mercredi 23 juin 2010

Parcours de femme - Le rendez-vous

Incapable de tenir en place, elle se regarde à nouveau dans la glace. Elle regrette d’être arrivée hier soir et d’avoir passé sa nuit dans cette chambre d’hôtel. Elle redoute ce nouveau rendez-vous. Pourtant, elle l’a déjà vu il y a quelques mois. Ce n’est pas comme s’ils étaient des inconnus l’un pour l’autre mais l’appréhension la fait douter. Et si ça se passait mal ? Depuis leur dernier contact, elle attend ce grand jour et maintenant elle se sent prise d’une agitation fébrile. La peur de décevoir celui qu’elle avait rencontré sur internet, de ne pas lui plaire. Pour chasser ses idées grisâtres, elle pense à leur première rencontre. Son cœur bat la chamade et une bouffée de joie l’envahit. Elle a même pris de nouvelles résolutions : manger plus équilibré, faire du sport. Pour lui, elle veut être parfaite. Machinalement, elle remet une mèche de cheveux derrière son oreille et regarde sa montre une fois de plus. Elle a mal dormi. Trop énervée, elle n’arrivait pas à trouver le sommeil. Après avoir regardé une émission insipide à la télé, elle s’est plongée dans la lecture. Mais ses idées étaient ailleurs. Impossible de se concentrer sur les mots qui lui échappaient. Elle relisait plusieurs fois le même paragraphe mais les phrases s’envolaient. Elle a finalement décidé de prendre un léger somnifère.

Dans une heure, ils ont rendez-vous dans un endroit situé dans la même rue que l’hôtel. De sa fenêtre, elle épie les passants : une jeune maman qui pousse un landau, un homme âgé qui tient un cabas d’une main et de l’autre sa canne. Dos vouté, il avance à petit pas précautionneusement. L’estomac noué, elle n’a pu qu’avaler un thé ce matin puis elle a hésité entre plusieurs tenues et a finalement opté pour un jean et un chemisier. Elle s’et demandée si elle devait se maquiller. Elle a pour habitude de souligner ses yeux d’un trait de crayon. Quelquefois, elle ajoute un peu de fard à paupières mais jamais plus. Pour l’occasion, elle a acheté un rouge à lèvres à une vendeuse qui a réussi à lui vendre en plus « un fond de teint léger qui unifie la peau et estompe les rides ». Elle avait écouté les conseils de l’esthéticienne: « l’apparence c’est important, surtout quand on approche de la quarantaine, car beaucoup de femmes ont une tendance à se laisser aller. D’ailleurs, je peux vous proposer une crème de nuit qui fait des miracles. » Ses trente-huit ans s’affichaient donc sur son visage ? Elle se sentait pourtant jeune. Hormis quelques petites rides qui apparaissent quand elle sourit, les années qui passent n’ont pas encore laissé leur empreinte.

Elle hésite à y aller maintenant. Arriver trop tôt serait peut-être mal perçu ? Elle pense à ses amies. Certaines l’ont encouragé, d’autres l’ont mise en garde. De façon directe avec ces mots si souvent entendus « si j’étais à ta place ». Qu’est ce qu’elles en savaient de son quotidien ? Comme si ses soirées passées seule devant la télé, ses promenades où elle croisait des couples, des familles ne lui donnaient pas le cafard ? Il y avait également les regards fuyants qui en disent long, l’embarras que son entourage éprouvait et qu’il avait du mal à dissimuler. Ses parents n’ont rien dit. Quand elle leur annoncé la nouvelle, son père a relevé la tête de son assiette et son visage s’est rembruni. Sa mère s’est levée de table pour aller chercher une bouteille d’eau. Pourtant, il y en avait déjà une. Sa mère a toujours pris la fuite dès qu’elle devait donner son avis. Les prétextes ne manquaient pas : fermer une fenêtre dans une chambre ou vérifier que la machine à laver le linge a fini. Son père a dit : « c’est ta vie » en soupirant. Les larmes aux yeux, la voix tremblante, elle lui avait répondu qu’elle aussi avait le droit le bonheur, qu’elle avait passé des années à effleurer du bout des doigts son rêve et que maintenant elle n’allait plus faire machine arrière. Il avait haussé les épaules et d’un ton las, avait prononcé : « fais comme tu veux ». Depuis, elle ne les a pas revus. Elle a encore sur le cœur ce poids lourd de l’incompréhension.
A ressasser le passé, elle devient mélancolique. Ses parents ne vont pas lui gâcher cet instant qui n’est rien qu’à elle.

Elle expire un grand coup pour se donner du courage, attrape sa vaste et son sac à main. Le sang monte à ses tempes, elle essaie de ne pas se laisser submerger par l’émotion. Elle serait presque tentée d’allumer une cigarette, non, elle s’est faite la promesse d’arrêter. Sortie de l’hôtel, elle marche vers le lieu du rendez-vous. Elle plisse ses yeux pour voir s’il est là. Elle l’aperçoit, son cœur bat à tout rompre. Il est assis, patientant tranquillement. Elle le trouve encore plus beau avec cette chemise et ce pantalon qu’elle a choisi pour lui et qui font ressortir son teint hâlé. Il n’est pas seul mais accompagné d’une femme.

Elle s’approche, il la reconnaît. Deux seconde où le temps semble se figer pour l’un comme pour l’autre.
-Mon amour, je suis si contente !
Elle le couvre de baisers, pleurant de joie.

L’autre femme les regarde tendrement.

Il lève la tête vers elle et lui demande sur un ton hésitant :
-Alors, tu es ma maman maintenant, c’est sûr ?

Elle opine de la tête, l’assistance sociale lui remet officiellement les papiers d’adoption. Sa nouvelle vie commence aujourd’hui.

5 commentaires:

Sandrine(SD49) a dit…

Oh que c'est beau !!!!! j'admire beaucoup cette façon que tu as d'écrire. J'attends avec impatience la prochaine fois ;-)))

Cynthia a dit…

Jolie histoire miss !

Clara et les mots a dit…

@ Sandrine (SD49) : merci !!! et il y aura des prochaines fois...


@ Cynthia : là, je suis touchée ! Venant de ta part, ce compliment est encore plus fort...

Livvy a dit…

Beau texte. Tu as réussi à faire passer les émotions du personnage. :-)

Clara et les mots a dit…

@ Livvy : merci madame l'écrivain !