temps entre les deux...
C'est un très bon livre sur la souffrance au travail et ce qu'elle génère dans la vie en général. L'écriture est très juste.
Perso le client paralysé je le vois comme une métaphore de la paralysie de celle qui guette le héros à travers son langage pré-mâché.
@ Gwen : dès les premières lignes, l'écriture m'a ferrée ! J'ai beaucoup aimé !Et pas de texte hier car chute de tension...
@ Griotte : je ne peux que le conseiller ! Mon billet d'absence pour hier est dans la réponse à Gwen...
@ Kathel : oui, je pnse qu'il vaut mieux laisser passer un peu de temps entre le sdeux !
@ Aifelle : un très bon livre, oui ! Une fois commencé, j'ai eu du mal à le reposer...
@ Cathulu : ton avis est intéressant. Je ne l'avais pas perçu de cette façon.
me tente beaucoup celui là
croisé chez Antigone, elle m'a donné l'envie de lire, ton billet confirme, il est en biblio dès qu'il est livre je saute dessus;;
Ca a l'air intéressant, bien que beaucoup trop réaliste hélas.
Sur le même sujet, j'avais beaucoup aimé Les heures souterraines de Delphines de Vigan...
@ Lucie : j'ai frôlé le coup de coeur !
@ Pascale : le billet d'Antigone et magnifique !!! Elle en parle de façon très juste ...
@ Marie: oui, j'avais également beaucoup aimé "les heures souterraines " de Delphine de Vigan!
Un livre qui m'avait bouleversé... Oui, je comprends tes réserves sur la paralysie mais le symbole est là, celui qui est contraint n'est pas celui que l'on croit. ;o)
@ Antigonee: ton billet est superbe ! ( je voulais te le dire...) Après le commentaire de Cathulu, j'ai fait le raprochement.
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