Ce restaurant, c'est moi qui l'aie choisi comme lieu de rendez-vous. Le hasard n’y est pour rien. Je savais qu’en me mettant en haut de l’escalier, je pouvais observer sans être vu. Et maintenant, il est là. Ca ne peut être que lui. Il est sorti du restaurant et a regardé sa montre. Tâté sa poche machinalement, geste de l’ancien fumeur à la recherche d’hypothétiques bouffées de courage. Il n’en manque pas même après avoir jeté un énième regard dans la rue. Je voudrais juste qu’il regarde vers la droite pour que je puisse voir entièrement son visage. Je pourrais descendre quelques marches mais je n’ose pas. Ma main sur la rambarde tremble et j’ai le tournis. Il a dix-sept ans de moins que moi exactement. Ce beau garçon est mon fils. Quand ma copine m’avait annoncé qu’elle était enceinte, j’avais préféré prendre le large. Salement. En l’insultant, la traitant de traînée et nier ainsi ce gamin. Je suis un lâche mais il m’a quand même retrouvé. Il m’a dit au téléphone simplement j’aimerai qu’on apprenne à se connaître. Pas de remord ou de haine dans sa voix. J’ai eu envie de chialer comme un gosse. Je savais que ce jour arriverait mais je me l’étais imaginé autrement. Des cris, des menaces, non, rien de tout ça. Je pourrais aller à sa rencontre, lui balancer que j’ai réussi ma vie et des foutaises de ce genre. Lui en mettre plein les yeux. Quand je le vois là, sûr de lui, je me dis que qu’il ne mérite pas un père comme moi. Et inversement. Sa mère en fait quelqu’un de bien, pas comme moi. Avant de repartir, je le regarde une dernière fois. J’ai mal et c’est de ma faute.
Hypothétiques rencontres et souhaits. Le jeune homme vérifie que sa poche contient bien l’objet acheté. Depuis dix minutes, il l’attend. Pour tuer le temps, il cherche sa présence du regard, s’imagine la suite de la soirée et s’en réjouit d’avance. Les minutes semblent interminables d’autant plus qu’il sait que son avenir va se jouer dans les heures suivantes.
Dans une voiture garée à vingt mètre du restaurant, un homme fume cigarette sur cigarette. La femme à ses côtés est silencieuse. Il tapote nerveusement le volant. « Tu l’as vu ? ». La femme se contente d’acquiescer de la tête et de lui désigner l’escalier. Le jeune homme s’approche du pare-brise, plisse les yeux pour deviner la silhouette.
Une jeune femme arrive devant le restaurant. Ses joues rosées indiquent qu’elle s’est dépêchée. Il la prend dans ses bras, l’embrasse. Il ne peut s’empêcher à la boîte emballée dans sa poche qui contient une bague de fiançailles. Ce soir, il va la demander en mariage.
Dans la voiture, le jeune homme prend un sac de sport posé sur la banquette arrière. La silhouette s’éloigne des escaliers en sens inverse. Il l’ouvre, vérifie que la batte de baseball est bien là. « On y va, m’man ». « Oui ». Le ton est sec. Dix-sept ans qu’elle attend ce moment. Dix-sept ans à ruminer sa vengeance. Ce soir, il va payer pour tout le mal qu’il lui a fait.
Il s'agissait de mon texte pour l'atelier de Leilonna Une photo, quelques mots à partir de la photo ci-dessous :
9 commentaires:
encore une chute complètement inattendue! J'aime énormément tes textes...
Outch' d'autant plus terrible que le point de vue initial est celui de l'homme qui a choisi de partir, on s'identifie un peu à lui ... ;)
Un fin qui fait mal, dans tous les sens du terme... J'aime bien.
Un texte intéressant qui joue avec les attentes du lecteur !
et bein, règlement de compte à ok corral...c'est dur comme texte.
@ Littérature et chacolat : merci !
@ Leiloona : le tien est super!
@ Gwen : une envie d'adopter plusieurs angles sde narration..
@ Mathylde : merci de ton cemmentaire et de ta venue!
@ Lucie : ouais M'dame!
Brrrr, ça fait froid dans le dos !!!
Terrible cette mère qui a élevé son fils dans un esprit de vengeance
Tu as du talent!!
Tes récits se lisent comme des nouvelles, avec des vraies chutes, une intensité...
Chapeau bas!!!
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